Le coût des J.O.

Anne Hidalgo avec le maire de L.A.
(Photo AFP)

Faire entendre une voix discordante dans la chorale nationale qui chante le bonheur d’accueillir les jeux Olympiques à Paris relève de la gageure ou de l’entreprise suicidaire. Il ne nous semble pas inutile pour autant de semer le grain de notre scepticisme.

ON NOUS PRESENTE toujours la tenue des J.O. en France comme une nécessité dont dépendraient notre honneur, notre joie de vivre, notre développement économique et social, notre avenir. Les arguments en faveur de Paris sont innombrables : en 2024, il y aura un siècle que nous n’aurons pas vu les J.O. dans la capitale ; les retombées économiques nous enrichiront à coup sûr ; le sport en France, toutes disciplines confondues, est une passion ; nous méritons à plus d’un titre le prestige associé à cette manifestation mondiale et forcément historique ; les sportifs français, encouragés par notre avantage de pays-hôte, recueilleront encore plus de médailles ; la France, pour diverses raisons liées à un regain de croissance, à des élections qui viennent d’assurer notre stabilité politique, à un nouvel optimisme que n’entament pas les efforts de l’opposition, est en ce moment dans un mouvement ascendant capable de durer jusqu’à la date des jeux, et au-delà.

Le budget sera dépassé.

Heureusement, un budget est prévu : 6,5 milliards d’euros. Nous possédons déjà quelques infrastructures essentielles qu’il suffira d’améliorer. Des compétitions auront lieu un peu partout, déversant leur manne sur l’ensemble du pays, en même temps que le peuple, confiant et joyeux, s’associera à l’exploit de mettre en place une opération très complexe. On me permettra néanmoins de douter que le budget annoncé ne soit pas dépassé, même si nous obtenons la date de 2024, la moins éloignée. Toutefois, même à sept années de distance, l’inflation et les retournements de conjoncture risquent de rendre les J.O. hors de prix. Il est rare qu’ils rapportent de l’argent et nous avons pu voir, en Grèce et au Brésil notamment, qu’ils se sont traduits par une perte sèche sans pour autant satisfaire les Grecs et les Brésiliens, ceux-ci ayant manifesté massivement pour empêcher la tenue des J.O. dans leur pays. Il est vrai que les jeux font de la ville où ils ont lieu une capitale mondiale ; il est vrai qu’ils attirent un nombre élevé de spectateurs venus du monde entier et qu’ils représentent un stimulant durable pour le tourisme. Mais comment ignorer que les aléas rendent imprévisibles les conséquences, bonnes ou mauvaises, de l’événement ? Il faudra en effet construire une cité olympique dont nous devrons prouver qu’elle servira à la France après la fin des J.O.
La ville et l’Etat (avec la prestation convaincante du président de la République) ont pris l’affaire en main, comme il se doit. Et même si la moitié des fonds viennent du privé, il s’agit principalement d’une décision politique, d’un investissement (le maître-mot) public à classer non pas dans les dépenses à perte mais dans les dépenses productives, comme on nous le claironne tous les jours. A quoi s’ajoute, dans le cas présent, une méthode fantaisiste pour le choix du Comité international olympique. Il n’a pas décidé qui aurait les jeux ou plutôt il a décidé que Paris et Los Angeles concluraient un accord pour l’attribution en 2024 et 2028, accord qui se négocie en ce moment même et doit être trouvé en septembre, avant que le CIO ne l’entérine.

Imbroglio budgétaire.

Paris, le gouvernement et les instances sportives, dans un consensus parfait, militent pour 2024, alors que 2028 aurait au moins l’avantage de nous laisser le temps de nous préparer, de faire un tour de table avec les entreprises privées, d’économiser les sommes indispensables à un accueil qui restera dans toutes les mémoires. Mais non, tout le monde, la maire de Paris, Anne Hidalgo en tête, est favorable à 2024.
On ne peut s’empêcher de comparer le coût des J.O. aux difficultés actuelles du gouvernement dans l’élaboration du budget. En quelques jours, il a changé au moins deux fois de position sur le niveau des impôts et sur celui des économies à faire sur les dépenses publiques. Il va sortir comme il peut de l’imbroglio budgétaire de 2017 et nous promet, pour 2018, une baisse des impôts et une réduction des dépenses. A six ans des J.O., il ne sera pas trop tôt pour en prévoir le financement, pour s’assurer que les visiteurs seront accueillis décemment, pour éviter que, à la faveur de ce grand événement, Paris ne sera pas soumis à un niveau élevé de pollution et pour faire en sorte que ceux qui, J.O. ou pas, continueront à se rendre à leur travail et à en revenir, ne seront pas placés dans une situation inconfortable.

RICHARD LISCIA

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6 réponses à Le coût des J.O.

  1. desp 17 dit :

    Cela fait du bien d’entendre sur ce sujet une voix raisonnablement discordante.

  2. Juvi dit :

    Votre voix « discordante » est celle de la raison garder, et qu’on appréciera même rétrospectivement, hélas. Un pays surendetté comme la France devrait fuir les manifestations gaulliennes de pur prestige qui s’avèrent des gouffres financiers (cf Concorde, le France). Paris se suffit à lui-même sans publicité pour faire venir ses visiteurs. On peut aussi craindre un effet repoussoir avec les nouvelles « No-go zones » très médiatisées et passage obligé pour gagner le Stade de France, par la Porte de la Chapelle, outre que ce trajet est la proie des pilleurs de diligences modernes. Il eut fallu renvoyer cette patate chaude à d’autres amateurs.

    • JB7 dit :

      Entièrement d’accord. Cela risque bel et bien d’être un gouffre financier, puisque Paris est déjà mondialement connu et n’aura aucune retombée en termes d’augmentation du tourisme. Au contraire, ce sera une excellente opportunité pour les journalistes étrangers de faire des reportages sur « la face cachée » de Paris : nombreux pickpockets, certains quartiers peu fréquentables, agressions fréquentes sur certaines lignes de métro, etc, etc…
      Paris risque donc d’investir beaucoup et de récolter seulement une forte dépréciation de son image à l’étranger.

  3. Patrick Delahousse dit :

    Bravo pour cette analyse ô combien pertinente de ce que l’on pourrait appeler le premier gros « couac » de notre nouveau gouvernement.

  4. Simon Pi dit :

    Tout à fait d’accord avec vous.
    Mais dans le concert de louanges destiné à encenser l’organisation des JO à Paris en 2024, ceux qui se rebellent au nom de la dette sont au mieux des grincheux, au pire d’affreux pingres. La propagande unanime qui se déploie fait penser à l’avant campagne présidentielle. Nous assistons à la « soviétisation » des esprits.
    Deux autres aspects doivent être évoqués :
    Les embarras de la circulation, et Paris sera encore plus infernal qu’aujourd’hui.
    La sécurité, car hélas les terroristes islamistes ne seront pas encore neutralisés
    et pourront s’en donner à « mort-joie » de leur haine mortifère.
    Sans oublier que dans ce maelström, le bois de Boulogne disparaîtra corps et biens.

    Je fais partie des 2/3 de Français qui n’approuvent cet enthousiasme factice.

  5. Thierry Deregnaucourt dit :

    Est-ce de n’avoir osé les décrire telles que nous sentions qu’elles étaient lorsqu’elles ont émergé, que les choses ont empiré de ces silences?
    L’engouement pour les J.O. qui seraient organisés à Paris est aussi puéril que celui de l’accueil des migrants ; il est simple, dénonçons-le ; c’est celui qui en tombant du centième étage d’un immeuble dit à chaque niveau ; « Jusque là, ça va !». Il s’y ajoute un brin d’orgueil hidalgesque et présidentiel « de réussir aussi cela ».
    Disons les choses brutalement ; 6,5 milliards d’euros. On peut les avoir ? Alors avec cette somme, demandons la même bonne volonté pour créer des emplois et lutter contre la misère et la maladie, permettre à nos agriculteurs de vivre décemment.
    Que manque-t-il à la France actuellement ? Du lustre ? Du panache ? Une renommée ? Allez demander à ceux à qui on a promis que, grâce à ce gouvernement, les choses allaient changer! Et n’allez surtout pas nous dire que ceux-là ont avant tout besoin des valeurs symboliques véhiculées par de possibles victoires au J.O. !

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