L’Italie prend le large

Di Maio et Salvini
(Photo AFP)

C’était écrit : les Italiens ayant voté massivement en faveur des populistes et des néo-fascistes, ceux-ci ont formé un gouvernement de coalition dont le programme est caractérisé par l’abandon pur et simple des principes qui régissent l’Union européenne.

TOUS les membres de l’Union s’y attendaient, mais l’énoncé du programme fabriqué par Luigi di Maio (Mouvement Cinq étoiles) et par Matteo Salvini (Ligue) s’apparente à une recette pour le désastre économique et social. Réduction massive des impôts pour les particuliers et les entreprises, assortie d’une hausse de plus de cent milliards d’euros des dépenses publiques, les deux hommes ont choisi la voie qui conduit à la faillite. Ils croient qu’ils s’en sortiront très bien dès lors qu’ils ne rendront plus de comptes à la commission de Bruxelles. En réalité, ils sont sur le chemin de la Grèce qui, loin de quitter l’UE et  d’opter pour la dévaluation compétitive, est restée dans la zone euro pour y subir un traitement dont elle ne s’est pas encore relevée.

Mauvaise passe pour l’Europe.

Les deux mouvements, Cinq étoiles et la Ligue, ont décidé en effet de ne pas quitter la zone euro, comme s’ils étaient épouvantés par leur propre audace et avaient renoncé à la plus grave de leurs provocations. C’est assez dire que, dans un an, ils présenteront un déficit budgétaire tellement énorme qu’ils n’auront pas d’autre choix que de supplier la zone euro de leur venir en aide. On sait comment l’Allemagne a voulu que la Grèce fût traitée ; aujourd’hui, le triomphalisme de di Maio et de Salvini les aveugle. Notre ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, leur ayant rappelé leurs responsabilités, ils lui ont suggéré de se mêler de ses propres affaires. Le ton est donné pour la crise qui ne manquera pas d’opposer l’Italie et le reste de l’Union. La vérité est que l’Europe et la zone euro sont dans une passe très difficile : le Brexit, puis le choix des Italiens, visiblement pas guéris de l’expérience Mussolini, la politique protectionniste de Trump, la paralysie de l’Allemagne, elle-même confrontée à une poussée populiste, posent à l’UE des problèmes insolubles et empêchent la réforme des institutions européennes voulue à juste titre par Emmanuel Macron. Le président de la République ne peut pas surmonter cette série de difficultés historiques en se contentant de faire du charme à Angela Merkel et, déjà, les déclarations de Bruno Le Maire ne font pas de la France, aux yeux des Italiens, l’interlocuteur le plus valable.

La cause, c’est l’immigration.

La responsabilité des Européens dans la semi-sécession italienne n’est plus à démontrer. Depuis des mois, et en dépit des points de vue opposés, j’ai indiqué dans ce blog que la montée du populisme en Europe était due à l’immigration, perçue par les Européens comme une menace. Le seul moyen de contenir cette poussée, c’est de mettre en place des dispositions susceptibles de limiter le nombre de migrants qui arrivent sur le continent. C’est ce que la France essaie de faire avec la loi asile/immigration, dénoncée par la gauche comme un outil répressif. Pourtant, ce n’est pas la France qui a subi les plus nombreuses arrivées de migrants, mais l’Italie qui, tant qu’elle a pu le faire, leur a réservé un accueil plutôt compassionnel. Ni les ONG ni le peuple italien en général ne se sont montrés viscéralement hostiles aux immigrés. En revanche, ils sont ulcérés par  l’attitude de la France, qui refoule les migrants en provenance d’Italie et n’a guère aidé le gouvernement de la péninsule à traiter le problème.

On comprendra, dans ces conditions, que les Italiens n’aient pas besoin de nos leçons. C’est dans leur propre intérêt et non pour complaire à Bruxelles qu’ils auraient dû rejeter la Ligue et Cinq étoiles. L’histoire récente nous a démontré que les peuples occidentaux ne font plus les choix raisonnables. Trump, le Brexit et la nouvelle Italie sont de purs produits du fonctionnement normal des institutions démocratiques. Nous allons tous collectivement payer l’indifférence avec laquelle nous avons assisté à l’irruption, dans toute l’Europe, d’un mouvement extrêmement dangereux de tous les points de vue, politique, économique et éthique. Pour la construction européenne, le coup d’arrêt est dommageable dans la durée.

RICHARD LISCIA

 

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7 réponses à L’Italie prend le large

  1. mathieu dit :

    Cette situation préoccupante montre cruellement les limites de la démocratie, où le peuple, pour souverain qu’il est, n’est pas toujours « raisonnable », votant selon ses instincts et ses exaspérations du moment, pouvant effondrer d’un coup de pied rageur un édifice qui a mis 30 ans à se construire.
    Elle montre aussi les limites d’une gouvernance technocratique européenne décalée, issue du rêve utopique de sages « éclairés » mais bien bisounours, comme notre vénéré – et sûrement vénérable – Jacques Delors, pour lesquels l’Europe ne serait jamais assez large (27 pays n’étant qu’un début!).
    Mais voilà, même irraisonnables, les peuples ont, par définition, « raison » dans les démocraties (d’où la première partie de la sentence célèbre de Churchill sur la démocratie). La Russie, la Chine, la Turquie (où il vaut mieux ne pas être trop addict à la liberté) sont, pour un temps, à l’abri de ces surprises et revirements politiques brutaux.

    Réponse
    Il n’est pas sérieux de préférer les régimes chinois ou turc à la démocratie. D’autant qu’il y a une contradiction : le gouvernement italien est né d’une consultation parfaitement démocratique, mais on peut se demander s’il en appliquera les règles une fois au pouvoir.
    R.L.

    • mathieu dit :

      Cette comparaison avec les dictatures (à peine déguisées) de Chine, Russie ou Turquie, n’était, bien sûr, qu’une antiphrase et se voulait du deuxième degré!

  2. Esmeza dit :

    Oui, mais l’on ne peut empêcher les victimes de l’immigration-islamisation-mondialisation que sont les peuples d’occident de n’avoir plus grand chose à perdre !
    L’économisme, qui résume à peu près la conduite du monde depuis quelques décennies, n’est pas la politique : nous en avons ici une illustration électorale.

  3. Michel de Guibert dit :

    Merci pour votre éclairage.
    La procédure dite « Dublin » qui vise à renvoyer les migrants demandeurs d’asile en Italie (ou aussi en Grèce), le premier pays européen qu’ils ont traversé et qui est considéré comme responsable de leur demande d’asile, est particulièrement injuste et inadaptée et se révèle pénalisante pour des pays qui ont fait beaucoup pour leur premier accueil, voire leur sauvetage en mer.

  4. Ellio lumbroso dit :

    Et pourtant, ceux que vous nommez ont été élus chez eux.

  5. PICOT François dit :

    Un désastre économique et social ? Mais grâce à l’UE, il est déjà là ce désastre, et cela ne risque pas de s’arranger dirait-on. Le mot « populiste » semble désigner, entre les lignes, cette masse populaire inculte et qui ne comprendrait rien à tout ce qui se passe. Eh bien si, les citoyens commencent à comprendre qu’ils sont sous une tutelle écrasante, qu’ils se sont fait avoir et qu’il faut sortir de là, ce que les Anglais ont très bien compris. L’UE est un empire, soumis à l’OTAN qui plus est. Aucun empire, avec tentative de domination des peuples n’a survécu. Celui de Charlemagne, de Napoléon, des Nazis, de l´URSS, des Ottomans, tous ont disparu, les nations ayant fini par se libérer. C’est ce qui va probablement se passer tôt ou tard. Les Italiens sont sans doute maladroits mais ils tentent de se libérer un peu, tout comme les Hongrois et les Polonais.

    Réponse
    Je suis curieux de savoir dans quelle mesure vous avez été personnellement victime du « désastre » que vous mentionnez. Ce ne sont pas les moins privilégiés qui se plaignent de leur situation économique et sociale. Comparer la construction européenne à un empire est par ailleurs un contresens total puisqu’elle résulte d’une adhésion volontaire des peuples, n’a été imposée à personne et s’est élargie parce que divers Etats européens ont demandé à adhérer.
    R.L.

    • Picot dit :

      Pour les Français aucune adhésion volontaire : en 2005 c’était NON.
      Réponse
      Par leurs votes aux présidentielles et législatives, les Français, depuis 2006, ont toujours voté pour des majorités pro-européennes. C’était donc OUI. Je suggère d’arrêter là cette conversation inutile.
      R.L.

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