Inénarrable politique

Thierry Solère
(Photo AFP)

Le gouvernement a été remanié vendredi, ce qui n’a pas bouleversé les foules mais ne manque pas de piquant dès lors que Christophe Castaner, élu à la tête de la République en marche,  reste secrétaire d’État aux relations avec le Parlement et que le président Macron a fait une belle prise en recrutant comme secrétaire d’État auprès de Gérald Darmanin un socialiste que l’on croyait incompatible avec la macronie, Olivier Dussopt.

D’AUCUNS voient dans le « transfert » de M. Dussopt, une méthode bien sarkozyste, qui consiste à embaucher des élus dans l’opposition mais sans leur donner la possibilité d’appliquer leurs propres idées. Toutefois, on n’est plus en 2007 ; en dépit des cris scandalisés de la droite et de la gauche, le chef de l’État fait ce qu’il veut, se moque des traditions, poursuit sur sa lancée et, en cela, il est imité par pas mal de monde. Comment, par exemple, M. Castaner va diriger le parti du président tout en discutant avec les élus des autres partis sur la conception et l’adoption des lois, voilà un mystère qui ne sera élucidé que lorsqu’il nous administrera la preuve de sa maîtrise des contradictions ou qu’il perdra ses capacités opérationnelles. Bien entendu, l’opposition sous toutes ses formes dénonce le fait du prince, ou le scandale, mais à la manière des vieilles dames réunies dans un salon de thé pour vitupérer leur époque. Ah, oui, vraiment, quelle époque ! Le gouvernement ne respecte rien ni personne, dissipe les lignes idéologiques, laisse la gauche compter les coups (qu’elle reçoit) et la droite ironiser sur des méthodes que, en réalité, elle voudrait bien imiter si seulement elle était au pouvoir.

Les désarrois de Jean-Luc Mélenchon.

Jean-Luc Mélenchon a réuni la troisième convention de la France insoumise à Clermont-Ferrand et il y a tenu un discours dans lequel la morgue qu’on lui connaissait a cédé le pas à l’humilité, ce qui ne surprend personne, car il avait déjà accordé il y a quelques jours « un point » à Emmanuel Macron. Depuis, il se consacre surtout aux raisons de la défaite de son camp car il considère que l’absence de coordination entre les forces politiques de gauche et les syndicats a permis à M. Macron de faire passer les ordonnances sur le code du travail sans coup férir. Il veut espérer que le peuple s’opposera aux autres réformes. Mais il n’a peut-être pas compris que, au lieu de dénoncer l’action du gouvernement, qui n’horrifie pas tout le monde, il ferait mieux de faire de sérieuses propositions. Au fond, à gauche comme à droite, on nous explique que certes la France a besoin de réformes mais pas de celles de M. Macron. Hélas, les alternatives vaguement proposées sont enfouies dans un brouillard intellectuel. M. Mélenchon n’a toujours pas abandonné l’espoir de dépenser plus pour soulager le peuple, sans nous dire où il va trouver l’argent ailleurs que dans la planche à billets.

Pas d’alternative réelle.

De la même manière, Marine Le Pen, fort gênée sur le plan financier et manifestement rongée par le doute quant à son avenir et à sa capacité à diriger un jour le pays, n’a toujours pas le courage de renoncer à la sortie de la France de l’Europe, alors que le Brexit se déroule dans des conditions exécrables et que la Grande-Bretagne est déjà secouée par les conséquences commerciales et financières de son terrible choix . De Mélenchon à Le Pen, c’est la même impuissance. À gauche, Benoît Hamon poursuit son chemin sans trop se soucier de savoir s’il a une base électorale, après les 6,5 % qu’il a recueillis à la présidentielle, pendant que le PS  voit partir quelques-uns de ses meilleurs éléments. À droite, c’est pratiquement le sauve-qui-peut, Laurent Wauquiez distribuant ses jugements à la cantonade, alors que se crée au sein des Républicains une première ligne de défense contre lui ; les « Constructifs », ceux qui voulaient rester à droite tout en coopérant avec la majorité, se scindent en deux camps, l’un dirigé par Franck Riester, qui crée le mouvement « Agir », l’autre par son ami, Thierry Solère, qui a décidé de rejoindre la République en marche, avec quelques-uns de ses camarades, ce qui promet une majorité encore plus pléthorique pour le président à l’Assemblée nationale. M. Solère, qui est questeur à l’Assemblée nationale, déclare qu’il conserve son poste alors que celui-ci est traditionnellement réservé à l’opposition.

Un tableau impressionniste.

Ce qui permet à M. Macron de faire ce qu’il entend sans écouter les critiques (parfois fondées) de son action politique, ce qui permet à M. Castaner de rester au gouvernement, c’est-à-dire dans un poste incompatible avec ses fonctions à la REM, ce qui permet à M. Dussopt de passer d’un camp à l’autre comme l’ont fait  d’ailleurs M.  Darmanin et Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat à l’Écologie, ce qui permet à M. Solère de ne pas quitter la questure, c’est cette expansion galactique qui a fait exploser tous les partis sauf la REM, laquelle se nourrit des apports de ceux qui ont compris que M. Macron n’est pas un feu de paille et que, si aujourd’hui on veut travailler en politique, il vaut mieux le rejoindre. Certains ont sans doute dû franchir un cap idéologique ou faire des concessions au pouvoir pour être Macron-compatibles, mais le moule est large et permet beaucoup d’accommodements avec le ciel. On peut regretter cette valse des hommes (et des femmes) et de leurs idées,  on ne peut pas dire qu’il existe, dans ce tableau indescriptible, où l’impressionnisme remplace promptement l’académisme, une alternative au pouvoir. Elle est absente du point de vue institutionnel parce qu’il faut d’abord que le mandat se termine, et elle est absente au niveau des idées-forces qui exerceraient une séduction assez puissante pour que les Français songent à une gouvernance différente.

 

RICHARD LISCIA

PS- En définitive, Thierry Solère a décidé de démissionner de son poste de questeur à la fin de l’année pour qu’il soit confié à un élu de l’opposition.

 

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3 réponses à Inénarrable politique

  1. Num dit :

    Ne criez pas victoire trop vite. Macron n’est pas plus populaire que Sarkozy ou Hollande après 6 mois de pouvoir.
    Cette majorité faire de bric et de broc, surtout d’opportunistes en mal de poste, me paraît bien friable: vous verrez qu’aux premières difficultés, les rats quitteront le navire en courant.
    Tout repose sur un seul homme, LREM ne parvient pas à se transformer (deux tiers des militants de la campagne sont déjà partis). Le risque est que le bel édifice peut s’effondrer aussi vite qu’il s’est construit.

    Réponse
    Oui, il peut s’écrouler mais il est faux de dire qu’il aille mal. S’il termine son mandat après les réformes en cours ou annoncées, l’essentiel, c’est qu’il aura agi. Les deux tiers d’En Marche n’ont pas quitté le parti.

    R.L.

  2. Jean-Charles Bénichou dit :

    Macron et les siens ne font pas de politique, ils expédient les affaires courantes, essentiellement économiques. Mais les problèmes importants, habilement exclus de l’élection présidentielle, ne sont pas traités (islamisation, immigration, identité). Or, vu l’état réel de l’opinion, il semble qu’ils devraient l’être prioritairement (sinon résolus) pour éviter les graves conséquences qui résulteront inéluctablement de leur pourrissement. Il est vrai que Macron a été placé là pour cela : laisser pourrir la situation jusqu’à ce qu’elle devienne irréversible. Et puis, il est tellement simple en attendant de faire dénoncer par tout ce qui a voix au chapitre, les conséquences (populisme, extrême droite ou soi-disant telle) que de traiter les causes selon les vœux de la majorité des citoyens. Qui, comme chacun sait, sont tous ou presque, racistes, islamophobes (la maladie, pas la critique de l’islam qui, elle, est interdite), peu cultivés, mal mondialisés, et donc n’ont pas le droit de participer à la vie publique. Le réveil risque d’être dur.

    • JB7 dit :

      L’urgence c’est peut-être de faire les réformes qui attendent depuis plus de 20 ans. Elles permettraient de rendre nos entreprises plus compétitives et elles feraient diminuer le chômage. La Suisse est un très bon exemple : les démarches administratives pour créer un restaurant ou une entreprise sont simples et prennent moins de 2 heures ! De même, la fiche de paye suisse ne comporte que quelques lignes alors que la fiche de paye française est incompréhensible et comprend souvent plus de 20 lignes (plus de 30 pour les ouvriers en déplacement !) .
      L’urgence, c’est de créer les conditions pour que nos jeunes puissent trouver un travail, ce qui correspond à leur redonner de l’espoir…
      Si la situation de la France s’améliore, il sera alors beaucoup plus facile d’aborder les sujets que vous avez évoqués.

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