Jean d’Ormesson : leçon de vie

Jean d’Ormesson
(Photo AFP)

L’écrivain, chroniqueur, journaliste Jean d’Ormesson est mort à l’âge de 92 ans. Au-delà de l’auteur considérable qu’il était, il exprimait des idées qui méritaient d’être retenues par la classe politique. Son engagement à droite ne l’a pas empêché de penser pour tous, y compris des adversaires qu’il séduisait par sa souplesse intellectuelle et par l’auto-dérision.

LA POSTÉRITÉ dira si Jean d’Ormesson est du niveau des écrivains que l’histoire et l’enseignement retiennent. Peut-être le trouvait-on trop optimiste, même et surtout quand il décrivait un monde en souffrance. Pendant des décennies, par ses livres et davantage encore par ses prestations télévisées, il a incarné un bonheur d’autant plus compréhensible qu’il avait de la chance, entourage bourgeois, existence cossue, carrière éblouissante, toutes choses qu’il devait en partie au fait d’être bien né mais aussi à des dons éclatants, talent, vivacité d’esprit incomparable, culture insondable, humour ravageur. Un peuple pessimiste, méfiant à l’égard de toute réussite humaine, jaloux du succès des autres, n’a pas manqué, parfois, de ne voir en lui qu’un amuseur public, manière de dénigrer ses attitudes politiques, notamment à l’époque où l’avènement de la gauche avec François Mitterrand a trouvé en lui un détracteur, ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché d’avoir avec le même président une relation  où la curiosité et le partage culturel lissaient leurs différences. En tout cas, la liste de ses trophées consacre une dextérité et une abondance littéraires qui lui valait des millions de lecteurs.

Yourcenar et Finkielkraut.

Si je me permets de lui consacrer cet hommage, c’est principalement parce que Jean d’Ormesson n’a jamais adopté le point de vue de Sirius. Comme il était dans la vie, c’est-à-dire avec un appétit inextinguible, il était dans le combat. Académicien, c’est lui qui a fait entrer dans la vénérable institution la première femme, Marguerite Yourcenar. C’est lui aussi qui a menacé de quitter l’Académie, qu’il aimait énormément, si Alain Finkielkraut, harcelé par une cabale qui n’honorait guère quelques-uns de ses futurs collègues, n’y était pas admis. Mais il n’est jamais tombé dans l’engagement aveugle. Il était trop intelligent, trop bon observateur de la nature humaine pour ignorer les travers des hommes politiques du camp auquel il appartenait et en même temps trop libre et trop heureux de l’être pour se lier à une quelconque idéologie et ne pas avoir à l’endroit de ceux qui souffrent cette compassion que dicte la lucidité. Voilà pourquoi il valait bien mieux que ce qu’il montrait de son espièglerie. C’était, pour reprendre le titre d’une pièce sur Thomas More, un homme pour toutes les saisons. Il a mentionné dans son oeuvre toutes les raisons de désespérer, mais il était farouchement attaché à l’espérance.

Un extrémiste de la modération.

De ce point de vue, il représente un exemple pour ceux qui font de la politique. Elle ne  devrait pas être un ring ou un champ de bataille, mais opposer seulement diverses conceptions de l’humanisme. La simplification des idées, l’usage des slogans,  la passion de croire,  l’ardeur de conquérir, d’imposer, de vaincre conduisent le plus souvent à la catastrophe.  D’Ormesson était un extrémiste de la modération. Il voulait bien défendre son point de vue, mais pas au point de se prendre au sérieux et de ne pas rire de ce qu’il disait. Tous ceux qui, sur les tréteaux, nous abreuvent de mises en demeure, tentent de nous faire croire que, sans eux, nous courons vers le malheur, et en définitive, nous épouvantent jusqu’à nous priver de l’envie d’agir, feraient mieux de s’inspirer de cet écrivain qui vient de disparaître et qui, lui, trouvait son bonheur non pas dans  la force mais dans le savoir.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Jean d’Ormesson : leçon de vie

  1. phban dit :

    Bel hommage pour une belle figure.

  2. JB7 dit :

    « D’Ormesson était un extrémiste de la modération » : quelle belle formule !

  3. guerrier dit :

    M. Liscia, vous lui ressemblez! Je pense que c’est un compliment que je vous adresse, en toute sincérité et objectivité. Car je lis vos commentaires depuis des décennies et crois vous connaître et retrouve cette modération. Continuez, vous êtes, avec D’Ormesson, un de ces phares qui éclairent les pensées. Merci. GG.

    Réponse
    Merci de me lire depuis si longtemps, mais bien sûr la comparaison est excessive.
    R.L.

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