La bataille du burkini

Aucun risque de se mouiller (Photo AFP)

Aucun risque de se mouiller
(Photo AFP)

Le burkini est ce vêtement de plage, inventé par des commerciaux jamais à court d’idées novatrices, que portent cet été un faible nombre de nos concitoyennes musulmanes, qui souhaitent concilier les exigences de leur religion et leur moderne désir de se baigner. Il a déclenché une tempête. La mer politique est démontée.

CONTRACTION des mots « burka » et « bikini », le burkini a soulevé l’ire de quelques maires, notamment dans le Sud-Est, qui ont décidé de l’interdire. Dans un premier temps, on était tenté de dire que la baignade implique, tout naturellement, de se déshabiller au préalable, sans aller jusqu’au nudisme, réservé à des groupes qui se placent à l’écart du public. Le bikini, maillot de bain dont les dimensions minuscules n’ont été battues que par l’adoption du « topless » et du string, a été associé à la libération de la femme. Elle n’avait, pas moins que l’homme, l’obligation de cacher son corps. La société française s’est très vite habituée à des moeurs vestimentaires qui contribuent à la parité des genres.
Le voile et la burka sont en contradiction avec la laïcité française telle qu’elle est définie par la loi de 1905. Ils sont inspirés par des motifs religieux dont on ne finira jamais de discuter pour savoir s’ils sont ou non indispensables au respect des préceptes de l’islam. Le burkini, en revanche, n’est prescrit par aucun texte religieux. Tout juste peut-on dire qu’il représente une tentative de conciliation entre la pudeur exigée par la religion et le souci des musulmanes de vivre à peu près comme leurs homologues non-musulmanes. Le voile est toléré dans certains cas, la burka ne l’est pas dans l’espace public. Personne n’avait imaginé que la société de consommation allait s’emparer d’un sujet aussi délicat pour en faire une nouvelle pomme de discorde.

Une législation incertaine.

Mais les signes avant-coureurs de la bataille du burkini ont été nombreux. On avait stigmatisé les municipalités qui prévoyaient des périodes de piscine réservée aux femmes musulmanes. On a eu droit à d’autres débats, par exemple sur la nourriture hallal dans les cantines scolaires, sur les louvoiements d’une législation incertaine qui permet le voile à l’université mais pas à l’école. L’exaltation de la laïcité par les pouvoirs publics en France a même fait l’objet de critiques dans les pays anglo-saxons où elle n’existe pas vraiment et où le fameux « melting-pot » n’est rien d’autre qu’une addition de communautés très diverses dont l’exotisme peut s’épanouir à l’infini tant qu’elles participent à la vie nationale. Ce n’est pas le cas de la France.
Mais le problème ne se situe pas, en réalité, au niveau des choix historiques que la société française a faits non pas pour encadrer l’islam, le judaïsme ou le protestantisme, mais pour ôter à l’Église catholique toute prétention à un rôle politique dans la France républicaine. Il se situe dans le contexte d’un islam qui, lui, se confond littéralement avec les institutions des pays musulmans. La question porte donc sur l’importation en France de concepts venus de l’étranger, et sur les conséquences de leur éventuelle application sur notre territoire. Beaucoup de musulmans se sont exprimés à propos du burkini pour critiquer sévèrement le comportement des maires qui l’interdisent. Ils sont soutenus par la Ligue des droits de l’homme. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sollicité par des associations musulmanes, a mis en garde les Français contre toute stigmatisation de la communauté musulmane. Laquelle a trouvé un soutien en Najet Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, qui s’en est prise ce matin aux maires parce qu’ils envoient des policiers sur les plages pour verbaliser les femmes vêtues du burkini (elle a été aussitôt corrigée par le Premier ministre, Manuel Valls, qui estime que le comportement des maires ne correspond à aucune dérive).

Une question de tact.

Mais enfin, de quoi s’agit-il ? Le droit français ne peut pas trouver sa source dans les aléas de la gestion municipale et il n’appartient certainement pas aux gardiens de l’ordre d’entrer dans des discussions philosophico-politiques avec les contrevenantes. Le Conseil d’État a été saisi et s’empare du sujet cet après-midi. Bref, une affaire d’État, mais elle est susceptible, peut-être, de clarifier les intentions du pouvoir concernant la laïcité. Pour ma part, je dirai deux choses : la première est que l’apparition du voile, de la burka et de diverses manifestations de la culture musulmane dans le paysage français sont des phénomènes relativement récents puisqu’ils n’ont pas plus de trente ans. Ils sont donc liés au développement de l’islam politique. Dans le cas du port de la burka, on ne nous fera jamais croire qu’il est inspiré par la ferveur religieuse. Nous y voyons plutôt une provocation destinée à habituer, chaque jour un peu plus, la population française à des moeurs qui ne la concernent pas dans son ensemble. Il ne s’agit pas de vivre sa religion dans un cadre laïc et républicain, il s’agit de faire du prosélytisme. La seconde est qu’on ne peut pas demander aux pouvoirs publics de lutter contre la violence islamiste et de tolérer l’expression agressive d’une appartenance religieuse. Il faut que les musulmanes comprennent que, après l’attentat de Nice, les Niçois n’ont envie de voir ni burka ni burkini. Une question de tact, en quelque sorte.

RICHARD LISCIA

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16 réponses à La bataille du burkini

  1. berthe dit :

    je suis athée
    j’ai 60 ans
    je fréquente les plages venteuses de la manche et de la bretagne hors saison
    je me demande si le burkini ne pourrait pas me convenir
    autrement dit si au lieu de se battre pour ou contre le burkini , beaucoup de femmes non musulmanes le portaient le débat n’aurait plus lieu d’etre

  2. mXmF dit :

    La laïcité a-t-elle tant que cela à voir dans cette affaire ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une question de civilisation : Sommes-nous encore désireux, pour ne pas dire capables, de poursuivre le progrès tant vantés de la nôtre (potentiellement considérable) ou préférons-nous la régression imposée par une civilisation encore au stade religieux de son développement et qui, c’est pour ainsi certain, mettra à terme, fin à tous ses espoirs ?

  3. azam didier dit :

    C’est sûr… D’ailleurs en 40/45, il aurait suffit de se dire que si tout les Français se mettaient à parler allemand, il n’y aurait eu aucun problème. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les belles plages de la Manche et de la Normandie sont réputées pour leur température hors saison (et même en saison lol)
    Si on veut s’y tremper en ces périodes, soit on est courageux, soit on met une combinaison de plongée. Je doute qu’un burkini, une fois mouillé, réchauffe l’eau. Donc effectivement, mettons toutes les femmes en burkini et le débat n’aura plus lieu d’être.

  4. Galex dit :

    @Berthe…pour contrer les provocatrices sûrement ?
    pour info, une histoire de quartier récente, comme il s’en trouvera encore, même si à présent « la ligne rouge » est décrétée.
    Une de mes relations familiales (juste retraitée de l’éducation nationale), est allée à la piscine de son quartier, par cette chaleur! (dans une ville moyenne des Charentes). Là, trois jeunes filles habillées style burkini pavoisaient au bord du bassin, battant l’eau de leur pieds ; la mère (en maillot de bain) commenta pour ses trois filles: « il faut les comprendre, notre religion nous demande ». Autour du bassin, les regards convergeaient sur les quatre personnes, attitude d’autant plus provocante.
    Le petit frère en rajoutait, qui allait manger ses chips dans le bassin, jusqu’à ce que quelqu’un aille lui demander de bien vouloir les manger hors de l’eau !
    Un représentant du Syndic de quartier, présent autour du bassin, est resté muet.
    Berthe, il va en falloir une armée de Courageuses pour défendre la condition féminine multiculturelle.

    • Galex dit :

      Lisez « Le Monde.Afrique » ce jour :
      « « Burkini » en France, bikini au Maroc : même combat !
      …La polémique sur le « burkini » en France et les saillies liberticides de l’imam de Casablanca participent d’une volonté commune de refuser le droit des femmes à la souveraineté sur leur corps. Ces censures sont intolérables et doivent mobiliser l’énergie des progressistes. Les femmes n’ont pas à exécuter les injonctions de ceux qui œuvrent au quotidien contre leurs droits…. »

  5. Michel de Guibert dit :

    La laïcité n’a rien à voir avec cette polémique…
    Le Conseil d’État, dans sa grande sagesse, a tranché, et c’est bien ainsi !
    La lutte contre l’islamisme radical ne passe pas par des querelles vestimentaires…

  6. dornbusch dit :

    Laissons le choix à chacun de s’habiller comme il le souhaite du moment que les règles ne sont pas transgressées et que les institutions sont respectées.
    Dans les années 1900, certaines tenues de bain auraient pu être assimilées à des burkas. Ces tenues couvraient le corps, à l’exception des pieds, des mains et du visage. La tête était également couverte. L’évolution de cette tenue a été constante pour devenir le maillot de bain une pièce, le bikini et le monokini, le slip de bain, le caleçon, le bermuda… Certaines personnes ont opté pour la nudité.
    Certaines plages ont interdit le port du monokini, puis cette interdiction est passée aux oubliettes. Les personnes préférant la nudité ont eu des lieux réservés à cet usage.
    La mode change, le monde évolue, pourquoi pas le citoyen ?
    Pourquoi vouloir exclure des personnes qui partagent notre mode de vie mais pas la mode ?
    Pour que chacun puisse profiter d’instant de plaisir, arrêtons cette discrimination insensée, apprenons le vivre ensemble.

    • A3ro dit :

      Merci pour ce post plein de bon sens.

      J’ajouterais que je peux éventuellement comprendre ceux qui voient dans le burqini l’émanation d’un islam wahhabite. Mais même si c’était le cas, s’attaquer a un vêtement et a ceux qui le portent, c’est tenter de traiter les symptômes, pas le mal… et en ce faisant, on provoque des effets secondaires non négligeables. Se débarrasser de l’islam salafiste ou wahhabite, ca passe par le même chemin que celui qui a retiré son pouvoir aux catholiques : par l’éducation républicaine. Et c’est la faillite de celle ci dans les quartiers sensibles, le vrai problème. Mais évidemment, c’est une question bien plus complexe et qui se porte nettement moins aux déclarations martiales…. pas vrai, M. Valls ?

      Personellement, je serais musulman, du fait de ces polémiques stériles, je commencerais à me poser la question de savoir si la France (ou en tout cas ses Estrosi/Sarkozy) veut bien de moi ici.

      • Chabierski dit :

        Vu les résultats de l’éducation républicaine, rendre un peu de pouvoir aux cathos me paraît très souhaitable. Ils ont une belle expérience de l’éducation puisque ce sont eux qui l’ont mise en place. Il en est de même de la santé et du vivre ensemble. Les dix commandements (dix lignes par des milliers de pages de codes divers) ne permettent-ils pas un bon vivre ensemble ?

        • JMB dit :

          La laïcité, établie en France par la loi de 1905, l’a été en raison de la volonté hégémonique de l’Église catholique, sous l’influence de laquelle Louis XIV rédige l’Édit de Fontainebleau. Toute diversité religieuse est exclue. On ne s’étonnera pas du rôle du protestant Ferdinand Buisson comme collaborateur de Jules Ferry dans l’établissement de l’école laïque, publique et obligatoire, puis comme sénateur dans l’établissement de la loi de 1905. Confronté à l’affaire Dreyfus et à son déchaînement d’antisémitisme, ce protestant éclairé est un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme, toujours active puisqu’elle vient de soumettre le décret de Villeneuve-Loubet au Conseil d’État. Dans les années 20, Ferdinand Buisson obtiendra le prix Nobel de la Paix: il le dédira aux enseignants de l’école publique.

          • Michel de Guibert dit :

            L’Église catholique était tellement hégémonique qu’elle a créé partout des universités, des écoles, des hôpitaux, des hospices…

          • JMB dit :

            Sous l’Ancien Régime, l’assistance et l’instruction publique sont des fonctions d’Église et non d’État. L’Église catholique assure aussi l’état civil. N’ont d’existence légale que ceux qui ont observé ses sacrements, baptême, mariage ou enterrement. Les autres sont en dehors de la société, des marginaux, des invisibles. Les protestants, victimes quasi exclusives de ces mesures, obtiendront une existence légale par l’Édit de tolérance en novembre 1787, mais resteront exclus des charges de judicature, des municipalités , et de <>. L’Assemblée constituante les fera – ainsi que les Juifs pour la première fois en Europe – des citoyens de plein exercice.
            Néanmoins, si dans la patrie de Calvin, les huguenots représentèrent jusqu’à 10% de la population au XVIè s., les protestants ne constituent actuellement que 2% de la population. L’évolution régressive de ces pourcentages est bien sûr le fruit du hasard.

  7. RCdoc dit :

    J’ai vu récemment une photo, prise au Maroc, où l’entrée de la piscine affiche l’interdiction du burkini. Et ici le débat fait rage… C’est dingue, non?

    • A3ro dit :

      Pour une piscine l’interdiction se justifie aisément par des problèmes de salubrité – je parie que dans les mêmes piscines, les shorts de bain sont interdits.

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