Espagne : le bord de l’abîme

Dimanche, la contre-manifestation.
(Photo AFP)

La crise catalane ne laisse qu’un faible espoir de règlement négocié. D’une part, le Premier ministre, Mariano Rajoy, s’est montré d’une intransigeance dépourvue de toute nuance depuis le référendum catalan et la menace d’indépendance. D’autre part, les indépendantistes n’ont avec eux ni le droit, ni le nombre, ni la morale, ni le sens de l’histoire.

LA FERMETÉ de M. Rajoy, associée à celle du roi Felipe VI qui, dans son discours de la semaine dernière, n’a même pas évoqué les 900 blessés, victimes de la répression policière, est conforme à la personnalité du Premier ministre espagnol. Pour se maintenir au pouvoir, il a laissé les nouveaux partis concurrents de la droite, Podemos et Ciudadanos, montrer leur impréparation et leurs divisions, de sorte qu’il dirige aujourd’hui un gouvernement minoritaire. C’est apparemment un homme aux nerfs solides auquel on peut seulement reprocher de n’avoir pas prévu la flambée de l’indépendantisme catalan, de ne s’être pas préparé à la crise et de se contenter d’un refus de négocier. Face à lui, le président de la Catalogne, Carles Puigdemont, apparaît comme un roitelet opportuniste, capable d’attiser des passions nationalistes alimentées en réalité par la xénophobie et, surtout, d’organiser un référendum d’où la rigueur démocratique était totalement absente. Il faut en effet beaucoup de mauvaise foi pour avancer des chiffres au lendemain d’une consultation aussi embrouillée et chaotique. Et en tirer la conclusion que la Catalogne, dans son entièreté, a choisi l’indépendance. Le gouvernement espagnol a donc prouvé le contraire en organisant une manifestation massive en faveur de l’unité du pays, tandis que les catalans non indépendantistes ont démontré qu’ils étaient assez nombreux pour que l’Espagne tourne la page.

L’indépendance ne serait pas irréversible.

Les exigences de Puigdemont sont dès lors exorbitantes du droit et traduisent une déni de la réalité catalane : si, demain soir, il annonce l’indépendance de la Catalogne, il entrera dans l’illégalité et, surtout, sera bien incapable de gérer le nouvel État, très endetté et dont l’économie est inséparable du commerce européen. La vérité est que l’indépendance ne serait pas irréversible, car elle entraînerait tant de difficultés économiques, sociales et politiques que la « majorité » issue du référendum changerait rapidement d’avis. Dans ces conditions, pourquoi M. Rajoy devrait-il faire des concessions à un interlocuteur qui n’est pas valable et engager des négociations au sujet d’une évolution de la Catalogne qui n’est souhaitable ni pour les Espagnols ni pour les Catalans ? D’autant que la crise qui frappe l’Espagne inquiète les Européens : ils connaissent à la perfection les gisements de séparatisme en Europe, de la Corse à l’Écosse en passant par l’Italie.

Le danger séparatiste.

M. Rajoy n’est peut-être pas un ami enthousiasmant, mais c’est l’homme qui convient à tout le monde, sauf à M. Puigdemont et à ceux qui le soutiennent. Enfin, le soulèvement déraisonnable d’une partie des Catalans n’est pas la seule menace sécessionniste à laquelle Madrid soit confrontée. Une séparation donnerait des idées à d’autres régions espagnoles, par exemple le pays Basque, dont les indépendantistes ont renoncé à la violence il y a quelques années à peine.
Néanmoins, il serait contre-productif d’imaginer que, après ce divorce festif qu’a été le référendum catalan, les esprits surchauffés vont se refroidir tout seuls. M. Rajoy a une responsabilité immense, celle de préserver l’unité de l’Espagne. Il sait toutefois qu’il ne peut pas envoyer les chars à Barcelone. Tout en restant ferme, il doit envisager d’accorder une autonomie accrue à la Catalogne, et peut-être engager une réforme fiscale qui atténue les charges pesant sur cette région. Ce serait seulement le prix à payer pour une politique qui a sans doute négligé les aspirations catalanes et qui explique que de nombreux Catalans souhaitent sortir de l’orbite de Madrid.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à Espagne : le bord de l’abîme

  1. Michel de Guibert dit :

    « il doit envisager d’accorder une autonomie accrue à la Catalogne », écrivez-vous à propos de M. Rajoy…
    Mais la Catalogne a déjà une autonomie considérable dont elle a fait plutôt mauvais usage !

    Réponse
    Non. Il y a quelques années, la Cour constitutionnelle a retiré à la Catalogne une autonomie plus large qui avait été votée par le Parlement.
    R.L.

    • mathieu dit :

      Plus d’autonomie signifie une indépendance « soft », sans heurt, qui ne dirait pas son nom.
      Par comparaison, la lutte armée au Pays Basque a cessé, faute de nouvelles revendications à satisfaire : promenez-vous à Saint-Sébastien, le basque y est ouvertement première langue, sur toute la signalisation publique ou commerciale. Il est impossible d’obtenir un emploi administratif pérenne et statutaire si l’on ne parle pas le basque. Seule concession à la « mère-patrie »: le drapeau espagnol, encore toléré aux côtés des couleurs basques sur les grands bâtiments administratifs.
      Côté français, très « en retard » sur le sujet, de larges subventions de l’Etat à l’enseignement en basque dans les écoles bilingues… où le français est interdit aux enfants dans la cour de récréation (authentique)! Un autre visage de l’Europe sans frontières!

  2. Castaing dit :

    « L’espagne au bord de l’abîme » quel titre sensationnel!

    Réponse
    Je crois que vous ne mesurez pas les conséquences d’une indépendance catalane pour l’Espagne et pour l’Europe.
    R.L.

  3. Dr Y.Jamois dit :

    Quelques petites rectifications : le chiffre de 900 blessés est celui donné par les pro indépendance.Cinq seulement ont été hospitalisés. On oublie aussi de dire combien les policiers et guardia civils ont été agresssés,il y a des procédures en cours et certaines ont déjà conclue à la légitimes défense.J’ai moi-même assisté à l’agression de deux journalistes qui voulaient faire des photos par deux conseillers municipaux indépendantistes dans le village où je vis maintenant.
    Ce n’est pas le gouvernement espagnol qui a organisé la manifestation de Barcelone,mais un groupe de la société civile.
    N’oublions pas qu’enfreindre la constitution, ce qui fut le cas ici, est la porte ouverte à la dictature

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