Le non-remaniement

Macron à la station F
(Photo AFP)

Ce serait drôle, et même un peu loufoque, s’il ne s’agissait pas de l’Etat : il n’y aura pas de remaniement ministériel avant vendredi soir, peut-être samedi et, pourquoi pas ? un peu plus tard. L’exécutif ne fournit aucune raison pour le retard, ce qui soulève une foule d’hypothèses.

LE MEILLEURE séquence d’hier a été l’escapade d’Emmanuel Macron à la station F, le fameux « incubateur » de start up dans le XXIIIè arrondissement, suivi d’une promenade chez les bouquinistes de la Seine et d’une retour à pied à l’Elysée. Le président a l’art de transformer en balade une affaire aussi sensible que devrait être le remaniement. Il nous aura bien baladés, nous les journalistes, en nous laissant croire que, quoi qu’il arrivât, il y aurait un gros changement dans la composition de l’équipe d’Edouard Philippe avant le conseil des ministres de ce matin, qui a eu lieu avec ceux qui seront limogés dans quelques jours. Il a pris à la lettre l’explication devant l’Assemblée du Premier ministre qui, sommé par le chef des députés LR, Christian Jacob de mettre fin à « cette mascarade », a calmement répondu qu’il voyait dans la démarche de son interlocuteur un soupçon « d’impatience et de fébrilité », deux dérives dont le pouvoir serait indemne selon lui.

Les Français indifférents.

J’ai tendance à penser que le temps qu’il faut pour recomposer le gouvernement après la démission de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, pour en faire l’instrument des réformes à venir et qui seront si difficiles à mener à leur terme, un peu de réflexion sur le caractère du ou des nouveaux ministres, sur l’équilibre idéologique des restants et des entrants, sur leur adaptation au cap nouveau que, très probablement, la politique de M. Macron va franchir, ne devrait pas être un sujet de discussion. On peut, une fois de plus, être surpris et agacé par la méthode, qui crée un suspense inutile et l’un de ces brouhahas politiques dont Paris a le secret, mais on observe tout en même temps que, si les journalistes sont mis à rude épreuve, si l’opposition fait du retard un faute inexpiable, si la majorité est de plus en plus embarrassée, les Français, quant à eux, vaquent à leurs affaires, pas plus impressionnés par le gouvernement d’hier ou par celui de demain, de la même façon que, mardi, ils prenaient leur parti d’une mobilisation populaire censée bouleverser notre destin mais qui ne les a guère émus.

Si le remaniement est reporté de presque un semaine, c’est parce que M. Macron part aujourd’hui pour l’Arménie, où il va célébrer la francophonie, et qu’il n’en reviendra que vendredi soir. Le président a l’art de se mettre, mais avec grâce, dans des situations impossibles : il eût été inconvenant, ou bizarre, ou sans précédent,  d’annoncer la composition du nouveau gouvernement en son absence. Mais en réalité, comme d’habitude, et à cause de son sacré caractère, qui se satisfait des situations les plus incongrues, il n’avait plus le choix qu’entre deux inconvénients, d’aller trop vite ou d’une façon précipitée, ce qui lui aurait valu des quolibets, ou d’aller trop lentement, ce qui lui en vaut déjà. C’est en ce sens, mais seulement en ce sens, que Donald Trump a un peu déteint sur lui.

L’arme du ridicule.

Je ne crois pas que ce que M. Jacob appelle une mascarade, et où je vois davantage une pièce de la commedia dell’arte, me permette d’énoncer des supputations sur le bois dont sera fait le prochain gouvernement. Ce sera à n’en pas douter un matériau très macronien, d’une texture inattendue, à la fois froid et chaud, dur et mou, solide et fragile. Ce sera le gouvernement d’Emmanuel Macron, l’homme qui prétend ne jamais être mis en difficulté, et qui s’en va en goguette dans un Paris ensoleillé au moment où la totalité de la classe politique, y compris la majorité, enrage. Mais c’est l’occasion où jamais d’écrire un mot élogieux pour Edouard Philippe, géant calme et sympathique, qu’aucun vent contraire ne saurait faire plier. Dans sa loyauté sans failles pour le président, il vient d’ajouter un peu de dialectique ; et c’est pour résoudre son différend avec lui au sujet du prochain ministre de l’Intérieur que, d’un commun accord, ils ont décidé de reporter l’annonce du remaniement. Il est sans doute inévitable que le chef de l’Etat se rende à l’étranger, même dans les périodes où sa présence sur le sol français semble nécessaire, mais nous sommes rassurés par celle du Premier ministre, dont le calme olympien nous change du lyrisme des oppositions, plus promptes à inventer de belles phrases et à lancer l’assaut contre un moulin qu’à admettre une chose pourtant simple : quand on n’a plus d’autre option que de tenter de ridiculiser l’adversaire, on risque de se couvrir de ridicule.

RICHARD LISCIA

 

 

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3 réponses à Le non-remaniement

  1. Michel de Guibert dit :

    La francophonie est sans doute bien plus importante que le remaniement du gouvernement, et Edouard Philippe assure l’intérim du ministère de l’Intérieur, pas de quoi s’affoler !

  2. Jacques T dit :

    Très bel hommage rendu au 1er ministre (et parfaitement argumenté).

  3. Picot François dit :

    Macron ne ballade pas seulement les journalistes. Il promène tous les citoyens depuis son ministère chez François Hollande. Effectivement, tel ou tel nouveau ministre, on s’en contrefiche puisque rien ne changera, de toute façon.

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