Aquarius : le dilemme

Migrants secourus par l' »Aquarius »
(Photo AFP)

Le navire humanitaire « Aquarius », avec 58 migrants à bord, a demandé à la France, à titre exceptionnel, de pouvoir accoster à Marseille. Le gouvernement n’est pas enthousiaste.

CE N’EST PAS la première fois que l’« Aquarius » fait parler de lui. Son équipage poursuit obstinément sa mission humanitaire, malgré le refus, tout aussi entêté, de l’Italie et de Malte de recueillir des migrants. Le gouvernement italien vient de durcir ses lois d’immigration. Sa législation prévoit maintenant des expulsions rapides de réfugiés délinquants, la suppression des autorisations de séjour pour raisons humanitaires,  et l’entrée en Italie ne sera permise que pour des motifs médicaux. L’« Aquarius » relève de deux ONG, Médecins sans frontières et SOS-Méditerranée. Il avait un pavillon panaméen que le Panama vient de lui retirer, de sorte que Malte et l’Italie n’ont pas la moindre raison légale de le laisser accoster.

Le flux se tarit.

Paris cherche, comme dans des cas précédents (l’« Aquarius » a secouru 1 200 migrants au large de la Libye) une solution européenne, avec une répartition des 58 personnes entre différents pays. Mais le temps presse et, s’il est absolument vrai que le droit international prévoit qu’un navire avec des réfugiés à bord doit se rendre au port le plus proche, la nouvelle donne instaurée par l’Italie empêche l’application de ce droit. Marseille n’est pas le port le plus proche et le gouvernement français s’appuie sur cet argument, en laissant de côté, pour le moment, l’urgence humanitaire. Mais combien de temps encore la France pourra-t-elle ignorer le cas de ce bateau soudainement plongé dans l’illégalité par le Panama ? On n’a pas de mal à comprendre la nature du dilemme. Le rappel du droit a été, jusqu’à présent, l’argument essentiel de la France. Emmanuel Macron n’a pas craint de se dresser contre le gouvernement italien, présidé par Giuseppe Conte, mais en réalité dominé par Matteo Salvini, de la Ligue, un parti d’extrême droite. Le durcissement des conditions d’accueil en Italie sous la houlette de Salvini a coïncidé avec une diminution considérable des immigrés clandestins. En 2017, l’Italie avait accueilli plus de 90 000 migrants, mais cette année, elle n’en a reçu « que » 18 000.

La volonté du gouvernement italien de mettre un terme définitif à l’immigration contribue au tarissement de l’immigration clandestine. A part « l’Aquarius », il n’y a plus de mission humanitaire en Méditerranée, il n’y a plus de marine nationale pour recueillir les migrants en détresse. Les spécialistes de la géopolitique nous parlent d’une vague à venir de centaines de millions d’Africains, mais, au fond, qu’en savent-ils ? La promesse d’un voyage en enfer et d’un péril mortel semble être entendue en Afrique. Les pays occidentaux ont en outre pris des mesures pour que les jeunes tentés par l’aventure renoncent au voyage. Il faudra aussi traiter le problème au fond, c’est-à-dire une contribution de l’Europe au développement des pays africains de manière à fixer les populations sur leur continent. Mais, bien entendu, il y aura toujours des Africains pour essayer de trouver une vie meilleure en Europe. M. Salvini tente de régler le problème en fermant les ports italiens et en se défaussant sur les autres Etats de l’Union européenne. Pour appliquer son programme, il faut se moquer du sort de ces malheureux, alors que la loi et la règle, sont toujours, immanquablement, de secourir les personnes en danger sur une mer hostile.

Menacés de mort par le cynisme.

Le problème vient moins de l’immigration elle-même, qui est sur la pente descendante, que de l’usage qu’en font des partis politiques qui se hissent au pouvoir en jouant sur l’idée de grand « remplacement » et sur la peur des Européens. Emmanuel Macron n’ignore rien des nécessités humanitaires. Mais d’une part, il veut tenir tête à un gouvernement italien dont les méthodes sont dangereuses pour ces malheureux, menacés de mort par le cynisme. D’autre part, il sait que l’opinion en France, n’éprouve pas moins d’aversion pour l’immigration que les partis politiques qui en font leur instrument de conquête du pouvoir. Le président sait parfaitement qu’il ne peut pas raisonner Matteo Salvini, qui fait très exactement ce qu’il a promis de faire avant d’être élu. Il s’efforce seulement de ne pas abandonner la politique européenne d’immigration à la seule Italie qui, aujourd’hui décide de tout et impose sa volonté. Quant à l’opinion française, elle en voudra à M. Macron s’il accepte d’accueillir les 58 migrants. Elle lui en voudra encore plus s’ils meurent de faim et de soif à bord du navire.

RICHARD LISCIA

PS-Un accord intervenu cet après-midi entre la France et Malte permet le débarquement des 58 migrants à Malte et leur répartition entre plusieurs Etats européens.

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4 réponses à Aquarius : le dilemme

  1. admin dit :

    LL dit :
    Et voila comment en on arrive au paquebot St-Louis. Le voyage des damnés. « C’est différent » nous dit-on. L’est-ce vraiment ? En quoi ?

  2. Num dit :

    Je ne comprends pourquoi il n’accosterait tout simplement pas en Libye, vu que ce sont les côtes libyennes qui sont les plus proches ?
    Réponse
    La Libye, c’est l’esclavage ou la mort.
    R.L.

  3. Michel de Guibert dit :

    Vous écrivez : « M. Salvini tente de régler le problème en fermant les ports italiens et en se défaussant sur les autres Etats de l’Union européenne ».
    C’est vrai aujourd’hui, mais il faut ajouter que la plupart des Etats de l’Union européenne se sont défaussés auparavant sur l’Italie et la Grèce qui ont porté seuls le poids des réfugiés et des migrants accostant sur leurs côtes ou secourus en mer.
    Il est juste aussi de le rappeler.

    Réponse
    je ne peux pas le rappeler tous les jours, pas plus que je ne peux approuver l’inhumanité de M.Salvini.
    R.L.

    • claude ostré dit :

      L’inhumanité ne concerne pas que M. Salvini. On croit rêver. 58 personnes, et la France hésite et reporte sur l’Europe. L’histoire se reproduit, c’est celle de l’Exodus.

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