Le coup d’Amiens

Le Pen à Amiens
( Photo AFP)

L’hystérisation de la campagne, voulue par Marine Le Pen, incite à l’humilité. Les faits secondaires sont interprétés par l’opinion et par les médias comme des événements décisifs. La candidate du Front national, qui multiplie les coups de communication, espère accumuler davantage de voix dans la perspective des législatives.

EMMANUEL MACRON, a sans doute manqué de vivacité au lendemain du premier tour. Plutôt que de se réjouir, un peu bruyamment, de son succès, il aurait dû entrer en campagne immédiatement. Rien, cependant, ne lui permettait de prévoir que Mme Le Pen le court-circuiterait en se rendant auprès des ouvriers de Whirlpool, à Amiens, avant lui. L’initiative de la candidate a été saluée par la presse, celle-là même qui lui est hostile. Mme Le Pen, qui est restée quelques instants à Amiens, a déclaré qu’il était possible de protéger les employés de Whirlpool. « Quand on veut, on peut », a-t-elle affirmé, ce qui constitue un gros mensonge. On peut nationaliser Whirlpool-France ; l’usine ne sera pas viable pour autant car elle sera concurrencée par une entreprise située en Pologne qui vendra les mêmes produits, mais moins cher. M. Macron en revanche, a passé plus d’une heure avec la représentation syndicale, puis, sous les sifflets et les quolibets, il est allé dire aux ouvriers la vérité : il n’est pas en mesure de leur promettre de les sauver, on ne règle pas le problème de la délocalisation par des selfies innocents et inutiles, et le maintien des entreprises en difficulté passe par des réformes structurelles, c’est-à-dire par une baisse des coûts salariaux.

Le courage de Macron.

M. Macron a eu du courage d’aller s’exposer à une foule remontée contre lui. Il a eu du courage quand il a refusé de lui mentir, ce que Mme Le Pen fait tous les jours. Il a eu du courage en poursuivant, non sans acharnement, une conversation pénible dans un climat lourd. Cela étant, la presse, en général, le considère comme le perdant de cet épisode. C’est possible, mais c’est parfaitement injuste. Peu importe, d’ailleurs. Au moment même où nous nous penchions avec compassion sur le cas de 290 salariés, dont personne ne nie la souffrance, l’INSEE annonçait une hausse du nombre de chômeurs de quelque 43 000, ce qui n’a pas donné lieu à des commentaires épouvantés tant nous sommes tous absorbés par la campagne. Mme Le Pen se sert, comme d’habitude, du désespoir de ceux qui vont perdre leur emploi, M. Macron leur tient le langage de la sincérité.
Mais, de toute façon, il ne s’agit pas, ici, de glorifier le candidat d’En Marche !. Il ne s’agit pas d’ignorer les erreurs qu’il commet. Il ne s’agit pas de se ranger derrière son panache blanc. Il ne s’agit pas de ne jurer que par lui et de lui trouver les mille qualités qu’on n’avait pas décelées avant le premier tour. Il s’agit de dire que, pour les gens raisonnables et sensés, Mme Le Pen ne représente pas un choix politique. Elle, qui prétend représenter une France apaisée, ne cesse de cracher son venin. Elle ne s’appelle plus Le Pen, mais Marine. Elle n’a qu’un prénom. Elle croit gommer la souche fasciste léguée par son père en oubliant sa famille, alors qu’elle n’est rien d’autre que l’héritière d’une dynastie fondée sur le malheur des pauvres, sur l’intolérance, la peur et la haine de l’autre. Elle prétend parler « au nom du peuple », alors qu’elle est minoritaire. Elle ne veut pas qu’on assimile le Front national à l’extrême droite. Mais alors, qu’est-ce qu’elle est ? Si elle est seulement de droite, que ne prend-elle sa carte chez les Républicains et qu’elle nous épargne sa campagne vénéneuse !
M. Macron a montré mercredi à Amiens qu’il sait se battre. Il doit continuer à le faire. Il doit, effectivement, et dans la mesure du possible, essayer de se montrer en tous points exemplaire car il a voulu, et obtenu, l’immense responsabilité d’arracher le pays à ses tentations les plus délétères.

L’absence de Front républicain.

Une fois encore, je dénonce l’absence de Front républicain, celui-là même qui s’est constitué spontanément au lendemain du 21 avril 2002 et a permis à Jacques Chirac d’écraser Jean-Marie Le Pen par un rapport 82/18. Je dénonce les entraves faites au nom de je ne sais quelle objectivité à la réussite de M. Macron au second tour. Je dénonce les manoeuvres minables de ces politiciens qui ne comprennent même pas que, si par hasard Mme Le Pen avait une chance de l’emporter, ils seraient tous balayés par l’ouragan que déclencherait sa victoire. Je dénonce tous ceux qui se prétendent de gauche et ne demandent pas à leurs électeurs de voter Macron. Je sais que les citoyens sont libres, j’admets qu’ils ne sont pas influençables, je suppose que, comme en 2002, ils voteront massivement en faveur de la démocratie. Mais il ne faut pas négliger le nombre de voix obtenus par Mme Le Pen au premier tour, supérieur à celui de 2012. Ni l’implantation du FN dans les communes, les départements et les régions. Pour extirper ce mal français, une victoire ric-rac de M. Macron ne suffit pas. Pour renvoyer Mme Le Pen dans les cordes, les démocrates doivent lui infliger plus qu’une défaite, une déroute, celle qui l’écarterait durablement de la compétition politique.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à Le coup d’Amiens

  1. liberty8 dit :

    Hélas Le Pen n’aura pas de déroute, les temps ont changé, la dépression financière et surtout psychologique qui touche notre pays est passée par là. Mais le score ne bouge pas, à presque une semaine de campagne, autour de 60/40. Une majorité forte de Français a bien compris le risque des idées Le Pen.
    Macron commence enfin à montrer les dents, il se bouge enfin. Qu’il continue comme cela et surtout, le 3 mai, qu’il ne se laisse pas manœuvrer par Le Pen et ça devrait passer.

    Réponse
    Tout à fait d’accord.
    R.L.

  2. Antoine Martin dit :

    La vue des auditoires de dimanche soir était passionnante mais ne nous montrait que cette France coupée en deux bien connue : les « insiders », chemise blanche, jeunes et n’ayant rien à craindre de la mondialisation avec laquelle ils jouent/ parc des expositions Paris ; en face les « outsiders », peinant à s’exprimer, appartenant aux territoires perdus de la République mais qui ne veulent pas être oubliés/ Hénin-Beaumont.
    Il est bien évident que Marine Le Pen sait trouver les mots qui portent et que cet auditoire est conquis mais cela sera-t-il suffisant pour l’emporter ? La victoire de Trump montre que le petit blanc existe encore.

    Réponse.
    Oui, le petit blanc existe encore, la petite France rabougrie, les incohérences de Trump, les incohérences du projet du Front, tout cela existe. Elle sait trouver les mots qui portent ? Hitler aussi savait trouver les mots qui portent, Mélenchon aussi sait trouver les mots qui portent, et Mussolini, et Castro. Bienvenue dans le camp du totalitarisme. Il faudrait vraiment que « le petit blanc » fasse l’expérience du FN au pouvoir pour qu’il comprenne qu’il a voté contre lui-même.

    • Antoine Martin dit :

      Effectivement je pense qu’il faudra passer par une expérience FN pour prouver aux oubliés de la mondialisation que le FN ne fait pas mieux que les autres voire plutôt moins bien en l’occurrence pour le projet de MLP pour les présidentielles.
      Y a-t-il eu des scandales dans les municipalités FN et sont-elles moins bien gérées que les autres ?
      Vos propos traitant de « rabougris » les électeurs de MLP ne vous honorent pas; les connaissez vous ces travailleurs de l’agro-alimentaire (je travaille en Bretagne) se levant à 4h du matin pour 8 h de travail à 3 degrés dans des chaines d’abattoir pour un SMIC en sachant que dans 10 ou 20 ans ce sera le même programme avec 100 ou 200 euros de plus. François Hollande a refiscalisé les heures supplémentaires et leur a fait perdre 200 ou 300 euros par mois. J’aurai (vous auriez) pu être à leur place et la privilège de la naissance nous en a sauvegardés.
      J’ai beaucoup de compassion pour eux.

      Réponse
      Avant de me juger, vous devriez vous interroger sur ce que je suis. Manifestement, vous n’en avez pas la moindre idée, ce qui est une coupable ignorance pour quelqu’un qui aime écrire pour le public. Vous seriez surpris par le niveau de mes revenus, vous seriez surpris par le travail que j’ai fourni pendant vingt ans lorsque je dirigeais les rédactions du groupe Quotidien, de l’ordre de 50 à 60 heures par semaine, six jours sur sept. Les travailleurs de Bretagne, pour commencer, ne votent pas nécessairement pour le FN. Ils ne travaillent pas plus que moi et ne gagnent pas moins que moi, et avec ça je suis à la retraite. Ils méritent certainement votre compassion, mais venant d’un homme qui manque à ce point de respect pour celui qui l’accueille dans ses colonnes, je ne suis pas sûr que ça les intéresse. Je n’accepterai plus les attaques personnelles et infondées de ce genre. Je n’ai, de surcroît, bénéficié d’aucune privilège « lié à ma naissance ». Je n’ai jamais dû les responsabilités qui m’ont été confiées qu’à une bonne connaissance de mon métier. Le procès que vous me faites est donc particulièrement odieux. Enfin, les municipalités FN sont, c’est bien connu, non seulement très mal gérées pour la plupart, elles ont instauré la discrimination, comme dans le magnifique Béziers de Robert Ménard, et je vous demande de me citer une seule de ces communes où le sort des pauvres a été amélioré, où le chômage a diminué, où le pouvoir d’achat a augmenté. Vous avez perdu une belle occasion de vous taire et je ne vois pas pourquoi je devrais continuer à publier des propos que je juge scandaleux, ad hominem (ce qui n’a rien à voir avec le débat politique) et diffamatoires. J’espère que vous m’avez compris.
      R.L.

      • Antoine Martin dit :

        Dommage car j’apprécie beaucoup votre tribune et j’ai juste réagi au terme « rabougri » que je trouve excessif .
        Naturellement qu’ils ne votent pas tous FN même si ce parti perce même dans ces vieilles terres démocrate-chrétiennes mais leur discours est triste et tragique .
        Il y a beaucoup de ces travailleurs qui pourraient être à ma place s’ils étaient nés à la mienne et le determinisme de la naissance reste très important, difficile à nier .
        Le FN a beau jeu et persiste dans la vocifération et l’invective ; le confronter au réel (la gestion de villes ou de régions ; le fiasco assez ancien de Toulon n’a pas assez été rappelé) sera la meilleure manière pour dégonfler la baudruche qu’est le FN.

        Réponse
        Un peu de dignité vous aurait incité à m’adresser des excuses.
        R.L.

  3. mathieu dit :

    Si déjà 40 % des Français sont atteints par le « mal », que faudra-t-il faire quand (peut-être en 2022 ?) ils approcheront les 50 %, à part supprimer le suffrage universel? Les trois derniers présidents de la République – et vraisemblablement le suivant – ont mis tout en œuvre pour éradiquer ce mal. Résultat, il est plus haut à chaque élection ! Quand le peuple se trompe (référendum européen), on annule son vote par un tournemain législatif…mais on le paie quelques années plus tard. Les esprits éclairés commencent à entrevoir concrètement les limites (jusqu’ici théoriques) de notre précieuse démocratie. Y a-t-il des bons et des mauvais Français, ou des Français qui s’expriment et dont la majorité aura forcément raison, même si elle est déraisonnable. Les Français conservateurs ont eu massivement tort quand ils ont désigné Fillon à la primaire…mais on l’a compris un peu tard, quand les jeux étaient faits. 2 millions 900 000 bulletins ont scellé le sort de 65 millions de français (électoralement parlant) en verrouillant le scrutin derrière un candidat de droite donné perdant à 5 contre un. Mais la démocratie est un jeu de poker qui a ses règles (c’est même à ça qu’on la reconnaît), et il est rassurant qu’elles soient intangibles, même si le français ne vote pas toujours « comme il faut ».

    Réponse
    Il ne s’agit pas du tout de changer le vote des Français. Il s’agit d’apporter à la crise des solutions qui changent le vote. Voir le triomphe des idées du FN comme une fatalité, c’est abandonner le combat pour la démocratie.
    R.L.

    • FLAMENT ROSE MICHELE dit :

      Il serait démocrate, c’est-à-dire respectueux de chacun à tout point de vue, de cesser de donner des leçons magistrales sur la démocratie alors même que cette attitude est l’exact contraire de ce qu’on écrit.
      Comme c’est devenu la règle de plus en plus, les « bien pensants » s’arrogent des droits de penser mieux que les autres, surtout s’ils ne font pas partie des élites. L’exemple, c’est la réponse qui vient d’être faite à ces observations globalement très recevables de Mathieu mais encore une fois non écoutées, alors même qu’elles expliquent que c’est la raison du malaise profond et qu’on le veuille ou pas, c’est là l’expression de la démocratie, la vraie.
      Le dernier mot est toujours celui de la majorité (nombre), l’Histoire est pleine de ces constats. Il est parfois long à venir mais il n’arrive jamais sans prévenir. Encore faut il que ceux que détiennent le pouvoir et leur »vérité et définition « de la démocratie entendent.
      Ce qui est en cause, ce n’est pas le concept de démocratie mais l’incapacité à régler des problèmes qui finalement provoque des mécontentements que l’on nomme défaut ou limite de démocratie plutôt que de remettre en cause la justesse des actions et des définitions ! et conduisent à culpabiliser ceux qui subissent et qui refusent de continuer ainsi plutôt que de reconnaître que ceux qui n’ont pas été à la hauteur sont ceux qui mènent les politiques.
      Quant à M. Macron, à qui je reconnais de grandes qualités, je souris crispée quand on parle de son ascension « démocratique », quelle démocratie quand elle est imposée par l’argent et les manoeuvres cachées ? celle-là même qui amènent les extrêmes contre lesquels ils faut faire le front républicain….et la boucle est bouclée et tournera jusqu’à la prochaine révolution!

      NB je ne vote ni Mme Le Pen, ni M. Macron mais je vote et j’agis au quotidien toute ma vie, notamment pour la connaissance et la sauvegarde de la liberté (donc du respect dû à chacun), notamment intellectuelle.

      Réponse
      Il me semble plutôt que la meilleure façon de conduire la bataille en faveur de la démocratie, c’est de résister à un mouvement qui, s’il devient majoritaire, n’en est pas moins un poison pour la démocratie. Nous avons tous la mémoire courte. La majorité en 1940 était pétainiste. Après la Résistance, la majorité en France est devenue gaulliste. Si des hommes et des femmes courageux, d’ailleurs peu nombreux, ne s’étaient pas opposés à la majorité pétainiste, nous n’aurions pas figuré dans l’alliance occidentale qui a triomphé du nazisme.

      R.L.

  4. mathieu dit :

    Nous sommes foncièrement d’accord, mais depuis 1995, et 8 gouvernements successifs/ 8 premiers ministres, dont 4 de droite, tous animés par la même volonté de re-marginaliser le FN par une politique socio-économique vertueuse (lois-retraite, lois-travail, libéralisation du travail, auto-entreprise, lois anti-voile, défense de la laïcité, lutte anti-terroriste, programme de déradicalisation, lois judiciaires, rassemblements républicains, « je suis charlie », etc), le FN gagne inexorablement 1% tous les ans que Dieu fait…

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