Le rappel à la réalité

Marine Le Pen hier à Lille
(Photo AFP)

La Guyane, moins de 250 000 habitants, est passée, en moins de trois jours, du mécontentement à la grève générale, pour ne pas dire l’insurrection. Cette crise, très mal gérée par le pouvoir, replace la campagne électorale dans le contexte de tensions politiques croissantes en France.

NON SEULEMENT les gouvernements qui se succèdent depuis des décennies n’ont jamais su apporter aux DOM-TOM les mesures qui les auraient arrachés à la pauvreté, à l’insécurité et à l’exclusion, mais François Hollande traite aujourd’hui cette nouvelle crise guyanaise avec une indifférence coupable. Le gouvernement de Bernard Cazeneuve a décidé de n’envoyer à Cayenne qu’une délégation de hauts fonctionnaires, certes compétents, mais privés de pouvoir de décision, alors que les Guyanais les plus modérés réclament la présence d’un ou deux ministres. La ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts, estime qu’il est trop tôt pour elle pour se rendre en Guyane et elle préfère, en quelque sorte, que des experts aient d’abord démêlé l’écheveau des revendications, comme s’il était possible d’ignorer les facteurs économiques, sociaux et politiques qui expliquent l’agitation populaire dans ce département.

Hollande : mélange des genres.

Mieux, le gouvernement s’indigne de ce que la crise guyanaise soit instrumentalisée par les candidats de l’opposition. M. Cazeneuve a prononcé une déclaration aujourd’hui pour montrer combien l’action du gouvernement pour améliorer le sort des Guyanais a été importante. On est impressionné par les mesures adoptées, mais consterné par l’absence de leurs effets. Le Premier ministre s’est engagé à son tour dans cette mauvaise querelle de l’instrumentalisation au moment où plusieurs ténors des Républicains entendent le poursuivre en justice à la suite des révélations faites dans un livre commun de trois journalistes et dans lequel François Fillon croit avoir trouvé la preuve d’un cabinet noir. Mais, même sans cabinet noir, il semble bien que l’Elysée ait des activités occultes qui ne sont pas conformes à la loi.
M. Hollande, qui est en Asie, son dernier voyage en tant que président, est le premier à mélanger les genres, lui qui voit ses ministres partir chez Emmanuel Macron, Benoît Hamon dévisser par rapport à Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen triompher avant l’heure. Une campagne, surtout celle-ci, qui se présente comme une équation à inconnues multiples, favorise les coups bas, les méchancetés, les déclarations mensongères. Il n’empêche que les propos de M. Hamon font mal aux oreilles, quand il parle, par exemple, de la « trahison » de Manuel Valls qui, se situant à l’autre bout du spectre idéologique, ne saurait être considéré comme traître à la cause du vainqueur de la primaire socialiste : l’ancien Premier ministre, expert des « deux gauches irréconciliables », n’a jamais songé à rejoindre son ancien ministre, même s’il a dit le contraire. M. Hamon, qui réclame que ses rivaux tiennent leurs promesses dans la cadre de la discipline de parti, ressemble à un enfant terrifié par le cruel spectacle des renversements d’alliances. Il se déclare transpercé par de multiples coups de couteau dans le dos. Mais c’est la vie, M. Hamon!
Pendant ce temps, François Fillon, là où il va, est accueilli par des cris de haine, comme « Fillon en prison ! », ce qui continue à plomber sa campagne. Pour le moment, M. Macron caracole en tête des sondages, bénéficie de nombreux ralliements (M. Hamon affirme que M. Valls s’apprête à rejoindre l’ancien ministre qu’il avait tant secoué) et paraît irrésistible. La droite qui prend l’eau, la gauche brisée: Jean-Luc Mélenchon passe devant Benoît Hamon, mais quelle importance ? Il est tellement imbu de lui-même qu’il n’a même pas l’air de voir qu’il conduit l’ensemble de la gauche à la défaite. Il a prévu à juste titre que le candidat du PS serait pris en tenaille entre M. Macron et lui, il n’a jamais dit à quoi aboutirait cette trop subtile stratégie.

Un accès d’ignominie.

On a eu droit pendant le week end à l’un des accès d’ignominie auxquels le Front national nous a accoutumés, ce qui ne nous empêche pas de réagir avec colère. Marine Le Pen a choisi la veille d’une immense manifestation de l’opposition russe à Moscou pour aller rendre visite à Vladimir Poutine. Pour montrer sa carrure internationale, elle a vu Idriss Déby du Tchad, le président libanais et donc le maître du Kremlin qui, bien sûr, n’a pas hésité à arrêter nombre de manifestants et leur chef, Alexeï Navalny. Et pour couronner son forfait, la Marine s’est fait photographier avec un antisémite russe notoire. Voilà donc les Moscovites qui inspirent Mme Le Pen, voilà ce qu’elle nous fera si elle arrive au pouvoir : son premier réflexe consistera à limiter nos libertés, perspective encore plus inquiétante que la faillite nationale à laquelle conduirait l’abandon de l’euro par la France.
Il est désormais convenu de dire qu’il ne faut pas croire les sondages, que n’importe quoi peut arriver, que même M. Fillon a encore une chance parce que l’institut américain qui a prévu la victoire de Trump (Filteris) prévoit aussi celle de l’ancien Premier ministre, que Macron peut s’écrouler sous le poids des indécis, que Marine Le Pen peut gagner si la gauche ne vote pas au second tour, bref : pour un bon pronostic, mieux vaut renoncer.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Le rappel à la réalité

  1. Michel de Guibert dit :

    A propos de la Guyane, signalons à Monsieur Macron que la Guyane n’est pas une île !
    Cf ses déclarations de dimanche soir sur M6 : « Ce qu’il se passe en Guyane depuis plusieurs jours est grave. C’est grave en raison des débordements. Mon premier mot est celui d’un appel au calme parce que bloquer les pistes d’un aéroport, bloquer les décollages, et parfois même bloquer le fonctionnement de l’île ne peut être une réponse apportée à la situation » (sic).

  2. Michel de Guibert dit :

    Lu dans la presse médicale : deux irresponsables !

    Le professeur Joyeux a bénéficié ces derniers jours de deux « soutiens » de la part des candidats à l’élection présidentielle. Rappelons que ce professeur en cancérologie aujourd’hui à la retraite a pris la tête du combat contre les vaccins hexavalents, qu’il s’est parfois aussi fait le chantre de « médecines naturelles » et que ses positions lui ont valu d’être radié de l’Ordre des médecins.
    Ce samedi, en meeting sur l’île de la Réunion, Emmanuel Macron, alors qu’il était interrogé par un membre du public sur la santé et la sécurité sociale, a fait savoir que pour lui le professeur Joyeux « faisait un travail remarquable » dans le domaine des médecines non conventionnelles, qu’il proposait des solutions intéressantes et était un bon exemple de médecin non inféodé aux laboratoires pharmaceutiques…
    Moins étonnant, car déjà connu pour ce genre de prise de position, Nicolas Dupont Aignan, au micro de France Inter a, ce matin, quant à lui expliqué qu’il ne recommandait pas les vaccins non obligatoires et a affirmé les dangers de ceux-ci, en qualifiant de scandale la radiation du Pr Joyeux. Il l’a ainsi présenté, lui aussi, comme un homme indépendant de l’industrie pharmaceutique, que Nicolas Dupont Aignan accuse de « payer » les « experts en vaccinologie ». Il a enfin conclu qu’il « trouve regrettable » que le journaliste Patrick Cohen relaie les « thèses » du « lobby » de l’industrie pharmaceutique…

    On sait au moins pour qui ne pas voter !

  3. SORY dit :

    Excellente synthèse de l’état de mal-être en France.
    Qui la redressera ? Qui croire ?
    Que décidera l’élu ? Au delà de son rêve d’amasser une fortune.
    Alors, soignons nos patients le mieux possible, pour le reste on verra bien.

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