Armées : le jour d’après

Le général François Lecointre
(Photo AFP)

Waterloo, morne plaine… Le président de la République mesure aujourd’hui, en lisant une presse déchaînée contre lui, la dimension du scandale qu’il a provoqué en ne laissant pas d’autre choix au général Pierre de Villiers que la démission.

DANS LA CHALEUR de l’été, les passions politico-militaires ont pris la tournure d’un immense incendie. Emmanuel Macron n’a sûrement pas prévu les retombées nucléaires de son comportement à l’égard du général et, même s’il avait raison sur tous les points, le voilà en rupture avec une institution plus que jamais essentielle à la survie de la nation et qui, de surcroît, n’a certes pas mérité l’humiliation qu’il lui a infligée. Pourtant, avec l’habileté qu’on lui reconnaît souvent, il avait réservé son premier voyage à nos troupes qui combattent au Mali, rendu visite aux blessés de guerre à l’hôpital Perry, s’était fait héli-treuillé sur un sous-marin. Il aurait pu laisser passer la colère du général de Villiers, qui n’a pas cherché à contester son autorité, sans réagir. Il a préféré ajouter un clash politique à une crise déclenchée par une réduction budgétaire plutôt inique. Il s’agit d’une erreur sérieuse d’évaluation des conséquences de ses actes.

Le voyage à Istres.

Cependant, le président de la République n’a pas montré, jusqu’à présent, qu’il errait dans des terres inconnues, qu’il s’agisse de l’armée ou de toute autre institution. Dans ces conditions, on se demande ce qui l’a incité à agir avec une certaine brutalité. D’aucuns mettent son comportement sur le compte d’une ignorance aggravée par le fait qu’il n’a pas fait de service militaire. L’explication me semble bien peu convaincante, d’autant qu’il n’est pas responsable de l’abolition du service par Jacques Chirac, à l’époque, justement, où le jeune Macron aurait pu être enrôlé. Il demeure qu’il n’a pas froid aux yeux. Il se rend aujourd’hui sur la base aérienne d’Istres, bastion de la dissuasion nucléaire, juste après avoir nommé comme chef d’état-major des Armées le général François Lecointre, lui aussi un grand militaire dont nos troupes, bien qu’elles soient ulcérées par le départ de Pierre de Villiers, ne contestent pas la légitimité.
Il faudra plus qu’une visite à Istres pour refaire un patchwork avec les lambeaux de la relation Macron-armée. Les dommages sont considérables. Ils ne sont toutefois pas aussi graves que beaucoup de commentateurs en mal de copie veulent bien le dire. D’abord, il faut rappeler que l’armée doit, en toute circonstance, obéir au pouvoir politique. Personne ne mentionne ce point capital, qui a fait l’objet de mon premier article sur cette crise. Il est pourtant essentiel et il découle du fonctionnement même de nos institutions. Un général est nommé par le pouvoir, un président est élu au suffrage universel. Si un conflit éclate entre eux deux, le pouvoir en sortira peut-être cabossé mais indemne. Ensuite, il n’y a pas de fièvre dont le temps et les efforts de compréhension réciproque ne viendraient pas à bout. M. Macron est certainement sur la défensive, il fera tout, dès aujourd’hui, pour rassurer nos soldats et leurs officiers et pour donner des gages de son engagement envers eux dans les mois qui viennent.

Le budget, question de fond.

Vous me direz : mais alors, à quoi cette crise a-t-elle servi, sinon à affaiblir tous ses protagonistes et à créer un malaise national ? Il me semble capital de rappeler une fois encore que la question budgétaire est au centre de tous les efforts du gouvernement. Quelle que soit la qualité des mesures fiscales qui ont été prises, elles ont été dictées par l’état de nos finances tel que l’a laissé le gouvernement précédent, qui s’est livré en 2017 à des largesses électorales que le pays ne pouvait pas se permettre. Pour le chef de l’État, il y avait urgence, en cet été 2017, à rassembler des ressources pour présenter un budget final dont le déficit ne doit en aucun cas dépasser les 3 %. Pour au moins deux grandes raisons : la première est que la France, sous François Hollande, a bénéficié de deux délais supplémentaires accordés par la commission de Bruxelles sans que ses gouvernements aient réellement tenu leurs engagements d’avant ou d’après les délais ; la seconde est qu’il est temps de relancer l’Europe qui, elle, voit Macron en leader et que la France, avec l’Allemagne, doit être crédible fiscalement avant de l’être politiquement.

Personne ne veut faire de sacrifices.

Y avait-il une possibilité de trouver de l’argent ailleurs ? Peut-être, mais il suffit de voir comment les collectivités locales réagissent aux coupes budgétaires pour comprendre que tout le monde veut un budget équilibré mais que personne n’accepte de faire de sacrifices. Si Macron a été élu, c’est justement pour faire ce qui n’a jamais été fait sérieusement avant lui. C’est cette certitude qui l’a poussé à la faute. La sécurité de nos soldats et la qualité de leur matériel ne sont pas à comparer à la construction de ronds-points dans nos villages. Mais enfin, gouverner, c’est immanquablement la quadrature du cercle. J’entendais hier une journaliste dire qu’elle ne comprenait pas comment on peut retirer 850 millions au budget militaire en 2017 et lui ajouter deux milliards en 2018. Le gouvernement n’est pas maître du budget de cette année, décidé par son prédécesseur. Il est maître de celui de 2018 et, dès lors qu’il dispose de plus de 300 milliards, il peut les redéployer de manière à augmenter le budget des Armées de façon substantielle.
Cette analyse va à contre-courant de l’unanimité nationale qui condamne le président de la République. Je n’ai aucune raison de hurler avec les loups et il me semble utile d’apporter un éclairage différent. Et de même qu’il y a eu chez M. Macron un excès d’autorité, de même il y a maintenant un excès d’aversion contre lui, avec des analyses qui confinent à la haine et au ridicule, comme s’il était possible de faire passer le président en cour martiale. Arrêtons le délire.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Armées : le jour d’après

  1. Michel de Guibert dit :

    Merci pour votre analyse mesurée même si vous ne contestez pas la sérieuse erreur d’évaluation des conséquences de ses actes par Macron et les considérables dommages subséquents.
    Il va falloir reconstruire maintenant et rétablir la confiance de l’armée… ce sera sans doute la victoire posthume du général de Villiers !
    Certes, il est nécessaire de réduire les dépenses de l’État, mais il me semble que l’État doit se recentrer sur les missions régaliennes et, s’il y a des budgets qui à mon sens ne doivent pas souffrir de réductions drastiques, ce sont bien ceux de l’armée, de l’intérieur et de la justice.

  2. phban dit :

    Que d’exagération dans ce tumulte médiatique. L’armée en a vu d’autres et dans quelques semaines, cette péripétie sera oubliée. Macron a fixé le cap budgétaire, dans la bonne direction, mais il faut bien gérer le court terme et le respect des engagements européens.

    • Michel de Guibert dit :

      Non, ce n’est pas une simple péripétie.
      Il est dangereux de réduire le budget de la défense au motif qu’il faudrait faire des économies également sur tous les postes budgétaires.
      Traiter également des choses inégales est la plus grande des injustices, disait Aristote.
      Du reste Macron l’a compris puisqu’il vient d’annoncer à Istres que le seul budget qui augmenterait en 2018 serait le budget de la Défense.
      Le général de Villiers avait raison, Macron lui donne raison.

  3. Liberty8 dit :

    Macron a traité en politique un militaire, il ne pouvait pas s’attendre à autre chose. Castaner ne l’a même pas compris et il en rajoute une couche aujourd’hui. C’est de la bêtise incompréhensible de la part de ces deux hommes.
    On en peut demander à nos armées une réduction de leur budget dans l’année, c’est tout bonnement impossible, sauf à prendre sur le réarmement. Alors que le nouveau fusil d’assaut n’équipe encore que 10 % des troupes. Cela me fait penser au MAS 36 (1936) qui équipa nos troupes jusqu’en 1960 et a été remplacé par le MAS 50 qui, faute de budget, durera jusqu’à la fin des années 80 malgré les apparitions des modèles plus récents.
    Nos troupes sont engagées sur deux secteurs extérieurs et un secteur intérieur, il va falloir de toute façon mettre la main à la poche en fin d’année pour équilibrer les comptes d’intervention extérieure.
    Il fallait faire des coupes plus importantes sur les autres ministères.
    Macron fait une erreur, celle de renier ses promesses, l’armée aura une augmentation de budget en 2018 mais on lui ponctionne 850 millions en 2017, c’est un reniement détourné. Le tiers payant ne sera pas obligatoire (propos de campagne et de la ministre) puis il le sera éventuellement après un audit (ministre) mais de toute façon en décembre (Castaner). La taxe d’habitation sera supprimée pour certains mais on sait pas quand.
    Ces reniements ont coûté cher à ses prédécesseurs et à la France. Il faut qu’il se reprenne pour ne pas faire de son mandat un nouvel échec pour le pays.

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