Une affaire d’État

Macron à Périgueux, hier
(Photo AFP)

Les méfaits d’Alexandre Benalla ont pris, en vingt-quatre heures de révélations et de condamnations, un tour vertigineux. Emmanuel Macron a esquivé, hier à Périgueux, une question sur l’évolution de la République. Il a seulement répondu qu’elle restait « inaltérable. »

DANS cette affaire d’État, sans doute la plus grave depuis l’arrivée à l’Élysée de M. Macron, il faut considérer deux chapitres différents. Le premier porte sur les faits eux-mêmes, confirmés par une vidéo, et l’insuffisante réaction du staff élyséen. Le second concerne la tâche qui incombe au président lui-même s’il veut garder une chance de sortir du guêpier. Il est impossible de relativiser la gravité des faits. Un homme, certes conseiller pour la sécurité à l’Élysée, a usurpé la fonction de policier et a tabassé un manifestant le 1er mai. Il a été filmé. Quand le cabinet du président, qui l’avait autorisé à se rendre à la manifestation en tant qu' »observateur », ce dont on nous assure que c’est une pratique courante, a su ce qu’avait été son comportement, il s’est contenté de lui infliger une mise à pied non rémunérée de quinze jours. C’est sans doute parce que Alexandre Benalla a été vu dans d’autres circonstances, notamment lors du retour en France de nos héroïques footballeurs que la vidéo a été diffusée et permis au « Monde » de raconter l’histoire.

La simple application de la loi.

Il était pourtant logique, pour les conseillers de M. Macron, de saisir la justice dès le 2 mai et de se dispenser définitivement des services de M. Benalla.  Ils ne l’ont pas fait, sans doute parce qu’ils ont pensé que, si l’affaire ne s’ébruitait pas, ils pouvaient l’enterrer. Il existe cependant un article 40 du code de procédure pénale qui stipule que, si un fonctionnaire a connaissance d’un délit ou d’un crime, il doit le signaler à la justice. Tenu au courant, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, n’a pas cru bon, lui non plus, d’informer le procureur de la République. L’erreur du pouvoir est là, et elle n’est nullement négligeable, surtout si on se souvient que M. Macron a fait campagne sur le thème de la République exemplaire, un peu comme François Hollande qui, lui, avait parlé de « République irréprochable » pour sombrer, à son corps défendant, dans l’affaire Cahuzac. Aujourd’hui, M. Benalla est en garde à vue. À la vitesse grand V, l’Assemblée nationale a décidé de créer une commission d’enquête, tandis qu’une instruction judiciaire était ouverte, parallèlement à une enquête de l’IGPN. On finira donc par connaître la vérité dans ses moindres détails et il est indispensable que l’exécutif prenne la pleine mesure de cette affaire dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle ébranle la République.

Macron doit parler.

Hier, à l’Assemblée, les explications fournies par le Premier ministre et par la ministre de la Justice n’ont été ni claires ni vraiment utiles, à l’établissement de la vérité. Édouard Philippe et Nicole Belloubet n’ont, en réalité, rien à voir avec cette histoire et ils ont été probablement court-circuités par les manigances de l’Élysée. Mais pas Gérard Collomb, informé, selon France-Inter, depuis le 2 mai. Dans ce contexte, Emmanuel Macron doit prendre la parole. On peut comprendre qu’il n’ait pas voulu répondre au débotté pendant une visite en province. On peut comprendre qu’il feigne d’ignorer les injonctions multiples en provenance de ceux qui font métier de le détester et de le combattre. S’il exprimait aujourd’hui la moindre crainte, ou son embarras, ou s’il exposait une tactique du genre « c’est pas moi, c’est un autre », c’en serait fini de sa crédibilité. En revanche, il doit, aussitôt que possible, prendre des mesures qui ne peuvent pas se limiter au licenciement de M. Benalla, annoncé ce matin. Il y a eu un grave dysfonctionnement à l’Élysée et au ministère de l’Intérieur.

C’est la terrible loi du genre : si M. Macron doit survivre, des têtes doivent tomber. Il n’est pas certain qu’il doive garder son directeur de cabinet. Il n’est pas certain qu’il doive conserver son ministre de l’Intérieur. Si, contacté alors qu’il se trouvait en Australie, il a dit à ses collaborateurs de prendre des sanctions, il peut au moins expliquer qu’il n’était pas alors en mesure d’évaluer la gravité de l’affaire. Il peut prétendre ou affirmer qu’il n’a pas été complètement informé. Il peut souligner qu’en demandant à son cabinet de prendre les dispositions nécessaires, il n’était pas obligé de leur en décrire le processus par le menu. Le président ne peut pas et ne doit pas tout faire. Il a le droit, et même le devoir, de se reposer sur des hommes ou des femmes de confiance. Ce qu’il ne peut pas faire, c’est relativiser l’affaire Benalla en citant toutes celles qui l’ont précédée sous des gouvernements différents. Un délit est circonscrit à un moment et dans un espace bien définis. On n’est plus pur parce que d’autres ont fait pire.

Un cadeau à l’opposition.

De surcroît, il ne s’agit pas d’approuver tout ce qui a été dit par les diverses oppositions de droite et de gauche, qui n’en ont pas cru leurs oreilles quand l’affaire a éclaté et qui, ravies du cadeau que le pouvoir venait de leur faire, se sont hâtées d’en rajouter. Il est vrai que le contexte, le 1er-Mai, un militant communiste battu par un homme qui n’avait même pas le droit de l’approcher, voilà qui conforte le PCF et LFI dans le jugement négatif qu’ils portent sur cet exécutif. C’est une histoire tellement caricaturale que les militants et élus de la République en marche en ont le tournis. Eux-mêmes souhaitent que le chef de l’État fasse toute la lumière sur l’affaire, eux-mêmes espèrent que le président et le Premier ministre apurent ce contentieux et prônent une éthique indiscutable dans les moindres faits de leur action politique. Les forces de l’ordre elles-mêmes sont furieuses de ce qu’un individu dangereux ait usurpé les fonctions qui sont les leurs et entaché leur réputation. Pour M. Macron, le coup est sérieux. Il s’apprêtait à changer de cap social et à associer les syndicats à ses prochaines réformes. Il se préparait néanmoins à affronter une année difficile, notamment parce qu’il veut refondre les systèmes de retraite, et il comptait sur l’effet Coupe du monde du football pour rassembler les Français. C’est raté.

RICHARD LISCIA

 

 

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15 réponses à Une affaire d’État

  1. Michel de Guibert dit :

    Dans cette affaire, en toute rigueur de termes, l’erreur du pouvoir s’appelle une forfaiture.

  2. Marco dit :

    il y a longtemps que l’éthique « indiscutable » a disparu de l’Elysée et du comportement du « maître »! Quand on voit ce qui s’est passé lors de la fête de la musique, les derniers doutes à ce sujet se sont volatilisés. Jupiter, le flambeur, brûle trop vite son carburant. Tiendra-t-il cinq ans ? Chacun son tour !

    Réponse
    La haine personnelle n’améliore pas la qualité de l’analyse. Même cette affaire ne l’empêchera pas de rester au pouvoir.
    R.L.

    • Marco dit :

      Bien sûr, mais tout ce travail qui semblait s’échafauder a besoin d’une certaine force suprême d’exemplarité pour être accompli et,là, la France découvre un gros obstacle.
      Quant à la haine,ce n’est pas le cas,elle est toujours malsaine.
      Respectueusement.

  3. 888illégitime dit :

    Face à une crise politique sans précédent sous la Vè République ouverte par un pouvoir exécutif brillant par son incompétence et son refus de toute concertation, MM.les ministres prennent la fuite. Les ministres « compétents » ne veulent pas se présenter devant la représentation nationale, la députation ! Quand seul le piétinement de l’Etat de droit parvient à égaler l’irresponsabilité, alors s’ouvre ce qu’il est convenu d’appeler une crise de régime.

    Réponse
    Et même un cataclysme planétaire !
    R. L.

  4. Scalex dit :

    Cette affaire ne me parait pas extrêmement choquante par elle même. Un proche du président a fait une faute grave, mais sans conséquences (a-t-on parlé de blessures pour le manifestant ? A-t-il tiré un bénéfice personnel de son attitude déplacée ?). Il doit évidemment être licencié. La vraie question est celle-ci : pourquoi tant de gens, et pas seulement les opposants politiques, se servent de ce prétexte pour voler dans les plumes de notre président ? Le monde entier nous envie et admire Emmanuel Macron. La présidente de la Croatie nous a paru récemment subjuguée par son charme. Ses deux prédécesseurs les plus récents ont été remerciés prématurément. Et pour l’instant, aucun successeur crédible se pointe à l’horizon. Personnellement, je trouve l’ambiance actuelle, particulièrement nauséabonde.

    Réponse
    Vous avez raison, mais le problème est que la justice aurait due être saisie dès le 2 mai et que cela n’a pas été fait. M. Macron n’est pas responsable des actes de l’un de ses collaborateurs, mais le sentiment général est que le pouvoir a voulu étouffer l’affaire.
    R.L.

  5. Michel de Guibert dit :

    Des barbouzes à l’Elysée, cela nous ramène à l’époque de de Gaulle, à la lutte contre l’OAS ou encore en 1968…

  6. Chretien dit :

    Personne ne dit ce qu’avaient fait les manifestants ? Avec des barres de fer, des cocktails Molotov, casser des vitrines de magasins, brûler des voitures ?
    Qui va défendre les CRS sur place chargés du maintien de l’ordre ?
    Ne mélanchons pas tout ! Au départ de cette affaire c’est une manipulation des Insoumis et relayée par le « Monde ».

    • Michel de Guibert dit :

      Quand bien même ce serait le cas, c’est aux policiers, aux gendarmes et aux CRS de faire ce travail de maintien de l’ordre, ce n’est pas le rôle d’un « chargé de mission » usurpant ce rôle avec un faux brassard de policier !
      Mais le plus grave n’est pas là ; le plus grave, c’est l’attitude du pouvoir en plus haut lieu cachant d’abord les faits pour le protéger au lieu de saisir la justice et ajoutant ensuite mensonge sur mensonge au lieu de faire la lumière sur cette affaire.

  7. Chretien dit :

    Attendons le résultat de l’enquête SVP !
    Ne tombons pas dans le piège de Mélenchon dont la vidéo circule déjà dans le monde entier ! Pour information je ne suis pas militant LRM .

  8. CHRETIEN dit :

    Il est urgent d’attendre les conclusions de l’enquête et ceci d’autant plus que A. Benalla était bien un engagé de la réserve opérationnelle qui a intégré un groupe de 74 personnes qui font office de consultant à la demande de la gendarmerie auxquels elle fait appel pour des besoins particuliers lorsqu’elle ne dispose pas de ces ressources en interne parce qu’elles ne sont pas disponibles en temps et en heure. Le même dispositif existe dans d’autres corps d’Etat comme la défense « (« le Parisien » de ce jour dixit).

    • Michel de Guibert dit :

      Présumé innocent certes, mais mis en examen pour « violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité », « immixtion dans l’exercice d’une fonction publique », « port public et sans droit d’insignes réglementés », « recel de détournement d’images issues de la vidéo protection » et « recel de violation du secret professionnel ».

  9. Michel de Guibert dit :

    La non-application de l’article 40 du code de procédure pénale par les autorités ayant eu connaissance des faits au plus haut niveau de l’Etat est véritablement une forfaiture.

  10. Chretien dit :

    Vous ne pensez pas qu’il y a d’autres problèmes plus urgents à traiter, ne serait-ce qu’au niveau de la sécurité : deux exemples commencer par identifier et condamner les casseurs et les trafiquants de drogues ? Et arrêter d’emmerder les Français ( provinciaux) avec les 80 Km/h ?

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