Déchéance : c’est mal parti

Pas de quoi se réjouir (Photo AFP)

Pas de quoi se réjouir
(Photo AFP)

Les deux premiers articles de la loi révisant la Constitution et qui concernent la déchéance de nationalité pour les terroristes et la prolongation de l’état d’urgence ont été votés à une majorité courte par l’Assemblée nationale. Cette victoire apparente du gouvernement augure vraisemblablement d’une défaite ultérieure. 91 députés socialistes ont voté contre, et le nombre de députés de droite qui ont voté pour ne dépasse pas 32. Dans ces conditions, il est peu probable que l’exécutif puisse obtenir la majorité des trois-cinquièmes nécessaires à la révision de la constitution.

CET APRÈS-MIDI, l’Assemblée doit se prononcer sur l’ensemble du texte. En principe, les députés devraient adopter la loi, mais déjà des voix s’élèvent pour réclamer un vote négatif, par exemple celle de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui, constatant que l’objectif des trois-cinquièmes est impossible à atteindre, souhaite que le texte soit « achevé » dès aujourd’hui. Bernard Accoyer, député LR, pense que le président de la République ne sera pas en mesure de demander la réunion du Congrès car il sait qu’il courrait vers un échec. L’exécutif s’en tient au vote favorable d’hier mais M. Hollande sait qu’il s’est créé un nouveau problème qu’il ne peut résoudre qu’en admettant sa défaite, ce qui, dans cette année de fiévreux préparatifs électoraux, est particulièrement dommageable pour la stratégie qu’il a mise en oeuvre afin d’obtenir du peuple un second mandat.

Un mauvais point pour Sarkozy.

Il n’est pas le seul à essuyer les plâtres d’un projet conçu trop vite et dont il n’a pas perçu les implications. Nicolas Sarkozy, au nom de la « cohérence » politique de la droite, voulait que les élus de son parti votent comme un seul homme en faveur de la déchéance de la nationalité. Pour le moment, il peut faire croire qu’il a été entendu et qu’il garde son emprise sur les Républicains, mais même l’adoption du texte est décrite comme un premier pas en direction du refus pur et simple de la droite, comme le souligne NKM, qui montre que le nombre des élus de l’opposition hostiles à la déchéance va croissant et que M. Sarkozy, comme M. Hollande, va être mis en minorité. D’autant que la consigne de vote du président de LR a été rejetée par nombre de députés de droite, par exemple Bernard Debré et les fillonistes.

Passons à autre chose.

Jamais à court d’un gadget politique, le chef de l’État s’efforcera demain ou vendredi de substituer le remaniement gouvernemental à la déchéance, en espérant que les commentaires sur la formation d’un nouveau gouvernement Valls distrairont l’opinion. Cela s’appelle gouverner à la petite semaine et, surtout, cela montre que les sujets graves, la lutte contre le terrorisme ou la recomposition d’un gouvernement qui serait plus efficace dans le combat en faveur de l’emploi, ne sont plus à ses yeux que des moyens d’améliorer son image ou de redresser sa cote de popularité. Perçu comme simple et débonnaire, François Hollande verse dans le cynisme sous l’empire du désespoir : on ne saurait appeler autrement le sentiment qui l’habite alors que la déchéance de nationalité et la prolongation de l’état d’urgence étaient censées dégager un consensus national qui lui aurait été bien utile sur le plan électoral mais qui, maintenant, se retournent contre lui et semblent l’affaiblir encore un peu plus, avec une opposition au sein de son camp qui ne se limite plus aux frondeurs et une droite qu’il n’a pas convaincue.

RICHARD LISCIA

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11 réponses à Déchéance : c’est mal parti

  1. Julie dit :

    Le vent serait-il en train de tourner sur cette déchéance?

    Car non seulement c’est inutile pour lutter contre le terrorisme, mais surtout on risque de sacrifier certaines de nos libertés individuelles sur l’autel de la démagogie!

    Savez vous que demain, un syndicaliste pourrait être déchu de sa nationalité avec un tel dispositif ?

    Allez, on va réussir à l’enterrer ce projet en écran de fumée!

    Réponse
    Inutile de lutter contre le terrorisme ? Vous êtes sûre ?
    R.L.

    • A3ro dit :

      @ RL : relisez, c’est « [la déchéance est] inutile pour lutter contre le terrorisme ».

      Ce que j’approuve totalement. Ca ne changera rien. Ca envoie un message déplorable : en gros, on n’est pas capable de gérer nos éléments indésirables nous-mêmes donc on préfère s’en débarrasser. Et ca ouvre la porte à l’extension de la déchéance de nationalité à d’autres choses que le terrorisme.
      Sur la prolongation de l’état d’urgence, on peut argumenter que le sacrifice maitrisé de libertés vaut le coup (je ne suis pas d’accord, pour moi c’est une mesure disproportionnée à long terme pour pallier le manque des ressources allouées à la DGSI, mais mettons). Mais la déchéance, c’est de la démagogie irresponsable.

    • Michel de Guibert dit :

      @ R.L.
      Julie a écrit : Inutile « pour » (et non « de ») lutter contre le terrorisme !!!

    • Domurado dit :

      Ne pas confondre « c’est inutile pour lutter contre le terrorisme » et « Inutile de lutter contre le terrorisme ? »
      Ne faites pas dire à votre interlocutrice ce qu’elle n’a pas écrit.

  2. Lilith dit :

    Je cherche désespérément le lien entre syndicalisme et terrorisme … et m’émerveille de vos scrupules très bien-pensants, Julie et A3ro.
    À chercher l’efficacité, supprimons les prisons qui n’empêchent pas le crime, la prévention qui ne limite pas l’alcool, le paquet neutre dont se moqueront les fumeurs…par exemple.
    C’est une autre magnifique démagogie.
    Aussi épaisse que celle que vous dénoncez.

    • A3ro dit :

      Ne faites pas dire ce qu’on a pas dit 😉

      A titre personnel, ce que je vois, c’est que :
      – pour lutter contre les cas de terrorisme ca ne sert a rien. C’est une peine de plus pour une condamnation pour terrorisme, donc c’est après coup. Les gens a qui on peut l’appliquer sont les gens qui ont été attrapés après l’acte. Donc de toute facon, il vont en prison a perpétuité…. francais ou pas, aucune différence… quant à l’effet dissuasif, permettez moi d’en douter.

      – le mettre en loi ou dans la constitution, ca ouvre la voie à ce qu’elle soit étendue à d’autres crimes ou délits. Après tout, les meurtriers, ils ne sont pas digne d’être francais non plus, pas vrai ? Ah, mais, un gars qui va trop vite en voiture et qui tue quelqu’un, c’est un meurtrier…. mais pourquoi on déchoit pas ceux qui font des excès de vitesse, après tout, s’il n’ont tué personne, c’est juste qu’ils ont eu de la chance,non ? etc.
      C’est ce que Julie voulait dire par « syndicaliste » : si la déchéance est présente pour certains crimes/délit, rien ne dit qu’un gouvernement peu scrupuleux ne va pas l’étendre.

      Bref, ca sert a rien, c’est pas une loi profondément dangereuse non plus en l’état MAIS ca pourrait le devenir. C’est populaire, par contre…

      Ce qui serait utile, c’est d’augmenter largement les effectifs de la DGSI, qui ont été bien réduits sous Sarkozy et Hollande. Ils ont besoin de plus de monde pour surveiller, pas d’arsenal législatif liberticide… Sauf que embaucher et former des gens ca prend un temps fou et le politique a besoin de montrer qu’il agit maintenant.

      Une loi inutile voire dangereuse, mais très populaire, passée pour masquer de mauvaises décisions politiques, ca ressemble quand même pas mal a de la démagogie. Dire qu’on a besoin de temps et d’argent pour élargir un service de renseignement parce que de mauvaises décisions ont été prises avant, voila qui serait courageux. Mais bon…

      • Lilith dit :

        Merci de m’avoir répondu, cher A3ro.
        Nous sommes d’accord, la déchéance est inutile et ne vaut que par le symbole… Mais il faut croire que j’y tiens.
        N’avez-vous jamais entendu en consultation des réflexions irritantes sur notre pays ( « Nous sommes déçus par la France », « Ce pays est nul », « C’est scandaleux, tel ou tel produit est déremboursé » etc )?
        N’éprouvez-vous pas alors une bouffée patriote, la tentation de vous énerver?
        Bien sûr, c’est inutile et j’ai tort.
        Vous êtes plus philosophe et plus calme que moi.

  3. Num dit :

    Eh bien non, contrairement aux pronostics, le projet n’a pas été mis en minorité et a été approuvé avec une majorité de trois cinquièmes.

    • Michel de Guibert dit :

      Les 2/5 ne font pas 2/3 (et le Sénat sera sans doute plus critique que l’Assemblée Nationale), et donc cela ne passera vraisemblablement pas en Congrès à Versailles pour réformer la Constitution…

      • Num dit :

        C’est une majorité des trois cinquièmes qui est nécessaire et non des deux tiers.

        • Michel de Guibert dit :

          @ Num
          Autant pour moi ! Vous avez raison pour la majorité qualifiée des 3/5 des deux chambres réunies en Congrès (article 89 de la Constitution).
          Je suis en bonne compagnie puisque le Président Hollande avait fait la même erreur lors d’une récente interview télévisée !
          Mais il faut aussi que le texte de la révision soit voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et par le Sénat…

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