Le Onze de France

Avant la bataille
(Photo AFP)

Le débat télévisé d’hier soir fut passionnant mais il est difficile de dire s’il a déplacé les votes.

C’ETAIT un défi pour les chaînes qui ont organisé cette discussion-fleuve, elles l’ont fort bien relevé. Ne serait-ce que parce que les candidats s’en sont envoyé de vertes et de pas mûres, parce qu’aucun sujet n’a été enterré, parce que la bataille a fait ressortir des éléments d’information qui furent contournés ou cachés dans les débats précédents. Je pense notamment aux « affaires » qui empoisonnent la campagne de François Fillon et de Marine Le Pen et pour lesquelles ni l’un ni l’autre n’avaient construit avant leur prise de parole une argumentation convaincante. Comme si, dans le contexte d’une difficulté judiciaire, il n’y avait pas de défense possible, comme si l’indifférence affichée aux charges dont ils font l’objet leur servait d’armure.

Les « petits » mènent le bal.

A noter aussi que ce sont les candidats dits « petits », ceux dont les chances d’arriver au second tour sont théoriquement nulles, qui ont le plus souvent attaqué M. Fillon et Mme Le Pen sur la totale inadéquation entre ce qu’on leur reproche et les mesures sévères qu’ils proposent. Onze candidats, c’est beaucoup, c’est trop et cela jette une confusion extrême dans une conversation qui en devient inaudible. Mais cela empêche de balayer la poussière sous le tapis. Est-ce que, pour autant, le débat a convaincu l’électorat, a confirmé les choix ou les a changés ? Environ 40 % des électeurs se disaient encore indécis à trois semaines du premier tour. Combien ont pris une décision ? Les sondages nous diront rapidement si l’électorat a bougé. Ce qui empêche la transhumance des électeurs, ce sont, en définitive, les convictions personnelles. Peu de téléspectateurs auront rallié Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud parce qu’ils parlent, avec tant d’éloquence, de ce qui sépare le monde ouvrier, broyé par la mondialisation, de candidats qui ont fait métier d’accumuler des avantages et voient le pouvoir comme une source de privilèges. Il est facile d’ignorer la démonstration d’un orateur dont on a, d’emblée, récusé la crédibilité.
Sur le fond, sur les programmes, il ne m’a pas semblé que les candidats soient allés trop loin. Mais quand vous disposez d’un total de 15 minutes à la fois pour cogner l’adversaire et parer les coups, il vous est difficile de décrire votre vision de l’avenir. Je ne dis pas qu’il faille oublier les affaires pour parler du fond mais le débat était intense (et utile à la démystification) quand Benoît Hamon a attaqué Jean-Luc Mélenchon au sujet d’une politique européenne dont l’issue inéluctable est le « Frexit ».

Personne n’a honte.

Maintenant que le spectacle est terminé, qu’en reste-t-il ? Il n’est pas vain de rappeler que le rapport des forces actuel est très fragile et qu’il est appelé à se modifier. L’analyse n’est pas trop audacieuse qui prévoit que le schisme Hamon-Mélenchon interdit à la gauche tout espoir de figurer au second tour, même si M. Hamon remonte la pente ou si M. Mélenchon la redescend. Rien, au cours du débat, ne semblait d’ailleurs indiquer une telle évolution. A droite, la seule question porte sur le sort de François Fillon. Ses amis sont convaincus qu’il ré-éditera son exploit de la primaire, avec une remontée fulgurante trois jours avant le 23 avril. Les fillonistes, jamais à court d’une idée exotique, parlent d’un « vote caché » qui ne s’exprimerait pas dans les enquêtes d’opinion mais s’exprimera, promis, juré, lors du premier tour. Et d’exposer une analyse selon laquelle les gens auraient « honte » d’avouer leur choix de Fillon. Honte ? Qui a honte de nos jours ? Cette campagne a ouvert la vanne d’un flot irrésistible de démagogie. On y dit ce qu’on veut, il suffit pour le savoir d’avoir suivi l’émission d’hier.
Mais surtout, l’électorat est un monde fini. Il n’y a jamais plus de 100 % d’électeurs. M. Fillon est en perte de vitesse parce qu’une partie des gens qui votent en faveur du parti Les Républicains, sont allés chez M. Macron. Pour que M. Fillon retrouve sa pôle position, il faut qu’au moins deux millions d’électeurs fassent le trajet inverse de manière que l’ancien Premier ministre ait une chance d’arriver deuxième au premier tour. La tâche est ardue.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Le Onze de France

  1. liberty8 dit :

    Petit microcosme d’un cabinet médical : mes patients sont en pleine hésitation, leur choix : Macron ou Fillon.
    Dupont-Aignan plait aussi. Le Pen, ils doivent ne pas oser me le dire.
    Ceux qui doutent si on les titille, voteront pour un programme en fin de compte et jetteront leur bulletin dans l’urne en détournant les yeux.
    Alors pour Fillon la « tâche est ardue » certes, mais pas impossible.
    Même les médias, les sondages, avouent leur incapacité à designer les deux candidats du deuxième tour. Réponse dans 15 jours.

  2. Michel de Guibert dit :

    « Ne discutez pas entre vous, c’est un débat »… le Grand Débat vu par les animatrices du grand débat !.

  3. Patrice Martin dit :

    Idem chez moi, plus de fillonistes que je ne l’aurais cru. Certains très démotivés, j’ai réussi à en remettre quelques uns dans le sens de la marche en évoquant le projet et les perspectives grecques à court terme avec les autres programmes. Quand on me parle emplois fictifs ou costumes, je réponds coiffeur. C’est bien la première fois que j’évoque une élection présidentielle avec mes patients.

  4. CHARPENTIER dit :

    Beau billet comme d’habitude.
    Mais, au sujet de P. Poutou et N. Arthaud, j’ai d’abord lu : « Peu de télé spectateurs auront raillé… ».
    Me suis-je trompé ?
    Cordialement

    Réponse
    Désolé, mais c’était bien « rallié ».

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