France, Égypte, droits de l’homme

Al-Sissi, avec la ministre de la Défense, Florence Parly
(Photo AFP)

Le président égyptien, Abdel Fatah al-Sissi, est reçu aujourd’hui par Emmanuel Macron. De toutes parts, le chef de l’État est sommé de réclamer à son homologue l’application des droits de l’homme dans son pays, où règne l’arbitraire judiciaire et policier. Les chances de notre président sont minces.

D’AILLEURS, il n’est pas sûr que M. Macron ait tellement envie d’évoquer le sujet avec le président-maréchal al-Sissi. L’Égypte, avant l’Inde et le Qatar, fut, en 2015, le premier pays à nous acheter des Rafale, ce qui améliore à l’infini les perspectives de développement des usines Dassault. C’est Jean-Yves Le Drian, quand il était ministre de la Défense du gouvernement socialiste, qui a réalisé cet exploit. Aujourd’hui, M. Le Drian est ministres des Affaires étrangères. Peut-on croire que le gouvernement actuel soit en mesure d’exercer sur le pouvoir égyptien des pressions suffisantes pour qu’il renonce à mener son pays à la baguette ? Deuxième question : un affaiblissement du régime égyptien est-il souhaitable ?

Rien n’a changé.

Le réalisme le plus élémentaire conduit à rappeler que le printemps égyptien a fait long feu depuis longtemps. Après la chute de Hosni Moubarak, la volonté populaire a placé les Frères musulmans au pouvoir. L’armée les en a délogés. Résultat : l’Égypte avait un régime militaire avant la révolution, elle a maintenant le même, avec des officiers différents. M. al-Sissi applique un programme encore plus répressif que celui de M. Moubarak. Il bâillonne la presse, il pourchasse sans relâche les Frères musulmans (ce qui ne le rend pas aimable à l’égard du Hamas à Gaza), il fait régner l’ordre par la dissuasion policière. Il est allié à l’Arabie saoudite dans son différend avec le Qatar, ses achats d’armes sont financés par Ryad, il maintient la paix avec Israël. En outre, il est hostile à toute intrusion de la religion dans la vie politique. Il se bat contre les mouvements djihadistes qui sèment la terreur dans le Sinaï et parviennent à tendre à l’armée égyptienne des embuscades causant la mort de dizaines de soldats. Il tente d’anéantir les combattants de Daech qui ont quitté la Syrie et l’Irak et tentent, par le sud désertique, de rejoindre la Libye, où ils renforceraient un bastion d’extrémistes qui, jusqu’à présent, ont empêché le retour de la paix dans ce pays.

La lutte contre Daech.

Le président al-Sissi n’est donc pas tout mauvais. De son vaste pays surpeuplé, il essaie de faire une puissance économique, tâche difficile que compliquent énormément la présence des Frères musulmans renvoyés à la clandestinité et peut-être un manque de compétence gouvernementale. Il n’est pas à l’abri d’attentats commis souvent contre des touristes, ni d’une subversion qui risque de déstabiliser l’Égypte. Aucun gouvernement français ne peut ignorer le très délicat équilibre qu’assure l’armée égyptienne, son rôle anti-terroriste, l’utilité qu’elle a dans le dossier libyen, sa discrétion concernant Israël. Et en plus, l’Égypte nous achète des Rafale ! Faut-il que nous sacrifions tous nos intérêts aux droits de l’homme?
Cela ne veut pas dire que nous devions y renoncer par pur égoïsme. M. Macron n’a pas pris l’engagement de parler du sujet avec le maréchal, mais rien ne l’empêche de lui dire qu’une répression excessive est contre-productive, y compris dans la lutte contre les Frères musulmans. Que les journalistes doivent rester libres. Que des procédures judiciaires inspirées des nôtres sont indispensables, même quand des extrémistes commettent des attentats. Que la police doit réprimer ses instincts plutôt que le peuple et respecter les règles du droit. Que la torture est intolérable et que la violence publique donne le plus souvent de très mauvaise résultats, comme le démontrent les échecs de l’armée égyptienne devant les attentats, embuscades et attaques. M. al-Sissi s’était engagé à rendre leur sécurité aux Egyptiens, il n’y parvient guère.
Ce qui risque de convaincre M. Macron d’ignorer le sujet, c’est le réalisme. C’est un coup d’État militaire qui a porté M. al-Sissi au pouvoir. Des élections ont naguère favorisé la victoire des Frères musulmans. De sorte que la démocratie a apporté l’extrémisme. Les Frères représentent, jusqu’à preuve du contraire, une fraction si importante de la population que tout retour à une république parlementaire pourrait entraîner leur triomphe. C’est l’Égypte, c’est le Moyen-Orient, et le schéma libéral européen n’y est, hélas, pas encore applicable.

RICHARD LISCIA
PS- Au terme d’un entretien avec le président al-Sissi, Emmanuel Macron a déclaré qu’il n’entendait pas lui « donner des leçons » en matière des droits de l’homme, ce qui confirme l’analyse ci-dessus, mais déçoit beaucoup les ONG engagées en faveur des droits.

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2 réponses à France, Égypte, droits de l’homme

  1. Michel de Guibert dit :

    Le président Macron a bien compris que l’idéologie « droit-de-l’hommiste » a fait assez de dégâts en renversant ou en déstabilisant ou en tentant de déstabiliser des régimes autoritaires en Irak, en Libye, en Syrie… pour ne pas recommencer en Égypte !
    Le « remède » s’est toujours révélé pire que le mal contre lequel il prétendait lutter.

  2. ploutocrate442 dit :

    Il ne fait aucun doute que les droits fondamentaux des êtres humains reculent en France au profit de ceux qui détiennent les pouvoirs économiques,politiques et médiatiques.Je pense,pour ma part,que cette concentration des pouvoirs est une tendance lourde depuis une décennie et qu’elle est une des principales caractéristiques de la macronie.Le phénomène,déjà réel dans la sarkozie,semble s’accentuer encore.Ploutocratie,oligarchie,monarchie républicaine mâtinée d’autoritarisme?Nous allons avoir un peu de temps pour analyser cette évidente réalité.La situation est réellement préoccupante.

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