La grâce et le droit

Dans la rue, un autre procès (Photo AFP)

Dans la rue, un autre procès
(Photo AFP)

La grâce présidentielle accordée à Jacqueline Sauvage, une femme de 69 ans, qui a tué son mari en 2014, après avoir subi ses violences pendant 47 ans, a donné lieu à toutes sortes de commentaires qui révèlent plus une confusion des idées qu’une claire vision de la justice en pays démocratique.

OU BIEN la grâce est un droit constitutionnel que le président de la République peut exercer selon son bon vouloir, ou bien il faut l’abolir. Ou bien Mme Sauvage est considérée comme une meurtrière ou bien elle est perçue comme une victime. Ou bien il faut donner un coup d’arrêt aux brutalités exercées par les hommes contre les femmes, ou bien la société s’en moque. Ou bien la libération de Jacqueline Sauvage est une bonne nouvelle qui réjouira tous les féministes, ou bien elle va entraîner une foule de réclamations de condamnés qui estimeront à leur tour qu’ils doivent bénéficier de la grâce. J’écoutais hier une émission sur le sujet et les intervenants ont tous dit qu’il n’existe pas de contradiction entre le rejet du principe de la grâce présidentielle et le bonheur d’assister à la fin du calvaire de Mme Sauvage. Une absence de logique qui en dit long sur certaines contorsions de la pensée.

Un vestige de la monarchie.

Fidèle à lui-même, le président de la République, dont presque toute la France salue le geste généreux, a fait à peu près tout ce qu’il fallait pour ouvrir avec la justice un débat tellement compliqué qu’il a fini par décider de passer en force. François Hollande s’est toujours dit hostile au droit de grâce présidentiel, vestige de la monarchie, qui porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs politique et judiciaire. Tellement hostile que, lorsqu’il a mesuré l’ampleur du mouvement populaire en faveur de Jacqueline Sauvage et s’est ému du sort de cette femme, condamnée à dix ans de prison par deux jurys populaires au terme de deux procès, il a décidé une grâce partielle, celle qui demande aux magistrats de réviser leur position et de réaménager la peine prononcée contre elle. Les juges ont alors raisonné en droit et ont fait valoir que le cas de Mme Sauvage ne méritait pas une mesure d’exception, que son dossier ne permettait pas de diminuer une peine motivée par des faits assez graves pour justifier sa condamnation. En d’autres termes, les juges estiment qu’il existe peut-être un autre moyen pour échapper aux violences conjugales que l’exécution du mari.
Ils ont à la fois raison et tort. Raison parce qu’au terme de 47 années de souffrances, Mme Sauvage a froidement voulu se libérer (et libérer ses filles) de la domination cruelle, morbide et accablante de son époux, sans tenter au préalable de demander à un tiers, la police ou la justice par exemple, d’intervenir dans la crise qui la tuait à petit feu. Tort parce qu’ils ne semblent pas avoir vu que le procès de Jacqueline Sauvage était aussi celui de la violence contre les femmes, l’un des maux les plus fréquents de notre société et contre lequel, franchement, nous ne faisons pas grand-chose collectivement. Les juges, dans cette affaire, ne semblent pas avoir perçu l’environnement de l’affaire, ils ne semblent pas avoir vu l’occasion de donner un coup d’arrêt à la violence conjugale. De leur part, c’est de la discrétion, c’est le respect du droit, c’est le refus de céder aux pressions médiatiques, aux pétitions, aux émotions nationales. C’est aussi la volonté de ne pas se livrer, dans le contexte si périlleux du procès d’assises, à une sorte d’héroïsme judiciaire qui n’a plus qu’un rapport lointain avec le droit pénal.

Le procès a basculé dans la politique.

Mais on ne peut pas nier que le sort de Mme Sauvage est devenu entretemps une affaire d’importance nationale. On doit tenir compte des sollicitations multiples et ardentes qui ont été adressées à François Hollande. On doit admettre que le procès a brusquement basculé dans la politique. Quand le chef de l’État a prononcé, en janvier 2016, une grâce partielle, il a envoyé un message très clair à la magistrature. Ce message, le voici : je ne veux pas vous imposer ma décision dictée par la compassion que m’inspire Mme Sauvage, mais je vous serais très reconnaissant si vous en saisissiez la philosophie et en teniez compte pour rendre sa liberté à la condamnée. Ils ont feint de ne pas l’entendre et ont continué à s’abriter derrière la procédure impeccable qui a abouti à la condamnation. Or la justice ne s’exerce pas dans le vide intersidéral. Elle vit au coeur de la société. Elle n’ignore rien des inégalités sociales, des injustices qui peuvent conduire à la délinquance ou même au crime, de la gravité de certains problèmes que nous n’avons toujours pas résolus. Elle a donc résisté à la douce pression de François Hollande. Elle a fait à son tour de la politique en campant sur la séparation des pouvoirs. Elle a joué un jeu tactique, forçant le président à lui envoyer finalement un ordre, celui-là même que, onze moins plus tôt, il s’était gardé de donner.
Mme Sauvage est libre et c’est très bien ainsi. Le peuple applaudit M. Hollande dont la popularité ne cesse d’augmenter depuis qu’il n’est plus candidat. La grâce présidentielle sied à ce président, elle lui va comme un gant. Résidu de l’Ancien Régime, elle mérite d’être supprimée. Mais tout le monde est satisfait que l’humanisme naturel de M. Hollande ait disposé de cet instrument anachronique.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à La grâce et le droit

  1. Elie Arié dit :

    Pour une fois, pas d’accord avec vous, Richard Liscia.
    Décidément, Hollande, candidat ou pas, ne changera jamais!
    S’il devait grâcier Mme Sauvage, il fallait le faire tout de suite ; mais le faire sous la pression de l’ opinion publique, qui ignore tout des raisons qu’avaient les juges pour avoir refusé sa remise en liberté, et du message subluminal envoyé aux magistrats lors de sa première décision, ridiculise le système judiciaire, et donne à la rue le pouvoir de grâce.
    Un président ne devrait pas faire ça… Il y a une capacité vraiment incompréhensible, chez cet homme pourtant intelligent, à se décrédibiliser.

    • Num dit :

      D’accord avec vous et pas d’accord non plus avec Richard Liscia.
      Si on considère que ce droit de grâce est totalement anachronique, antidémocratique et arbitraire (ce qui est mon cas), on le supprime ou, à tout le moins, on ne l’utilise pas. Pour des personnes (Hollande) qui passent leur temps à donner des leçons de démocratie à tout le monde et à invoquer la république comme principal argument politique, c’est plus que contradictoire de recourir à ce droit suranné, digne des dictatures. A partir de là, peu importe le fond de l’affaire.
      Quant au fond, puisqu’il faut tout de même en parler, je n’y connais rien mais personne non plus. Mais je fais confiance aux juges. C’est leur pouvoir et leur devoir de juger. Ils n’ont justement pas à tenir compte des pressions politiques, médiatiques et même popilaires. Ils jugent en droit, rien qu’en droit, et fort heureusement: sinon, on aurait une justice à deux vitesses.
      Enfin, sur l’affaire des femmes battues, certes c’est horrible mais si on autorise de fait celles-ci à tuer leur agresseur, où va-t-on et quel message donne-t-on à la société ? Qu’on a le droit de se faire justice soi-même ?

  2. DANTEC dit :

    D’accord avec vous, M. Liscia.
    Un référendum aurait été favorable a la grâce présidentielle.

  3. mXmF dit :

    En fait, le problème réel est celui de la responsabilité : un couple dont un des membres est alcoolique est souvent considéré comme un couple sadomasochiste dont l’élément moteur est, non pas l’alcoolique sadique, mais en réalité la victime masochiste.
    Laquelle n’est pas responsable de son masochisme, pas plus que l’alcoolique de son sadisme.

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