L’ombre de Marine Le Pen

Hier à la télé
(Photo AFP)

Marine Le Pen domine d’une tête la campagne électorale. Tous les sondages lui accordent la première place au premier tour, avec une avance de trois à quatre points sur son principal adversaire. Hier soir, à la télévision, elle a été regardée par trois millions et demi de spectateurs. En France, et surtout à l’étranger, on craint qu’elle ne l’emporte au second tour.

IL EST VRAI que les mêmes sondages ne lui donnent pas la moindre chance face à François Fillon ou Emmanuel Macron et que le sentiment, dans l’opinion anti-lepéniste, est qu’elle ne sera jamais élue présidente de la République. Mais la campagne a été secouée par tant d’événements surprenants, inattendus ou à peine croyables que l’on doit se demander si, avec la succession des coups de théâtre qui jalonnent la course à la présidence, le candidat arrivé deuxième au premier tour sera assez fort pour éliminer la candidate du Front national au second tour.

Le troisième coup.

De ce point de vue, les malheurs de M. Fillon pourraient être aussi ceux du pays. Si son électorat se détourne de lui et s’éparpille entre la gauche, le centre et l’extrême droite, Mme Le Pen pourrait bien rallier à elle assez de suffrages habituellement réservés à la droite pour assurer sa victoire. Cette éventualité relève du séisme, d’un chambardement politique d’une telle ampleur que non seulement il plongerait la France dans la déréliction mais il détruirait l’Europe. En fait, partout dans le monde, on se pose la question de l’unité européenne dans le contexte d’une élection française qui annoncerait le troisième coup très violent porté à l’UE, après le Brexit et la victoire de Trump. Le signal serait donné d’une débandade des partis classiques face au populisme, d’une chute de l’euro, d’une ascension très rapide des taux d’intérêt, avant même que Mme Le Pen ne mette en pratique les idées contenues dans son programme et auxquelles elle a montré hier soir qu’elle ne renoncerait pas, alors qu’il se traduirait par un appauvrissement de toutes les classes sociales en France et de l’État lui-même, soudain incapable de rembourser ses dettes.

L’euro comme instrument de la victoire.

Le plus agaçant, peut-être, c’est de commencer l’argumentation contre le Front par son programme économique et financier, alors que, pendant des décennies, les opposants à l’extrême droite se sont toujours placés en premier lieu au niveau du respect de la démocratie. Mme Le Pen s’est efforcée d’accorder à l’opinion quelques gages sur ses intentions qui, aujourd’hui, ne seraient pas aussi radicales qu’on le dit, mais qui demeurent, malgré quelques coquetteries de façade, dangereuses pour les libertés. Le Front a accompli un exploit en captant la colère populaire, de sorte qu’il a pris à la gauche une fraction si importante de son électorat qu’il caracole en tête de tous les sondages. Marine Le Pen se bat donc principalement sur le terrain économique et social et c’est la raison pour laquelle, après avoir inculpé l’euro de tous nos maux, elle l’a gardé comme cheval de bataille. Comme tous les démagogues, elle est prête à poursuivre cette bataille absurde, et suicidaire pour la France, contre la monnaie unique parce qu’elle est convaincue que c’est le moyen le plus sûr pour elle d’arriver au pouvoir. Cela revient à dire qu’elle ne voit pas d’inconvénient à ruiner le pays et ses habitants pour gagner contre tous les autres. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.
La crise et le chômage ont créé un désespoir qui facilite la manipulation et le mensonge. La mise au pas de Jean-Marie Le Pen et l’avènement d’une extrême droite plus souriante ont levé les interdits qui maintenaient le FN à 10 ou 12 %. À force de démolir les candidats traditionnels, chacun dans sa spécialité, les Hollande, Sarkozy, Juppé, Valls et Fillon, l’électorat risque de se retrouver au second tour devant un choix bancal susceptible d’assurer par défaut la victoire de Marine Le Pen. Un Fillon affaibli, un Macron encore un peu vert ou, pire, un Hamon mélenchonisé ne suffiraient peut-être pas à triompher d’une Le Pen dopée au populisme.

RICHARD LISCIA

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10 réponses à L’ombre de Marine Le Pen

  1. DANTEC dit :

    Ce que vous dites des risques apocalyptiques de la France quittant l’euro, d’autres l’avaient dit
    l’année dernière pour l’Angleterre, à propos du Brexit, et il se trouve que depuis 6 mois l’économie
    de la Grande-Bretagne est au beau fixe, avec un chômage soue les 5 % .
    Vous affirmez sans argumenter ; vous semblez rester dans le jugement de valeur.

    Réponse
    Je rejette totalement cette analyse fallacieuse. D’abord, la Grande-Bretagne n’a pas commencé à sortir de l’Europe et elle ne peut donc pas subir les inconvénients du Brexit avant de l’avoir mis en oeuvre. Ce qui n’empêche pas la livre sterling d’avoir perdu 20 % de sa valeur, uniquement parce que le Brexit sème la panique sur les marchés. Donc, c’est vous qui affirmez sans argumenter. Ensuite, la France n’est pas la Grande-Bretagne. Elle a deux fois plus de chômeurs, son commerce extérieur est largement déficitaire et sortir de l’euro dans ce contexte de fragilité serait catastrophique (je n’ai jamais employé le mot apocalyptique).
    Je tiens à souligner que mon blog comprend des prises de position très claires et qu’il est inutile d’essayer me faire changer d’avis. Donc je répète que la sortie de l’euro nous appauvrirait tous d’au moins 30 %. L’euro, c’est le mark (excédent du commerce extérieur allemand : 250 milliards d’euros par an). En sortir nous renverrait à la vraie valeur du franc. Voilà pour l’argumentation.

    R.L.

  2. Terrible constat, car Marine Le Pen s’est « apparemment » adoucie, en remplaçant son inaudible père par l’énarque Florian Philippot.
    J’ai tout de même relevé, pêle-mêle dans ses 144 propositions, la taxation pour l’embauche de tout travailleur étranger. C’est la négation de notre pacte républicain, LEF. Avec Marine Le Pen, le vénérable Laboratoire de recherches physiques de la faculté des sciences de Paris, alors dirigé par Gabriel Lippmann, n’aurait peut-être pas eu assez d’argent pour offrir un emploi à la polonaise Marie Sklodowska, non encore Curie.
    Espérons que les Français ne perdront pas leur esprit critique au printemps prochain..

  3. Liberty8 dit :

    Les 20 % qui votent François Fillon risquent, en cas d’élimination de leur candidat, de se reporter sur Marine Le Pen. Ils penseront qu’on leur a volé leur élection, que les médias en sont en grande partie responsables. Et par dépit et colère se reporteront sur le FN qui ne se prive pas de dire tout le mal qu’il pense des journalistes. Ils ne le diront pas lors des sondages, car ce n’est pas politiquement correct ! Idem pour certains « mélenchonistes » .
    Sur les trois millions et demi de spectateurs, le pourcentage qui ont trouvé Mme Le Pen convaincante est très important (80 %, je crois)
    C’est un risque énorme, qui est sous évalué par les sondages. Oui le FN n’a jamais été aussi proche du but et n’oubliez pas : déguisez un loup en agneau , ça reste toujours un loup !

    • Michel de Guibert dit :

      Oui, excellente analyse : Marine Le Pen a toutes ses chances si Fillon est éliminé et qu’elle ne trouve face à elle qu’un candidat de gauche, vraie ou déguisée…

  4. mathieu dit :

    La candidature de Fillon étant mort-née, ou candidature de témoignage, de ce qui aurait pu, ou dû être fait, sans grande chance d’aboutir, à l’issue d’une campagne « chemin de croix », le risque Le Pen est bel et bien réel… Revenez, M. Juppé!

    • Michel de Guibert dit :

      Juppé a les mêmes casseroles, sauf que lui a été condamné pour des emplois fictifs avérés tandis que Fillon est présumé innocent contrairement à la présentation qui en est généralement faite dans la presse qui le présume coupable…

      • Hank dit :

        Il faut comparer ce qui est comparable. Alain Juppé a été condamné pour une histoire d’emplois fictifs qui ne concernaient nullement sa famille, mais des salariés de la mairie de Paris, qui travaillaient en réalité pour le RPR de l’époque..
        Il ne s’agissait donc pas d’une affaire d’enrichissement personnel, mais de financement occulte d’un parti politique. La nuance est de taille…

        • Michel de Guibert dit :

          Certes… et c’est aussi ce que l’on reproche aux élus européens du Front National…

          • lionel dit :

            On reproche cela aux élus européens du FN à juste titre puisque le FN (comme tout autre parti politique) reçoit des subventions pour son fonctionnement. En revanche, lorsque Alain Juppé a utilisé ces emplois fictifs pour financer le RPR il n’existait pas de subventions étatiques. Son « miroir » au PS est H Emmanuelli dans l’affaire Urba. A la suite de ces deux affaires, des subventions de l’Etat ont été élaborées afin d’apporter plus de transparence dans le financement des partis politiques. Je l’ai déjà dit et je le répète, Alain Juppé ne s’est pas fourvoyé personnellement dans cette affaire.

    • Num dit :

      Vous imaginez Juppé revenir après la claque qu’il a pris à la primaire (moins de 35 %) ?
      Il n’aurait aucune légitimité et ses adversaires, mais aussi les électeurs de Fillon, ne se gêneraient pas pour le lui dire. Le remède serait pire que le mal.

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