Macron et Pétain

Macron se recueille sur les tombes des Éparges
(Photo AFP)

Cette semaine, Emmanuel Macron a voulu substituer aux polémiques une réflexion sur la mémoire, soutenue par un périple harassant dans les lieux les plus meurtriers de la Première Guerre mondiale. En se référant à Pétain, ce « grand soldat », il a ouvert une nouvelle controverse.

CETTE PERSÉVÉRANCE dans la provocation est parfois inexplicable. On est tenté de citer Molière : que diable allait-il faire dans cette galère? Quel besoin pressant a-t-il éprouvé de rappeler le rôle de Philippe Pétain pendant la guerre de 14-18, tout en stigmatisant les crimes commis au cours de la guerre suivante et pour lesquels nous avons gardé de lui un sinistre souvenir ? Comme s’il y avait eu deux Pétain qu’il fallait nécessairement distinguer, comme si une vie pouvait se découper en morceaux. En existentialiste, je dirai qu’on ne peut être jugé que sur toute sa vie et pas seulement sur un tronçon. On se demande aussi si Macron éprouve du plaisir à s’en prendre à diverses catégories de citoyens l’une après l’autre. C’étaient les retraités hier, puis les chômeurs qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver un emploi, maintenant les résistants et toutes les victimes du nazisme qui, après avoir fait le sacrifice de leur vie, doivent se retourner dans leur tombe.

Ni humanisme ni compassion.

Pendant que toute une population reste concentrée sur la hausse des taxes sur les carburants, le président de la République n’a pas trouvé autre chose à dire que Philippe Pétain devait être honoré comme les officiers généraux qui ont contribué à la victoire française de 1918. Certes, il n’a pas omis de mentionner la dérive qui l’a conduit à diriger un État dévoyé ; lequel, à tous égards, s’est conduit de manière inhumaine.

L’agence France-Presse cite une historienne spécialisée dans la Première Guerre mondiale, Bénédicte Vergez-Chaignon ; elle pense que si Pétain a économisé des vies de soldats français, ce n’est pas par humanisme ou par compassion, mais parce qu’il disposait de ressources humaines limitées. Pour mater les mutineries de 1917, il a amélioré le quotidien du poilu, mais a continué de faire fusiller « pour l’exemple ». Un « grand soldat » qui, dès 1914, estimait que la consommation de chair à canon ne représentait rien au regard de la victoire qu’il voulait remporter à tout prix. (Napoléon raisonnait de la même manière). Bref, même aux yeux de l’histoire, Pétain n’est pas vraiment une gloire de la Première Guerre. Qu’on ne s’étonne pas de ce que, dans l’épisode suivant, il ait livré juifs et résistants à la barbarie nazie, qu’il ait envoyé en Allemagne des travailleurs français, au titre du STO (travail obligatoire), et qu’il ait considéré toute forme de résistance populaire comme un crime à réprimer.

Oublier Pétain.

On nous rappelle que le général de Gaulle lui-même épargnait Pétain dans ses discours, que François Mitterrand faisait déposer des fleurs sur la tombe du maréchal. Mitterrand avait même la mauvaise habitude de déjeuner avec René Bousquet. Certes, la vérité historique est difficile à établir. Le premier président de la République qui ait mis fin à l’ambiguïté française au sujet de la période 1939-1945, c’est Jacques Chirac. Il a reconnu le rôle de la France dans la déportation et l’extermination des juifs. C’est son acte politique le plus courageux.

La soumission au vainqueur était probablement inévitable, comme le cortège de malheurs qu’elle a apporté au peuple français. Charles de Gaulle a eu beaucoup de mal, au début, à trouver des soutiens et à imposer son pays comme un belligérant qui combattait aux côtés des alliés. Mais, même si Pétain a voulu, à sa manière, protéger ses concitoyens, il l’a fait au mépris de toute morale. Dominé par des politiciens d’extrême droite, il a contribué avec zèle à la répression de la résistance, aux rafles et déportations de juifs et il a aidé les Allemands avec complaisance, devançant parois leurs désirs. D’autres pays européens soumis au joug nazi n’ont pas collaboré avec cet empressement. Pétain, stratège efficace, mais chef d’État ignoble.

Quoi qu’il en soit, qui ressent le besoin de condamner  ou d’exonérer Pétain, mort de vieillesse il y a 67 ans à l’île d’Yeu ? Le centenaire de la victoire militaire remportée contre l’Allemagne a déclenché une autre de ces controverses absurdes dont M. Macron a le secret, et ce matin encore, il s’en est plaint, comme s’il ne l’avait pas ouverte lui-même. Piégé par ses propos, il a fait dire par son porte-parole qu’aucun hommage ne serait rendu samedi à Pétain. Il a donc compris que sa position devenait rapidement intolérable aux yeux de la plupart des Français. On a rouvert le procès de Pétain tout en se demandant si ce n’est pas celui de Macron qu’il fallait faire. Le président s’est emparé de l’histoire pour nous détacher du présent. Nombreux sont les Français pour qui le passé reste très douloureux.

RICHARD LISCIA

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9 réponses à Macron et Pétain

  1. Liberty8 dit :

    Les généraux d’armée française durant la première guerre mondiale ont été de bien piètres stratèges et tacticiens. Ils n’ont aucun mérite dans la victoire. Cette victoire a été obtenue par le sang et les tripes de soldats qui n’ont pas hésité à monter au front de face aux mitrailleuses, à travers les barbelés ; mais pas grâce à la méthode funeste, primaire, à la limite de la bêtise de nos grands stratège galonnés.
    Napoléon était peut-être un tyran , pour qui la vie humaine avait tout aussi peu d’intérêt que les Joffre, Pétain et compagnie, mais il a été un grand stratège et tacticien jusqu’en 1809.
    Que l’on commémore les soldats oui, les généraux sûrement pas, j’en suis outré ! Ca va à l’encontre de toute l’histoire militaire de notre pays

    • SJV dit :

      Que le courage des soldats français ait été immense est une évidence. Mais aussi celui des soldats allemands ou anglais ou autres, en particulier ceux venus des diverses colonies. On a jeté tous ces hommes, des millions et des millions, dans une boucherie infâme dont aucun n’est revenu indemne. Outre leur courage, l’utilisation des chars a aussi joué son rôle dans la victoire.

      Je ne peux également qu’approuver que BEAUCOUP de généraux français de 14-18 aient été des ganaches, ou même des bouchers, lançant « leurs » hommes dans des offensives meurtrières dans le seul but de s’assurer la « gloire » d’avoir conquis quelques cm2 de terrain, d’avoir déplacé la ligne de front d’une centaine de mètres, sans aucune vision stratégique. Mais leur passé colonial ne les avait pas « vraiment » habitués à respecter la vie humaine.

      Les maréchaux eux-mêmes, dont certains noms prolifèrent sur les plaques de nos rues, sont loin de tout reproche. Il y en a quand même eu, minoritaires, qui ont été à la hauteur de leur mission. L’un est le maréchal Fayolle, véritable artisan de l’offensive victorieuse de 1918, puisque c’est lui qui définissait la stratégie : voir ses mémoires, « Cahiers secrets de la grande guerre », peu soupçonnables d’insincérité car ces carnets n’étaient pas destinés à la publication et lire en particulier ce qu’il écrivait de ses (futurs) collègues Foch et Pétain (ce dernier est l’auteur d’une horreur qui est à l’origine du roman (et du film) « Un long dimanche de fiançailles). Un autre est le maréchal Franchet d’Esperey. Tout au long de sa participation à la guerre en France, il s’est montré bon stratège, ce que confirme largement sa victoire de septembre 1918 sur l’armée bulgare commandée par des officiers allemands.

  2. Michel de Guibert dit :

    Il me semble que de Gaulle était plus sage, loin des polémiques ou des atermoiements.
     » Si, par malheur, en d’autres temps, en l’extrême hiver de sa vie, au milieu d’évènements excessifs, l’usure de l’âge mena le maréchal Pétain à des défaillances condamnables, la gloire qu’il acquit à Verdun, qu’il avait acquise à Verdun vingt cinq ans auparavant et qu’il garda en conduisant ensuite l’armée française à la victoire ne saurait être contestée ni méconnue par la patrie. »
    Discours du général de Gaulle prononcé à l’ossuaire de Douaumont le 29 mai 1966, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la bataille de Verdun.
    Source : https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00255/ceremonie-a-l-ossuaire-de-douaumont.html

  3. JMB dit :

    Le général de Gaulle avait dédicacé son ouvrage  » Au fil de l’épée » à Pétain.
    En mai 1944, une foule massive a accueilli Pétain à Paris. Au mois d’août, une population se soulève pour libérer Paris. Était-elle totalement différente ?

  4. admin dit :

    LL (Etats-Unis) dit :
    Très bien vu. On reste sidéré par le propos. Pourquoi Pétain et surtout maintenant ? Est-ce pour nous détacher du présent (à la Trump?). Ou bien, plus sinistre, est-ce parce que tout pouvoir, quel qu’il soit, cherche à s’inscrire dans une continuité historique où les couleurs des uns et des autres n’ont pas d’importance ; et ou ce qui compte, c’est l’Etat ? C’est une tendance bien française.

  5. chalumeau dit :

    Il est parfaitement licite que vous défendiez M. Macron bec et ongles avec constance.
    Toutefois, quand vous dîtes  » nous sommes curieusement très libres du choix du véhicule et du moteur « , l’adverbe curieusement qui se rapporte à la liberté laisse entrevoir des limitations possibles de celle ci…! vous laissez entendre que ce serait mieux si on n’avait pas cette liberté, curieusement.
    Direction dictature ?

    Chalumeau

    Réponse
    Votre interprétation est nulle et non avenue.D’abord je ne suis pas un défenseur de M. Macron, je le critique plus souvent que je l’approuve. Ensuite, ce qui est curieux c’est que étant totalement libres du choix de notre automobile, nous nous plaignions du prix de l’essence alors que le prix d’un plein n’est pas le même pour une Clio et pour une Rolls. M’écrire pour m’accuser de dictature (comment pourrais-je être de quelque manière que ce soit être un dictateur ?), ce n’est pas seulement absurde, c’est aller vite en besogne. Deux secondes de réflexion vous auraient évité cette méprise et cette lettre indigne.
    R.L.

    • Picot François dit :

      De Gaulle semble avoir eu l’attitude la plus sage. Et rappelons nous que Clemenceau appréciait peu Pétain comme militaire et avait souhaité qu’il ne fasse jamais de politique, ce qui aurait été néfaste pour la France, disait-il. Il semble avoir été lucide sur le personnage.

  6. mathieu dit :

    Le Pétain de 14/18, à tort ou à raison, fait partie de du roman national, de la Chanson de Geste de la patrie, telle qu’elle a été narrée tant que survivaient les poilus, séparant le « défenseur de Verdun », peut-être aussi d’ailleurs celui qui alerta (plusieurs écrits de sa main l’attestent) dans l’entre-deux guerres ses contemporains sur le danger du national-socialisme anti-sémite à nos frontières… et le « naufragé de la vieillesse » bradant l’honneur de son pays à l’ennemi et à la barbarie. De Gaulle et Mitterrand avaient trouvé le bon curseur entre les deux. Macron ne dit pas autre chose…mais sûrement, avec 50 ans de retard ! L’acharnement médiatique à son endroit sur le sujet ne vaut plus cher que le dérisoire et stérile feuilleton anti-Benalla de l’été ! Trois quarts de siècle après l’Occupation, il nous est tellement facile d’être, en France, 65 millions de résistants.

    Réponse
    Si Pétain a alerté le pays au sujet de l’antisémitisme, il a dû perdre la mémoire en 1940. Le problème, dans cette affaire, vient justement de la notion de bon curseur. Le bon curseur, ce sont les 76 000 citoyens français et juifs et les milliers de résistants qui ne sont jamais revenus des camps.
    R.L.

    • mathieu dit :

      Personne – de sensé – ne nie cela. Macron ne réhabilite pas Pétain, il n’est pas révisionniste ! Il prétend seulement qu’un homme mort dans le déshonneur n’a pas forcément été indigne chaque minute de sa vie !
      Réponse
      Il a indignité et excès d’indignité. Ce que Pétain a fait à la fin de sa vie, et qui lui a valu l’indignité nationale suffit largement pour qu’on ne garde pas de lui un souvenir mitigé. C’est à croire que le sort réservé par Pétain à sa patrie, à ses concitoyens et aux juifs, français ou étrangers, est soluble dans son action militaire de la Première Guerre mondiale, dont je me suis attaché à rappeler qu’elle a été moins glorieuse qu’on ne le dit, notamment si l’on tient compte de l’élimination de soldats qui n’avaient plus la force de remonter au front.
      R. L.

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