Triomphe ou scandale

Pour la proportionnelle
(Photo AFP)

La victoire remportée par la République en marche au premier tour des législatives continue d’animer un débat qui confine à l’absurde dès lors qu’il est question de rendre le mouvement de M. Macron responsable de la déroute de tous les autres partis et de lui reprocher, en quelque sorte, d’avoir gagné.

CE N’EST PAS Emmanuel Macron qui a inventé le mode de scrutin ; ce n’est pas lui qui a empêché la moitié des électeurs de se rendre aux urnes ; ce n’est pas lui qui a prévu de dominer l’Assemblée nationale avec seulement 15,39 % des inscrits. Il a mis au point une stratégie, s’y est tenu et a ramassé la mise. N’importe qui à sa place en aurait fait tout autant. Les gémissements, de droite et de gauche, sur l’hégémonie de la République en marche semblent inspirés par quelque injustice que REM leur aurait faite, par quelque manoeuvre perfide qui l’aurait conduite au succès. Ajoutée au « dégagisme » ambiant, la démoralisation des troupes, notamment à l’extrême droite et à l’extrême gauche, ont fait le travail. On peut lire quelques commentaires nourris de ressentiment : en France, on aime encore moins la victoire que l’argent. L’hégémonie de REM l’oblige, dit-on. Ces députés jeunes, qui ne connaissent rien aux arcanes de l’Assemblée et risquent, explique-t-on, de se laisser enivrer par leur puissance excessive, pourraient, s’ils ne respectent pas les traditions de l’hémicycle, devenir un danger pour la démocratie. Bien entendu, le mal eût été moins grave si le FN ou la France insoumise s’étaient emparés de tous les attributs du pouvoir.

Contre-performances.

Il est difficile de comprendre des reproches et des critiques adressés à un pouvoir qui tire sa force du seul suffrage universel. Les jamais contents semblent oublier ce qui a conduit à cette impasse les partis concurrents de la République en marche. Ce n’est pas la faute de M. Macron si son prédécesseur s’est retiré de la course et si le programme du PS a lamentablement échoué. Ce n’est pas sa faute si Manuel Valls a littéralement incité l’ancien ministre de l’Économie à quitter son poste, si bien que le jeune homme s’est lancé courageusement dans une autre aventure, qui a réussi au-delà de tous ses espoirs. Ce n’est pas sa faute si la droite s’est entêtée à garder son homme-lige, François Fillon, alors que son échec était écrit. Ce n’est pas sa faute si Marine Le Pen a accompli pendant le débat d’entre deux tours une prestation atroce qui l’a peut-être décrédibilisée définitivement. Ce n’est pas sa faute si Jean-Luc Mélenchon n’a cessé d’annoncer des lendemains qui chantent pour échouer comme les autres. Toutes ces contre-performances expliquent que la moitié des inscrits ne soit pas allée voter au premier tour.

Un procès en suprématie.

Cette moitié-là peut encore défier tous les sondages et voter pour la droite, la gauche et les extrêmes au second tour. Magnanime, le Premier ministre, Édouard Philippe, incite ses concitoyens à se rendre massivement aux urnes, un peu comme s’il était embarrassé par sa victoire depuis qu’on lui fait un procès en suprématie. M. Philippe annonce aussi que, conformément à un engagement pris par le candidat Macron, une dose de proportionnelle sera introduite dans le scrutin en même temps que sera limité le nombre de circonscriptions. C’est la meilleure réponse aux censeurs du nouveau pouvoir : je ne pouvais pas saboter ma campagne, mais je peux changer maintenant quelques dispositions institutionnelles réclamées par tous. Il faut rappeler ici que le scrutin majoritaire n’est pas responsable de l’extraordinaire engouement des Français pour la République en marche. Il est dû principalement à une abstention record qui accentue les résultats obtenus par REM et, plus simplement, aux erreurs stratégiques commises par la droite, la gauche et l’extrême droite. Plus tard, quand la proportionnelle sera réintroduite dans le scrutin, les premiers à le déplorer seront les partis qui auront repris du poil de la bête et espèreront un retour en grâce auprès des électeurs. L’une des contradictions les plus flagrantes de ces interminables élections à huit tours (autre explication de la lassitude des stakhanovistes des urnes), c’est cette droite qui se dit gaulliste mais qui, dans son désarroi et sa perplexité, en arrive à réclamer un mode de scrutin qui trahit la Vè république. Je ne vois pas pourquoi des formations politiques qui ont si mal combattu sur le champ de bataille électoral ne passeraient pas quelques années dans l’opposition, et ne prendraient pas le temps de se réformer elles aussi.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à Triomphe ou scandale

  1. liberty8 dit :

    Il est incroyable d’entendre ce qui se dit sur les ondes et aussi sur ce forum. LREM n’est pas représentative car elle est élue avec seulement 15 % des inscrits !
    Certains ex-députés accusent leur parti (parfois à juste titre), d’autres disent que les électeurs sont des ingrats, à la limite des imbéciles. Qu’un âne avec l’étiquette LREM serait élu à tous les coups.
    Le seule bonne question à se poser c’est pourquoi un tel raz-de-marée sur une abstention record. Certainement pas à cause du beau temps, comme on l’a aussi dit. Tout simplement parce que les Français ont cette fois exprimé leur ras-le-bol des formations anciennes et inefficaces, soit en votant LREM, soit en s’abstenant.
    La faute donc à nos partis en tout genre comme cela est expliqué dans cet article.
    Alors, assez de mauvaise foi, de mauvais perdants, d’accuser son chien de la rage pour s’en débarrasser.
    Macron a réussi son pari, par son élection et par son parti, c’est lui qui détient à ce jour ce à quoi les Français aspirent.
    Tout le reste n’est que procès de bas étage, inaudible pour un peuple qui veut changer.
    Soit on prend le train du progrès, de l’avenir, soit on reste sur le quai à couper les vermicelles en quatre.

    • Num dit :

      Attention au trompe-l’oeil du nombre de députés élus : 68 % des Francais ayant pris la peine d’aller voter n’ont pas voté pour REM.

  2. JB7 dit :

    Les réactions de certains des anciens députés sont profondément choquantes et à la limite du déni de la démocratie. Non, leur siège ne leur appartenait pas, ils avaient seulement gagné le droit de l’occuper pour 5 ans. La démocratie c’est aussi d’accepter le vote des électeurs qu’il vous soit favorable ou défavorable !
    Pour le reste tout a été dit (et parfaitement argumenté) par Richard Liscia et par Liberty 8,

    PS : proposition de sujet pour un billet dans les prochains mois. La majorité des futurs députés LREM ont un emploi dans la vie active et ont étés confrontés régulièrement à la paperasse inutile et chronophage , aux obligations administratives compliquées et incompréhensibles, aux obstacles qui bloquent le développement d’une entreprise , peut-être est-ce une chance pour réformer en priorité tout ce qui bloque et paralyse la France depuis des années ?

  3. Num dit :

    Personne ne conteste la victoire de Macron ni de REM et leur droit de gouverner.
    Pour autant, ne pas voir le problème démocratique que pose une assemblée composée aux trois-quarts de députés du parti majoritaire (qui ne pèse que 32 % des électeurs) et d’une opposition réduite à portion congrue relève de la cécité.
    Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il faut la promotionnelle intégrale.

    Réponse
    Comment une opposition plus forte, comme dans de précédentes législatives, a-t-elle empêché une majorité absolue de gouverner?
    R.L.

    • Num dit :

      C’est un garde-fou qui empêche une majorité pléthorique de ceder à une forme de tentation hégémonique et qui surtout permet d’exprimer l’opposition au sein de l’Assemblée plutôt que dans la rue uniquement.
      Sinon à quoi bon élire des députés ? Autant de donner tous les pouvoirs au gouvernement.

      Réponse
      Donc, il faut taxer REM de quelques millions de votes pour rétablir l’équilibre ?
      R.L.

  4. jp sapin dit :

    A quoi les 51 % de Français qui se sont abstenus aspirent-ils ?

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