Tirez sur l’immigré

Vue aérienne de migrants au Mexique
(Photo AFP)

Donald Trump a donné l’ordre aux 5 000 militaires qu’il a envoyés à la frontière mexicaine de refouler la horde d’immigrés latino-américains qui exigent collectivement d’être accueillis sur le sol américain. S’ils sont menaçants, a-t-il dit, il ne faut pas hésiter à tirer sur eux.

DANS la coagulation d’une foule de quelque 10 000 personnes dont le seul point commun est le désespoir social, dans sa volonté de forcer massivement une frontière, il y a bien sûr une forme de provocation inacceptable. Elle est dictée par une misère que l’indigence des gouvernements latino-américains suffit à expliquer. Non seulement ils n’ont pas empêché cette troupe de malheureux de se former, mais ils n’ont même pas réussi à la contrôler ni à en dévier le parcours. La constitution spontanée de cet agglomérat humain ressemble un peu à l’ouragan qui puise sa force irrésistible dans la chaleur des eaux de l’Atlantique, grossit pendant son parcours et s’abat sur les côtes américaines. Mais elle est aussi une réponse à Trump, le défi de toute la misère du monde au projet de la nation la plus puissante, le bluff d’une population qui, n’ayant plus rien à perdre, offre ses poitrines aux balles des militaires. C’est la signature des victimes au bas des protocoles officiels sur l’immigration : cause toujours, nous, on arrive.

Déjà l’échec.

De ce point de vue, la politique migratoire ultra-sévère conçue par Trump est déjà mise en échec. La stricte application du droit national en matière d’immigration, appuyée par le recours à la force, ne fonctionne pas. En sortant de ses gonds, en envisageant de traiter les migrants comme des envahisseurs déshumanisés, le président des États-Unis fait monter la pression à quatre jours des élections de mi-mandat. Mais jusqu’où peut-il aller ? Un bain de sang à la veille de la consultation le condamnerait et affaiblirait probablement le camp républicain. Dans ces conditions, on a du mal à le prendre au sérieux, de même que l’armée n’est pas du tout formée pour garder une frontière et en assurer l’étanchéité et que l’appeler à la rescousse n’était pas une solution ; car, effectivement, ou bien les soldats assistent impuissants au « viol » de la frontière, ou bien ils tirent et ce sera une tache de plus sur la gouvernance de Trump, déjà lourdement chargée d’actes pervers.

La force n’est pas la solution.

Ce qui apporte un puissant éclairage à l’inanité du simple recours à la force quand se pose un problème social. Non seulement Trump, pour justifier son rejet total des migrants, a eu besoin de les décrire comme des bandits et des voleurs, et de laisser entendre, mensonge gros comme le bras, qu’ils seraient manipulés par des terroristes venus du Proche-Orient, mais il a déclenché une spirale qui rend l’affrontement pratiquement inéluctable. Il a créé une logique très particulière d’où les droits de l’homme sont exclus. Il ne lui reste plus, aujourd’hui, qu’à tirer la leçon de sa propre démagogie. Au terme de cette logique, il ne reste plus que l’élimination physique des immigrés, clandestins ou pas. Il n’a pas encore compris que l’Amérique n’est pas seule au monde. Un simple exemple : si, bon gré mal gré, il a été amené à condamner l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, c’est qu’il y a toujours un moment où l’Amérique doit se référer au droit et, il faut le préciser, aux droits de l’homme. Si demain des hommes, des femmes et des enfants tombent sous les balles américaines, il pourra peut-être rappeler qu’ils n’étaient pas les bienvenus, l’opinion, nationale et mondiale, ne retiendra que le crime de masse qui, curieusement, ressemblera à l’une de ces attaques terroristes contre lesquelles les Etats-Unis se défendent par tous les moyens.

Pas question, cependant, d’accepter que d’immenses convois se forment en Amérique centrale dont l’objectif est d’aller à la conquête des États-Unis. Mais le rôle d’un gouvernement consiste à concevoir une politique, pas à croire en toute circonstance qu’on peut tuer une mouche avec un canon. C’est sûrement une subtilité qui échappe à Donald Trump.

RICHARD LISCIA

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11 réponses à Tirez sur l’immigré

  1. admin dit :

    LL (Etats-Unis) dit :
    Tous les yeux sont braqués sur cette caravane de la misère. Cela devient un enjeu électoral . Certes la caravane est illégale – mais de la à tirer sur la foule ? Trump est un menteur, il est en train de manipuler cet événement. Cynisme invraisemblable.

  2. Michel de Guibert dit :

    De tout temps il y a eu des migrations et il est vain en même temps que criminel de vouloir les empêcher par la force.

  3. ostré dit :

    Bonne analyse et humaine. J’adhère totalement. Quant à la solution, elle consiste seulement à sortir ces pays de l’extrème pauvreté par la répartition des richesses. On en est loin. Donc, ces invasions massives risquent de continuer y compris en Europe.

  4. T.deregnaucourt dit :

    La loi de l’osmose est celle qui fait passer du milieu le moins concentré vers le plus concentré, à travers une membrane semi-perméable, les protéines de l’inflammation. Au bout d’un temps, il n’y a plus d’échanges, car les deux milieux, dits isotoniques, s’équilibrent. La « loi » de l’immigration fait passer du milieu le moins concentré (en sécurité, avantages sociaux, libertés etc.) une partie de la population à travers une frontière (membrane semi-perméable), vers le milieu le plus concentré. Pour éviter qu’un jour n’y ait plus d’échanges, il convient de la réguler. Assurément la « régulation » à la Trump est la pire qui soit !

  5. André Mamou dit :

    On reste sur notre faim ! Que faut-il faire ? Les laisser entrer pour éviter d’avoir à les mitrailler?
    Ensuite d’autres caravanes se formeront pour entrer dans l’eldorado nord américain.
    La pauvreté sud-américaine ce n’est quand même pas à mettre au passif des Etats- Unis et surtout de celui que les éditorialistes unanimes détestent tant !
    Le conseil que l’on nous prodigue est très facile à formuler : rendre prospères les pays des candidats à l’émigration!
    Très facile à réaliser avec un plan d’investissement et de formation d’une trentaine d’années!

    Réponse
    Il suffit d’appliquer les techniques anti-émeutes qui permettent de juguler un mouvement sans tuer les manifestants.Ces techniques sont éprouvées en France et aux Etats-Unis. Votre analyse est celle du désespoir coupable : on ne peut rien faire, donc on leur tire dessus. L’idée d’une aide américaine au développement de l’Amérique latine n’est ni sotte ni nouvelle. Si elle avait été engagée sérieusement il y a trente ans, on n’en serait pas là. Cessez de me confondre avec « les éditorialistes unanimes ». Je suis totalement libre de mes opinions. Etes-vous maintenant rassasié ?
    R.L.

  6. JMB dit :

    Comme il a été écrit dans un précédent commentaire, les flux migratoires suivent d’abord le principe des vases communicants.
    De 21 % en 1 800, l’Europe atteint 25 % de la population mondiale en 1900. Un numéro de la revue L’Histoire (2016) consacré à l’émigration européenne au XIXè peut s’intituler “Le monde est à nous”. 55 millions d’Européens émigrent entre 1850 et 1910 sur les quatre autres continents. On remarquera que dans le même temps l’émigration chinoise (20 millions) se fait presque exclusivement en Asie du Sud-Est. Les Indiens, sous colonisation britannique, qui émigrent, sont surtout des travailleurs forcés (les coolies).
    En 2018, l’Europe représente moins de 10% de la population mondiale, l’Afrique 17%. Les projections donnent pour 2050 l’Europe à 7,3% et l’Afrique à 25%. On remarquera que l’Amérique centrale et du Sud dépassent maintenant l’Amérique du Nord en population.
    Les différentiels de population sont une première explication du sens des flux migratoires, avant l’état politique, économique et climatique.
    (Chiffres issues de la Fondation Gapminder à l’origine de laquelle est le médecin et statisticien Hans Rosling)
    Le grand-père de Trump qui quitte vers 1880 l’Allemagne de Guillaume I et Bismarck a-t-il fui un état dictatorial, en délabrement économique, sujet au dérèglement climatique ?

  7. Raymond Arnoux dit :

    Forcer une frontiére en masse est un acte de guerre, à l’encontre de ceux que cette frontière d’Etat protège. Il est légitime d’y répondre par la violence d’Etat.
    Les bons sentiments ne sont pas une raison d’Etat.

    • JMB dit :

      Les bons sentiments ne suffisent pas.
      Ainsi, au cours du XIXè siècle et au-delà, la frontière de nombreux États de trois continents a été forcée, non en masse mais par la canonnière et les fusils, avec une réponse faible.

      • ostré dit :

        Mais il s’agissait de troupes armées, cela n’a rien a voir avec ces migrants comme vous le reconnaissez.
        Je suis outré de voir le peu d’humanité de certains membres du corps médical …d’autres solutions existent que le blocage armé des frontières forcément inefficace à terme.

        • JMB dit :

          Il s’agissait d’un commentaire au second degré, certes un peu tortueux.
          Ceux qui veulent bloquer l’émigration par les armes sont ceux que n’a pas choqués l’utilisation éventuelle d’armes pour appuyer l’émigration de leurs compatriotes pendant des siècles. Au nom de la civilisation bien sûr.

  8. ostré dit :

    Une guerre de malheureux dans la misère surtout de femmes et d’enfants ?
    Les fusiller ? Bravo ! Belle solution !

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