L’affaire Khashoggi

Jamal Khashoggi
(Photo AFP)

L’abondance de l’actualité, comme on dit,  ne m’a pas autorisé à évoquer jusqu’à présent l’affaire Jamal Khashoggi : ce journaliste saoudien de 59 ans est entré au début du mois au consulat de son pays à Istanbul et n’en est jamais ressorti. Tout laisse penser qu’il a été assassiné dans les locaux du consulat par un commando venu de Riyad, qu’il aurait été  démembré et transporté hors du territoire turc. Sa disparition a soulevé un tollé planétaire.

LA SEULE QUESTION qui vaille est la suivante : comment le gouvernement d’un pays peut-il se livrer à un action aussi macabre et aussi méprisante des droits de l’homme en terre étrangère ? L’Arabie saoudite est dirigée de facto par Mohamed Ben Salman, dit MBS, un prince de la famille royale des Saoud de 33 ans, dont le père, roi officiel du pays, lui a donné carte blanche. Avec enthousiasme, il a procédé à diverses réformes, certaines allant même jusqu’à améliorer le sort des femmes, mais il n’est pas le genre de dirigeant à rendre des comptes à qui que ce soit. Jamal Khashoggi était un journaliste modéré qui, avec le temps, a fini par analyser négativement la gouvernance de Ben Salman et à publier des articles dans « le Washington Post ».  Apparemment, l’Arabie de Ben Salman veut se moderniser mais pas au point d’envisager la liberté de la presse.

Le Turquie en colère.

Le monde n’attendait d’ailleurs du nouveau chef,  jeune et impétueux , de l’Arabie qu’il la transforme en grande démocratie du désert. Comme les pays occidentaux sont dépendants du pétrole, les tentatives pour influencer cet apprenti dictateur qu’est « MBS » sont plutôt discrètes et rares. Cependant, l’enlèvement et l’assassinat possible, probable, de M. Khashoggi par des Saoudiens à la solde de MBS, est maintenant la thèse privilégiée et les partenaires de l’Arabie, notamment les Etats-Unis et l’Europe, ne pouvaient laisser passer une telle provocation, d’autant qu’elle a eu lieu en Turquie et non en Arabie. Le gouvernement turc, de son côté, n’est pas du genre à respecter les droits de l’homme et encore moins ceux des journalistes qu’il a pour habitude de jeter en prison sous des prétextes fallacieux. Mais le président turc, Recep Yassip Erdogan, n’est pas homme à accepter que des étrangers fricotent au cœur de sa chasse gardée. Il a donc demandé des comptes à MBS, sur un ton particulièrement virulent, et les grandes puissances, qui souhaitaient éviter un affrontement avec Riyad, toujours au nom du sacré-saint pétrole, ont été contraintes de suivre.

L’erreur terrible de MBS.

Autour du cas affreusement injuste, scandaleux, et même monstrueux, de M. Khashoggi, on a donc assisté à une partie diplomatique qui ne grandit personne, certainement pas le gouvernement d’Arabie, incapable de donner une version honnête de la disparition, ni M. Erdogan, dont les attaques ont toujours une arrière-pensée politique (la lutte pour le leadership du sunnisme), ni les Etats occidentaux qui sont partagés entre leurs intérêts stratégiques et leur adhésion  aux droits de l’homme, toujours coûteuse en matière géopolitique.  Le prince Ben Salman a touché ses limites. Il a commis une erreur susceptible de mettre un terme à sa carrière politique, car il a pris le risque de placer l’Arabie au ban des nations. Impossible de ne pas voir dans la disparition de Jamal Khashoggi le résultat bête et méchant d’une politique fondée sur l’impunité de celui qui la mène mais qui a oublié en l’occurrence qu’à Istanbul, on n’est pas dans le silence du désert.

Et quoi qu’il en coûtera, l’Arabie perdra, au moins pendant quelque temps, le soutien de ses amis traditionnels, à commencer par Donald Trump, qui n’a pas ménagé ses critiques et ses exhortations à MBS, même s’il lui en coûte de se fâcher avec le régime. La politique extérieure américaine est presque entièrement fondée sur l’alliance avec l’Arabie pour contrecarrer l’Iran, considéré par les Américains comme un Etat-voyou. Eh bien, voilà qu’il y a des voyous chez nos amis. C’est une question de réputation : on a tout à perdre, dans le monde diplomatique, si on reste proches de gens qui pratiquent les méthodes de la mafia.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à L’affaire Khashoggi

  1. Michel de Guibert dit :

    Jamal Khashoggi était tout sauf un modéré, ancien ami de Ben Laden, journaliste posant avec une kalachnikov aux côtés des moudjahidin d’Afghanistan, membre des Frères musulmans…
    Cela ne justifie en rien son assassinat dans des conditions particulièrement odieuses bien sûr.
    Oui, l’Arabie saoudite de MBS est un Etat-voyou, sans doute bien davantage que l’Iran de 2018, quoi qu’en pensent les Etats-Unis et Israël.
    Mohamed Ben Salman, qui a joué gros dans cette affaire, risque fort en effet d’être renversé par d’autres princes saoudiens ; déjà ils se sont réunis en « conseil de famille ».

  2. Liberty8 dit :

    Ce drame qui a été mal conçu, mal préparé, découvert rapidement, me laisse penser que c’est un piège établi par les factions opposantes à MBS. Les Saoudiens ont des moyens bien plus secrets pour éliminer leurs opposants. MBS, qui est loin d’être un sain, est soupçonné d’avoir déjà éliminé les factions qui lorgnaient sur son poste, on parle d’un millier de morts , familles entières. Biens réquisitionnés par le pouvoir en place. Je ne vois pas son intérêt de réaliser un geste aussi stupide. Il a été, a mon avis, piégé soit par ceux qu’il a oubliés, soit par sa propre famille. On verra dans quelque temps.

  3. JMB dit :

    Dans un débat récent de « 28 minutes » sur Arte concernant l’affaire Khashoggi, les trois invités, dont Pierre Conesa, l’économiste Pierre Chalmain, commencèrent unanimement leur débat pour pointer l’émotion suscitée par cette affaire alors que la guerre au Yémen et ses plus de 10 000 morts , les conditions de travail des immigrés dans ce pays et les émirats de la même péninsule (passeports confisqués, salaires plus ou moins payés, conditions de vie déplorables, nombreux accidents de travail mortels) en suscitent peu.
    Ben Laden était un ressortissant de l’Arabie saoudite, 15 des 19 terroristes du 11 septembre l’étaient aussi. Le couple pakistanais qui a réalisé l’attentat de San Bernadino s’était formé en Arabie saoudite. Après la chute du califat de Syrte, un film réalisé à partir de documents saisis montrait que son chef représentant de Daech s’était aussi formé en Arabie saoudite. Pierre Conesa peut ainsi dire que ce pays un vivier de terroristes et à la base du radicalisme.
    Ce pays n’est pas un Etat, il est le fief d’une famille qui lui a donné son nom, en dispose à sa guise, choisit en son sein celui qui aura la primauté.
    On remarqua que ce débat de « 28 minutes » suscita des nuances mais point de controverses.

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