Le vertige allemand

Merkel sanctionnée
(Photo AFP)

Les manifestations et violences de Chemnitz, la création d’un nouveau parti de gauche, Aufstehen, dont Sahra Wagenknecht, ex-Die Linke, prend la tête, l’ascension de Alternative für Deutschland (AfD) qui, selon les sondages, recueille 16 % des suffrages et talonne le SPD (sociaux-démocrates) : l’Allemagne, prospère et puissante, vacille, se cherche et tente des expériences inquiétantes.

LA CRISE politique allemande n’a aucun rapport avec sa situation économique et sociale, qui est brillante. Protégés par une économie dont les exploits se répètent d’année en année, les Allemands, ou plutôt une partie d’entre eux, semblent ne pas avoir pardonné à la chancelière Angela Merkel sa décision, prise en 2015, d’accueillir près d’un million d’immigrés sur le territoire allemand. La chancelière a réussi à obtenir un nouveau mandat de quatre ans l’année dernière, mais les élections législatives de septembre dernier ont montré l’affaiblissement de son parti ainsi que celui des sociaux-démocrates (SPD). Au terme de longues tergiversations, une coalition entre la CDU (conservateurs) et le SPD a été élaborée, mais les reproches adressés à Mme Merkel n’ont jamais cessé et, au sujet de l’accueil des migrants, elle a même été mise au défi par son propre ministre de l’Intérieur, membre de la CSU, un parti très à droite représentant la Bavière et associé à la CDU.

Les incidents de Chemnitz.

L’équilibre de la coalition est empoisonné par les assauts de l’extrême droite, qui rassemble beaucoup d’Allemands de l’Est, apparemment frustrés parce qu’ils ne parviennent pas tout à fait à rejoindre le niveau de vie de leurs compatriotes de l’ouest, et de l’extrême gauche. A Chemnitz, ville de l’Est, un Allemand de 35 ans a été tué par un immigré irakien, ce qui a mis le feu aux poudres et conduit l’extrême droite (essentiellement des membres de l’AfD) à manifester. Des scènes de violence se sont produites parce que les contre-manifestants étaient au moins aussi nombreux que les membres de l’AfD. Depuis 1945, on n’a jamais vu l’Allemagne aussi déstabilisée, son gouvernement aussi choqué et perplexe, des divisions aussi profondes. La crise est d’autant plus paradoxale que la croissance de l’Allemagne n’a pas ralenti, que le quasi-plein emploi y est assuré et que ses usines tournent rondement. Nul doute que les inégalités dues une insuffisante répartition de la richesse, un autre effet de la mondialisation, jouent contre tous les consensus possibles : nombre d’Allemands de l’Est pensent que l’afflux d’immigrés fait d’eux des citoyens de seconde zone, d’autant que les efforts du gouvernement allemand pour insérer les réfugiés dans la société grâce à une assistance coûteuse et une formation très poussée, ont été couronnés de succès, au moins pour la majeure partie des étrangers concernés.

La cause de tous nos maux.

L’intolérance et la xénophobie ne sont pas limités, cependant, aux anciens citoyens de la RDA. Au sentiment national de culpabilité lié au passé hitlérien a succédé le bon vieux nationalisme, celui qui, jadis, conduisit  l’Allemagne à une catastrophe historique. Depuis 1945, ce pays a toujours été gouverné par des démocrates convaincus, dans une stabilité remarquable. Et puis, au tournant du siècle, les vieux démons, favorisés par une mémoire chancelante, ont surgi de nouveau. La nouvelle excroissance de l’extrême gauche, Aufstehen, semble vouloir faire la synthèse entre la satisfaction des aspirations populaires par l’abandon du libéralisme, et une plus grande fermeté face à l’immigration, fondée sur l’idée que les étrangers prennent les emplois des gens nés en Allemagne. Ce qui pose un problème aigu pour toute l’Europe. La lutte contre l’immigration débouche sur des actes contre nature, comme le démontre l’attitude du ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, qui refuse l’accès des ports de son pays aux bateaux chargés de migrants, ce qui crée un conflit pour chaque navire. Et une politique plus généreuse finit par se retourner contre le gouvernement qui l’a décidée : Mme Merkel paie d’un prix accablant son geste de 2015 et elle est maintenant obligée de gouverner dans un climat d’hostilité et de défiance créé de toutes pièces par l’extrême droite.

Dans toute l’Europe, l’évolution vers « l’illibéralisme » et l’autoritarisme met en garde les partis ancrés dans la démocratie contre le risque d’une politique migratoire appuyée sur un élémentaire humanisme. C’est l’immigration qui a conduit le Royaume-Uni à cette catastrophe historique qu’est le Brexit, au sujet duquel il est bien peu probable qu’un accord soit conclu entre Londres et les Vingt-Sept ; c’est l’immigration qui a porté les populistes et les néo-fascistes au pouvoir en Italie ; c’est elle qui permet à Viktor Orban, en Hongrie, de gouverner au mépris du droit ; c’est elle qui, en affaiblissant l’Europe, renforce le pouvoir de nuisance de Vladimir Poutine. De sorte que le discours humaniste devient dangereux pour les partis politiques qui le prononcent. Leur dilemme est affreux. S’ils devancent les voeux de la population en durcissant leur programme d’accueil des réfugiés, ils perdent le sens même de leur vocation ; s’ils tiennent bon, ils seront électoralement battus.

RICHARD LISCIA

 

 

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9 réponses à Le vertige allemand

  1. Hostachy dit :

    Pour information, un extrait de « la Vie des idées »:
    « Le point commun à toutes ces prises de position terrifiantes est un rapport totalement décomplexé au passé nazi de l’Allemagne.
    Il ne s’agit pas d’un hasard si les meilleurs scores de l’AfD se font dans l’ex-RDA. Il y a bien sûr le fait que le chômage et la précarité dans l’emploi y sont plus répandus qu’à l’Ouest. Mais il y a aussi des raisons historiques : dès le 26 février 1948, l’administration militaire soviétique a officiellement mis fin à la dénazification dans sa zone d’occupation. Avec l’accord de Moscou, un Parti national-démocrate d’Allemagne a été créé dans la future RDA, qui a existé jusqu’en 1990. Il comptait parmi les partis dits Blockparteien, dans la logique de fausse concurrence organisée par le SED, afin de justifier la tenue d’élections ».
    On ajoutera que les Soviétiques n’ayant pas suffisamment de cadres politiques pour faire tourner l’administration est-allemande en 1945 (125 000 pour environ 300 000 cadres nécessaires), ils ont largement pioché dans les cadres nationaux-socialistes les plus disposés, soit plus de la moitié tout de même (175 000).

  2. Mme Merkel, que pourtant j’admirais beaucoup, a eu un grand moment de distraction : elle n’a pas remarqué que la grande majorité de ces migrants étaient musulmans !

  3. Une fiévre est un symptôme , qui ne révèle toujours pas la maladie .

  4. jean MARIE jean MARIE DR RADIGUET dit :

    Encore et toujours l’hypocrisie occidentale. Les peuples sont las d’être montrés du doigt alors qu’ils travaillent beaucoup et aident beaucoup (au moins 65% de reversion des richesses gagnées en France si on compte les impôts, TVA, taxes pétrole, CSG, successions etc ,et je dois être bien en dessous du vrai chiffre). Tout ça pour subir une immigration en grande partie musulmane qui ne veut pas s’intégrer, c’est-à-dire accepter le mode de vie occidental ? Il n’y a aucun problème avec l’immigration des boat people. Pourtant, la réalité est là ! De même pour la gouvernance européenne complètement déconnectée. Et certains voudraient y faire entrer la Turquie ? Mais ils sont fous, l’Europe est déjà malheureusement condamnée en étant devenue tentaculaire (27 pays !) et sans projet. Evidemment, ça risque de mal finir, mais dire que c’est la faute ce ceux qui votent aux extrêmes encore et toujours (et bien que cela me glace), c’est oublier la cause : notre absence de courage, de vision et cette éternelle culpabilité post-coloniale bobo. Qui va finir par nous achever.

    Réponse
    Si vous tenez à publier un commentaire, je vous suggère de l’écrire et de ne pas compter sur moi pour remplacer vos abréviations par des mots. Sur le fond, je peux vous rassurer sur au moins un point : la Turquie n’a plus aucune chance d’entrer dans l’Union européenne. Ce qui devrait atténuer votre forte dépression. Enfin, je n’ai jamais dénoncé le vote extrémiste mais le danger de conduire des politiques généreuses qui se traduisent par des changements de régime.
    R.L.

  5. Liberty8 dit :

    Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement allemand tolère ce type de manifestation, leur passé nazi devrait leur inspirer une profonde réflexion sur ces parties néo-fascistes. Il devrait, à défaut de les interdire, réprimer sévèrement toute manifestation provoquée par ce genre de groupuscule.
    Ils ont massacré 6 millions de juifs, 3 millions de prisonniers russes, 60 0000 tziganes et je ne sais combien d’opposants politiques. Ils peuvent dire :  » Ce n’étaient pas les Allemands, c’étaient les nazis ». C’étaient les Allemands, un point c’est tout, et il faut l’assumer et considérer toute manifestation de retour au passé comme une provocation pour toutes les démocraties.
    On va pas remettre ça avec les Allemands, les Italiens, ou les Hongrois, il ne faut rien accepter et ne rien oublier !

  6. Julien dit :

    Tout à fait d’accord avec Liberty. Comment ne pas s’indigner devant ces manifestations de xénophobie et d’intolérance en Allemagne ? C’est à croire que les jeunes générations ont oublié ou n’ont pas appris ce qui s’est passé dans leur pays. Il doit exister des limites à la tolérance et ne pas tolérer de telles manifestations de xénophobie n’est en aucune façon une entrave à la liberté de penser. Tant pis si le discours humaniste risque de faire perdre des voix aux partis politiques qui s’en inspirent. Il faut que leur propre voix soit forte pour être entendue.

  7. Picot dit :

    Viktor Orban gouverne au mépris du droit ? Mais de quel droit parlez vous ? Il n’a pas été régulièrement élu ?

    Réponse
    Il s’attaque aux médias qui n’ont, en Hongrie, que le choix de se taire ou périr, il s’attaque aux ONG et a contraint la Fondation George Soros à quitter la Hongrie, il se déclare lui-même « illibéral », ce qui veut dire hostile au libéralisme mais aussi aux libertés individuelles, qu’il ne cesse de bafouer. Le droit, c’est le respect des individus. Vous le savez très bien.Si vous pensez qu’Orban est un excellent leader, allez voir en Hongrie comment ça se passe.
    R.L.

  8. mathieu dit :

    Démocratie ne signifie pas ouverture incontrôlée des frontières. La plus grande démocratie du monde (au moins en taille), les Etats-Unis, a, depuis un siècle, sévèrement filtré son immigration.

    Réponse
    Depuis un siècle ? Non, depuis beaucoup moins que ça. Les Etats-Unis sont un pays d’immigration. Trump lui-même est d’origine allemande. Et, malgré tous les efforts pour juguler le flux des migrants, chaque année des centaines de milliers de latino-américains traversent la frontière. Je ne confonds pas immigration et démocratie, mais je vois un lien direct entre la fermeture des frontières et l’autoritarisme d’un régime (exemple : la Hongrie).
    R.L.

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