L’insurrection des élus

Collomb ce matin
(Photo AFP)

On n’est guère surpris de ce que l’affaire Benalla ait pris, pendant le week end écoulé, de gigantesques proportions. À l’Assemblée nationale, les députés ont refusé de poursuivre l’examen des projets de loi sur la révision de la Constitution. Les travaux ont donc été interrompus et reportés à la rentrée. Ce matin, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a répondu aux questions de la commission parlementaire.

LES FAITS reprochés à Alexandre Benalla et à Vincent Crase, un ancien gendarme qui l’accompagnait « sur le terrain » le 1er mai, sont assez graves (notamment  les « violences en réunion ») pour que trois enquêtes (celle du Parlement, celle de l’IGPN et celle de la justice) aient été diligentées. Au fur et à mesure des révélations, c’est le comportement de M. Benalla qui semble inquiétant. Il se croyait à un poste plus élevé que celui des officiers de police et de gendarmerie ; il a plongé dans la bataille contre les manifestants du 1er mai alors qu’il n’en avait pas le droit. Ayant compris qu’il avait été filmé, il a obtenu de trois policiers qu’ils lui remettent les films des incidents. Eux-mêmes sont mis en examen, en même temps que M. Benalla et M. Crase. Les déclarations de M. Collomb, qui témoignait sous serment et en public, indiquent qu’il n’était pas informé des activités exactes de M. Benalla et qu’il le croisait rarement. Ses explications renvoient donc les enquêteurs à ce qui se passe à l’Élysée, à la responsabilité du cabinet du président de la République et au président lui-même, ce qui ne va certainement pas faciliter la sortie de crise. Bref, le ministre s’est dédouané au détriment de M. Macron et de ses collaborateurs.

Une surenchère politique.

L’opposition étant divisée en quatre groupes distincts (gauche, LR, RN et centristes), la surenchère est rapidement devenue irrésistible. On a à peu près tout entendu, par exemple que, si M. Macron, refusait de parler, il fallait interroger son épouse. D’aucuns appellent déjà à la destitution du chef de l’État, bien qu’il soit impossible d’établir un motif suffisant pour une telle action. Certes, l’aubaine est miraculeuse pour les oppositions, mais elles ne convaincront personne si elles sombrent dans la déraison. Le président de la République et son cabinet ont pêché par suffisance et laxisme. Ils ont accordé à M. Benalla des fonctions et un salaire qu’il ne méritait sans doute pas. Ils n’ont pas cru bon de se séparer de lui quand ils ont appris son comportement du 1er mai. Ils l’ont laissé ensuite participer à toutes sortes de manifestations, dont le retour de Moscou des footballeurs français, bien qu’il n’y eût pas sa place. En d’autres termes, ils ont cru passer entre les gouttes et n’ont pas mesuré la gravité de ce qui s’est produit le 1er mai sur place de la Contrescarpe. Ils n’ont pas mesuré davantage l’aversion qu’ils inspirent à l’extrême gauche. La video des brutalités commises par M. Benalla  a en effet été réalisée par un militant de la France insoumise. Elle n’a pas été diffusée immédiatement. LFI a attendu de connaître l’identité de ce curieux policier qui exécutait les basses oeuvres sur cette petite place du Vè arrondissement de Paris, avant de lâcher la bombe.

Le goût du scandale.

S’il y a une leçon que le pouvoir doit tirer de cette affaire, c’est que tout se sait tout le temps, qu’il est impossible de garder par devers soi une information relatant des actes commis en public et qui seront fatalement filmés, que le mot scandale (que j’emploie pour la première fois) est utilisé dans les réseaux sociaux, puis par la presse, en toute circonstance. M. Macron devrait avoir compris qu’il a décidément beaucoup d’ennemis et qu’il lui appartient de changer de méthode de communication. Celle à laquelle  il a eu recours jusqu’à présent n’a fait que multiplier le nombre des mécontents, ce qui se voit dans sa cote de popularité.

Dans cet incroyable imbroglio, il est temps de dire qu’il y a d’abord l’hypocrisie des élus qui arrivent à la bataille en oubliant que les partis auxquels ils appartiennent ont eu à gérer leurs propres scandales ; il y a aussi l’exagération militante des propos que tiennent les plus irresponsables d’entre eux ; il y a enfin une atmosphère de règlement de comptes avec le pouvoir qui sent le soufre.  Je ne sais pas de quelle manière Emmanuel Macron parviendra à sortir de la mêlée, mais, s’il s’en sort, il pourrait se venger.

Macron affaibli.

Beaucoup de ses adversaires, en effet, ne se sont pas contentés de dénoncer les faits. D’abord, ils ont voulu l’humilier en exigeant qu’il prenne la parole en public, sachant que leur seule injonction lui interdisait de leur répondre. Ensuite, profitant de son silence, ils ont alimenté toutes les rumeurs, y compris celle d’un « cabinet noir » à l’Élysée, là où existe seulement un cabinet qui n’a pas su parer très vite et définitivement le danger. Il se peut très bien que M. Macron ait accordé sa confiance à M. Benalla, jeune homme ivre des pouvoirs à lui conférés et qui s’est cru au-dessus des lois. Cela ne signifie pas que le président ait demandé à Benalla d’aller casser du manifestant. Je ne crois pas non plus que l’affaire se résorbera sans dommage pour le président. Le ministre de l’Intérieur a tout fait ce matin pour diminuer sa responsabilité et même la nier. Le préfet de police, Michel Delpuech, ne s’estime responsable de rien lui non plus. En somme, les premières personnalités interrogées par la commission parlementaire montrent du doigt l’Elysée. Il appartient au chef de l’État de se séparer d’un certain nombre de collaborateurs, ceux qui ont si mal géré cette affaire et n’en ont pas évalué les conséquences.

RICHARD LISCIA

 

 

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14 réponses à L’insurrection des élus

  1. Liberty8 dit :

    « Il appartient au chef de l’Etat de se séparer d’un certain nombre de collaborateurs » : y compris de M. Collomb qui a bien jeté la patate chaude dans les mains de la présidence ?

    Réponse
    Je n’en sais rien et ce n’est pas à moi de vous répondre.
    R.L.

  2. Michel de Guibert dit :

    Le préfet de police, qui n’a pas envie de servir de fusible, contredit sous serment les déclarations sous serment du ministre de l’Intérieur !
    On ne peut exclure que la mauvaise gestion de cette affaire par l’Elysée remonte au sommet, autrement dit au président lui-même qui aurait voulu protéger M. Benalla.

  3. Sphynge dit :

     » il est temps de dire qu’il y a d’abord l’hypocrisie des élus qui arrivent à la bataille en oubliant que les partis auxquels ils appartiennent ont eu à gérer leurs propres scandales ; » Ce n’est pas de ceux-là qu’il s’agit aujourd’hui. Le scandale actuel appelle les réactions souhaitables des opposants actuels. Et surtout les fautes de ses prédécesseurs n’excusent pas celles de M. Macron. A fortiori lorsqu’on se rappelle ses vertueuses protestations d’honnêteté de la vie publique.

    Réponse
    Ce que vous dîtes, je l’ai dit le 20 juillet. Il est donc inutile de m’interpeller comme si j’avais des comptes à vous rendre. Rien ne m’empêche de constater aujourd’hui 23 juillet que les attaques politiques contre l’Elysée deviennent hystériques. Les principaux détracteurs du pouvoir appartiennent à des partis qui ont été mêlés à des scandales beaucoup plus graves que celui-ci, par exemple le SAC, Greenpeace, les écoutes téléphoniques et j’en passe.
    R.L.

    • P. KUHFUSS dit :

      Je lis toujours vos blogs avec le plus grand intérêt.
      Mais si le contenu de vos articles est très bien fait, vos réponses aux lecteurs sont très sèches.
      Pourquoi dire à Spynge:  » Il est donc inutile de m’interpeller comme si j’avais des comptes à vous rendre », alors que ce n’est pas le cas ?
      Je me demande depuis des années si vous n’avez pas un ego surdimensionné.
      Simple remarque, ne le prenez pas mal !
      Bien confraternellement.

      Réponse
      Je suis journaliste professionnel, donc je ne suis pas exactement votre confrère. Je vous remercie de me lire. Je n’ai aucune sorte d’ego, a fortiori pas surdimensionné. Je fais un blog, mais je lui applique les règles de la presse écrite et donc je refuse que cet espace tombe dans la dérive des réseaux sociaux, dérive dans laquelle vous venez de vous engouffrer puisque vous jugez mon caractère sans même savoir qui je suis. Oui, le lecteur auquel vous faites allusion m’a interpellé, sur un détail qui, me semble-t-il, n’était pas fondamental et je tiens à rappeler à tous mes lecteurs que nos échanges doivent rester dans le strict respect des uns et des autres. Une question ou une critique n’a pas besoin d’être assortie d’un jugement personnel. Or dans le cas que vous soulevez, le lecteur a cité entre guillemets une phrase que j’avais écrite, comme si j’étais comptable de chaque virgule. Nous ne sommes pas dans un tribunal. Je propose tous les jours une analyse, on peut avoir tous les avis contraires et les exprimer librement, on n’a pas besoin d’apostropher l’auteur. C’est la règle pour ce blog.
      R.L.

  4. Stiers dit :

    Il est possible que d’autres éléments surgissent pour expliquer le mutisme de notre président.

  5. Chretien dit :

    Qui va arrêter les black blocs avec des barres de fer, les magasins pillés, les voitures brûlées,les gauchos formés à l’école de Cuba ,recyclés au Vénézuéla qui prônent la révolution et tous les moyens sont bons (la vidéo de Benalla): c’est la stratégie des Insoumis ?
    Oû allons-nous trouver des Benalla qui auront le courage de les contrer ?

  6. Antoine Martin dit :

    Le monde numérique n’a pas fini de nous étonner et si chaque manifestation donne lieu à enregistrements d’images par manifestants et forces de l’ordre (que s’était-il passé sur cette fameuse place avant l’arrivée des policiers et certains parlent d’attaque de commerce, d’autres un « apéritif » militant), on n’en a pas fini.
    Votre éditorial est comme souvent mesuré et on peut insister sur la mauvaise foi des Médias ( (le Monde est enchanté d’avoir damé le pion à Médiapart et au Canard) et des partis politiques.
    Erreur au départ mais payée au centuple par l’Elysée .

  7. Chretien dit :

    « too much ado about nothing »

  8. domurado dit :

    Apparemment la chimie n’est pas votre point fort : « soufre » s’écrit avec un seul « f ».
    Réponse
    Ce n’est pas la chimie, c’est l’orthographe. Merci de me lire si attentivement et de jouer au correcteur que je n’ai pas. Bien entendu, je ne vais pas vous dire le nombre de mots que j’ai écrits dans cet espace et où vous n’avez pas trouvé d’erreur.
    R.L.

  9. chretien dit :

    J’ai relu votre article et j’en apprécie d’autant plus la finesse tout en nuances avec une analyse très pointue des événements qui vous entraîne vers une conclusion limpide.
    Selon « le Parisien », Benalla avait bien le droit d’intervenir en appui des C.R.S ? Mais ce n’est pas le plus important .
    Les oppositions (gauche, LR,RN, centre) le ministre de l’Intérieur, le préfet de police et la Commission sont tous tombés dans le panneau ( piège ) tendu et se sont bien fait manipuléer par Mélenchon et ACorbière sans arrêt sur toutes les chaines de TV qui leur servent la soupe.
    Ils doivent bien se réjouir de leur coup mais c’est au détriment de la France et de notre image internationale .
    Merci encore pour vos articles passionnants.

    • Michel de Guibert dit :

      Votre dévotion au président vous aveugle.
      Nous sommes dans une Etat de droit.
      Le préfet de police a fait une intervention d’une grande clarté, ce n’est pas le cas de tout le monde…
      Dire qu’il est « tombé dans le panneau (piège) tendu » relève du procès d’intention.

  10. CHRETIEN dit :

    Ma dévotion s’arrête là où je pense qu’il va chuter à cause de la CSG sur les retraités, les 80 Km/h et les nouveaux impôts sur les résidences secondaires que les propriétaires sont déjà en train de vendre à regret. Il s’agit bien souvent de maisons familiales auxquelles ils sont très attachés.
    Ce n’est pas très glorieux. Mais les 40 millions d’automobilistes, les motards, les retraités, ceux qui paient des impôts ( moins de 50% des français ): cela représente beaucoup de votants.

    Réponse
    Il ne va pas chuter. Il a un mandat.
    R. L.

    • CHRETIEN dit :

      Merci pour votre réponse avec laquelle je suis tout à fait d’accord, j’évoquais, il me semble, en parlant des votants, des futures élections présidentielles.
      Les prochaines élections arriveront vite et la rancune est tenace ! Il a quatre ans pour corriger sa tragédie politique : jusqu’à ce jour, les Français n’ont rien vu de son action dans leur vie de tous les jours a l’exception de leurs impôts et des 80 Kms/ H d’Edouard Philippe.
      Tout d’abord il me semble qu’il devrait parler et « philosopher » beaucoup moins, travailler plutôt ses dossiers pour agir et faire des actes concrets visibles par tous les Français : il y a d’énormes chantiers, la tâche ne manque pas.

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