Vieillesse et naufrage

À Lyon
(Photo AFP)

La crise des établissements qui hébergent les personnes âgées dépendantes traduit bien plus qu’un problème criant de sous-effectifs : elle montre que la société française n’a toujours pas compris ce que signifie l’allongement de la vie résultant des succès de la médecine.

POUR METTRE tout le monde d’accord, il faut sans cesse rappeler aux jeunes qu’ils vieilliront et qu’ils demanderont alors à être traités décemment en tant que citoyens qui ont contribué, comme tout le monde, au développement du pays. Il est vrai que, lorsqu’on est jeune, on ne pense guère à un avenir que l’on croit si lointain qu’on finit par imaginer qu’il n’arrivera pas forcément. Distraction ou mauvais calcul, cette attitude conduit à ignorer un problème dont on subira, tôt ou tard, les conséquences. Face au ras-le-bol des personnels soignants (ils sont 400 000 pour aider 728 000 personnes dépendantes, ce qui, contrairement à ce que fait apparaître ce ratio, est très insuffisant), le gouvernement leur a « généreusement » proposé d’investir 50 millions d’euros dans les Ehpad, après, il est vrai, un premier geste de 100 millions en décembre . Mais le problème se chiffre en milliards et il est d’autant plus urgent de le régler que les personnels sont à bout de souffle.

Une conséquence de la longévité.

Nous sommes collectivement responsables de ce qui se passe dans les Ehpad. La médecine, les structures hospitalières, les cliniques ont tout fait, depuis la dernière guerre,  pour assurer à la population française une longévité qui croît chaque année  et une qualité de vie qui va souvent au delà des 80 ans. Les Français sont très reconnaissants aux soignants d’avoir réussi cet exploit. Mais il n’a été accompli qu’au prix de divers effets secondaires. Toutes les personnes âgées ne restent pas fringantes au delà d’un certain âge, qui est très variable, mais que l’on situe vers 85 ans. Toutes, bien sûr, n’ont pas les moyens de s’offrir une maison de retraite privée, à plusieurs milliers d’euros par mois, somme qui ne garantit guère la qualité des soins. La mémoire et la mobilité font parfois défaut brusquement et, du jour au lendemain, il faut une infirmière à plein temps pour assurer au patient âgé les soins dont il a besoin, souvent jour et nuit. Il faudrait donc qu’existe une puissante industrie des troisième et quatrième âges qui fasse partie intégrante de l’économie nationale. Ce qui implique la formation de centaines de milliers de soignants supplémentaires.

Changer d’échelle.

Actuellement, nous ne sommes pas sur cette échelle.  Nous essayons très péniblement, et dans une configuration des soins qui touche à l’indécence, de conserver un système qui ne peut pas être efficace car il souffre du sous emploi des soignants ainsi que de la complexité et de la diversité des cas pathologiques produits par le grand âge. La vérité est que les Ehpad ont besoin d’un budget non seulement en forte augmentation mais applicable à une autre conception du vieillissement, lequel n’est pas nécessairement un bref passage en fin de vie et peut durer bien plus longtemps que ne le croient nos prévisionnistes de l’économie. Il n’y aura pas de réponse aux conséquences de la longévité si les Français continuent de penser qu’elle n’apporte que des bienfaits. Certes, au moment où le pouvoir s’emploie à contrôler les dépenses d’assurance maladie, cette crise des maisons de retraite, dont les besoins sont énormes, lui pose un problème de financement particulièrement épineux.

Ce qui ne nous empêche pas d’en débattre et d’établir au moins un grand principe : il ne sert à rien de vivre longtemps si c’est pour subir pendant les dernières années de sa vie l’humiliation, l’inconfort et le désespoir. La meilleure façon de juger une société, c’est de voir comment elle traite ses vieux.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

11 réponses à Vieillesse et naufrage

  1. admin dit :

    LL dit :

    La société occidentale n’a manifestement aucun respect pour les personnes âgées. On se gargarise de valeurs, mais on n’a aucune compassion sur le terrain. Et très peu d’imagination. Il faut aussi envisager, au-delà des maisons de santé des solutions « communautaires » ou les vieux peuvent continuer à faire partie du tissu social, en apportant aux jeunes leur expérience, et en bénéficiant an retour de leur aide. Pourquoi ne pas « adopter un vieux »/ »adopter un jeune »? Et même rémunérer un tant soit peu ces jeunes ?

    • catherine cloup dit :

      Malheureusement, les personnes âgées en Ehpad ne sont pas seulement âgées mais poly-pathologiques et souvent tellement diminuées dans leurs possibilités motrices et surtout cognitives que les faire « adopter » par un ou des jeunes ne résout ni les toilettes ni les changes, ni l’alimentation à la cuillère, qui occupent tout le temps des personnels trop souvent.

  2. Michel de Guibert dit :

    « La meilleure façon de juger une société, c’est de voir comment elle traite ses vieux »
    Comme c’est juste et vrai !
    Et j’ajouterai aussi (mais ce n’était pas votre sujet d’aujourd’hui) « ses handicapés ».

  3. François LE LAY dit :

    Certainement. Mais pourquoi tourner autour d’une autre façon de limiter le problème.
    Nous voyons quotidiennement des personnes âgées limitées physiquement et psychologiquement; mais suffisamment conscientes pour se rendre compte, et nous faire savoir que leur vie n’a plus aucun attrait, aucun intérêt.
    Nous voyons quotidiennement, et nous verrons de plus en plus souvent des individus dont la survie est assurée médicalement, pharmacologiquement, contre leur gré.
    J’ai personnellement préparé mon entourage et mon « environnement » pour m’éviter une telle humiliation.
    Mais je suis médecin et dispose de moyens dont ne dispose pas la majorité de la population.
    Et peut-être changerai-je d’avis en prenant encore un peu d’âge. Mais c’est fort peu probable.

  4. Etienne ROBIN, néphrologue dit :

    On ne peut pas à la fois jouir des 35 heures (ou les imposer), réclamer la retraite à 60 ans, suggérer le revenu universel, et avoir une économie suffisamment florissante pour financer une dépense colossale, telle que les soins à un ou deux millions de personnes âgées en état médiocre.
    Nous sommes donc collectivement responsables des maltraitances dans les Ehpad (tiens, c’est à peu près la phrase de Richard Liscia) même si Roselyne Bachelot et Marisol Touraine ont quasiment programmé cette maltraitance.

  5. Stiers dit :

    J’approuve toutes les remarques précédentes.
    Le fait majeur est que l’humanité depuis qu’elle existe n’a jamais connu une telle situation, d’où ses difficultés à gérer un problème totalement nouveau.

  6. ostré dit :

    Les Africains, souvent pauvres, traitent et respectent bien mieux leur personnes âgées. Constat évident dans les villages (je participe à une ONG au Burkina).

    • arnpoux dit :

      Entendu. Mais ont-ils à maintenir dans une vie décente autant de personnes âgées en situation de handicap ?

      Réponse
      Etes-vous sûr d’avoir posé la bonne question ?
      R.L.

    • Etienne ROBIN, néphrologue dit :

      M. Ostré, vous participez à une ONG au Burkina ? Chapeau. Vous admirez le soin que les Burkinabés prennent de leurs vieillards ? Aïe aïe aïe… L’estime que vous leur portez en matière de « care » est singulièrement sélective : lisez donc CMR Ouedrago (Reconstruction clitoridienne après mutilation génitale féminine au CHU Yalgado de Ouagadougou, Burkina Faso. Journal de Gynécologie et d’obstétrique, novembre 2016, vol 45, n°9, page 1099). Vous y apprendrez que la prévalence de l’excision au Burkina est 76 %. Il s’agit souvent d’infibulation, une véritable horreur. 94 % des excisées sont instruites. La plupart (97 %) sont d’origine urbaine (origine rurale 3 %). 57 % sont musulmanes et 43 % chrétiennes. En clair, la barbarie est générale. Alors, souligner le fait qu’ils traitent leurs vieillards mieux que nous, hum…
      Même si ça n’a rien à voir, je signale que l’excision, et le simple fait d’être menacé d’excision dans son pays, donne un droit absolu d’obtenir l’asile en France, au titre de la persécution.

Répondre à Michel de Guibert Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.