Un regain d’antisémitisme

Philippe dédouane Macron
(Photo AFP)

Le nombre d’actes antisémites a augmenté de 69 % en 2018, alors qu’il avait diminué en 2016 et 2017. Le Premier ministre, Edouard Philippe, envisage un traitement différent de l’antisémitisme.

LE CHEF du gouvernement a tenu à être le premier à annoncer cette mauvaise nouvelle : il l’a publiée et commentée dans la nuit sur son compte Facebook. « Chaque agression perpétrée contre un de nos concitoyens parce qu’il est juif résonne comme un bris de cristal », écrit M. Philippe, qui fait allusion au 80 anniversaire de la Nuit de cristal, vaste pogrom qui a eu lieu le 9 novembre 1938 en Allemagne et a été le signal du déchaînement de la barbarie nazie contre les juifs d’Europe. Sans douter le moins du monde de la sincérité du Premier ministre, très attaché à la lutte contre toutes les formes de racisme, on verra dans son intervention une manière d’atténuer ou de faire oublier les propos d’une maladresse insigne qu’Emmanuel Macron a prononcés au sujet de Philippe Pétain (voir la chronique d’hier). Mais la brusque remontée du nombre d’agressions antisémites, verbales ou physiques, ne surprend personne. Les dirigeants d’associations juives estiment que le traitement de l’antisémitisme doit être spécifique et non pas inséré dans le contexte général de la lutte contre le racisme.

Un pour cent de la population.

M. Philippe lui-même insiste sur la nécessité d’un traitement « individuel, pas comme la lutte contre l’ensemble des haines ». La communauté juive, en effet,  souligne qu’elle représente moins de 1 % de la population française et qu’elle est intégrée, souvent assimilée. Il s’agit donc de comprendre pourquoi les Français juifs font l’objet d’une telle intolérance. Interrogée à ce sujet, Marine Le Pen affirme qu’on ne résoudra pas le problème tant qu’on n’aura pas clairement désigné ceux qui propagent l’antisémitisme. Elle fait allusion à l’antisémitisme musulman, largement encouragé par divers prêcheurs qui n’ont pas leur place dans notre pays, et nourri par le conflit israélo-palestinien. La position de la patronne du Rassemblement national tend à exonérer certains membres de son mouvement qui sont parfaitement antisémites. Mais, incontestablement, l’antisémitisme de l’extrême droite a diminué, ne serait-ce que parce qu’il a été partiellement remplacé par la haine des immigrés. Ce qui n’est pas un progrès.

Éviter l’amalgame.

Le gouvernement sait fort bien que la montée de l’antisémitisme est plus forte dans la communauté musulmane que dans d’autres groupes. Il serait néanmoins injuste de désigner tous les musulmans, comme tente de le faire Mme Le Pen, d’autant que nombre de Français musulmans s’impliquent dans la lutte contre l’antisémitisme, de même qu’ils ont conscience que l’intolérance des musulmans les moins favorisés et donc les plus en colère fait des progrès chaque année. On peut montrer comment se forme l’antisémitisme chez les musulmans, mais rien ne permet d’établir le grossier amalgame selon lequel tout musulman est antisémite, ce qui est faux et doit donc être rejeté. Cela signifie aussi que la tâche, pour les pouvoirs publics et pour tous ceux, juifs et musulmans, qui s’efforcent de maintenir la concorde entre les deux communautés, est particulièrement compliquée. C’est en ce sens que la proposition de M. Philippe de passer au traitement « individuel » de l’antisémitisme est intéressante : elle laisse supposer qu’il ne faut rien laisser passer, pas même une remarque antisémite dans la conversation, dès lors que l’antisémitisme n’est plus, dans le droit français, une opinion, mais un délit.

De même, la globalisation des haines dans une seule démarche anti-raciste ne suffit plus à freiner ou à faire reculer l’antisémitisme. Le terme de « racisme » est trop général et ne s’adresse pas à un contexte spécifique, celui de victimes du racisme, les musulmans, parmi lesquels certains expriment des pensées ou accomplissent des actes racistes. Ce phénomène est pervers, il s’explique principalement par les crises du Proche-Orient et nous ne pourrons l’endiguer qu’un utilisant des méthodes adaptées à chaque cas.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à Un regain d’antisémitisme

  1. Sphynge dit :

    Bien qu’il ne soit pas bienséant de le dire, il faut au moins savoir que l’antisémitisme est culturel chez les musulmans, ce qui ne veut évidemment pas dire que tous les musulmans sont antisémites et que certains d’entre eux ne luttent pas contre l’antisémitisme. Alors que l’antisémitisme de droite a quasi complètement disparu, que l’antisémitisme de gauche prospère plus ou moins bien camouflé sous le masque de l’antisionisme, l’antisémitisme musulman, qui explique la presque totalité des actes antisémites en France actuellement, croît d’année en année. Et rien dans les mesures prises jusqu’ici ou annoncées ne paraît pouvoir y remédier. Il a fallu beaucoup de honte pour se débarrasser de l’antisémitisme de droite, il faudrait beaucoup de réalisme pour atténuer l’antisémitisme de gauche, il faudrait un pouvoir, capable de faire régner en France l’ordre républicain, et sa loi laïque, pour réduire l’antisémitisme musulman. La pensée dominante n’y paraît pas actuellement favorable, mais bientôt cela risque d’être trop tard…

    • Alan dit :

      Je crains que vous (Sphynge) n’ayez raison.
      J’avais eu une conversation sur Dieudonné avec des collègues (médecins, infirmiers) quand son spectacle avait été interdit par Manuel Valls. Je soutenais qu’il était antisémite (la chose est tout de même peu discutable). Ce sont des gens très à gauche et des musulmans qui le défendaient coûte que coûte et soutenaient que pas du tout, que son interdiction était une honte etc. Ce n’est qu’un exemple certes, et je ne crois pas que l’antisémitisme d’extrême droite ait disparu pour autant, mais un exemple édifiant.

    • JMB dit :

      Dans les plus de 1000 pages de l’Histoire de l’antisémitisme de Léon Poliakov, l’islam est loin d’y tenir une place prépondérante.
      L’antijudaïsme, de l’âge de la foi précédant l’antisémitisme de l’âge de la (pseudo) science, est apparu avant l’islam.
      Dans Shoah de Claude Lanzmann, l’historien américain Raul Hilberg explique la genèse de celle-là : “…dès le IVè siècle, le Vè et le VIè siècles, les missionnaires chrétiens avaient dit aux Juifs:  » Vous ne pouvez pas vivre parmi nous comme Juifs”. Les chefs séculiers qui les suivirent…décidèrent alors: “Vous ne pouvez plus vivre parmi nous.” Enfin les nazis décrétèrent; “Vous ne pouvez plus vivre.”
      La croisade populaire qui précède la 1ère croisade au XIè et est censée délivrer Jérusalem des Turcs seldjoucides musulmans, commence par des pogroms en Rhénanie.
      La prise de Grenade et la chute du dernier royaume musulman en Espagne ont lieu début janvier 1492. Dès mars de la même année, les Juifs sont expulsés d’Espagne et trouvent notamment refuge au Maghreb et autour de Salonique (les séfarades) en terres ottomanes. Les expulsions massives furent une caractéristique du Moyen Âge européen.
      Les nazis récupéreront Luther, qui dans la lignée des Pères de l’Église du IVè , estime que  » si nous voulons rester purs des blasphèmes des Juifs et n’y prendre aucune part, il faut que nous soyons séparés d’eux et qu’ils soient chassés de notre pays. » (des émigrés avant l’heure ?). Le racisme pointe: « Si un Juif vient me demander le baptême, je le lui donnerai, mais aussitôt après je vous le mènerai au milieu du pont de l’Elbe, lui accrocherai une meule au cou et vous le jetterai à l’eau » (Propos de table).
      C’est l’antisémitisme virulent sévissant dans le pays des Lumières à l’occasion de l’Affaire Dreyfus qui inspirera l’idée du sionisme à Theodor Herzl.
      Après la Shoah, l’antisémitisme est moins prégnant en Europe, au moins plus discret. Mais dans le pays d’Orban, hostile à toute émigration, on ne manque pas d’attaquer le juif d’origine hongroise George Soros. Celui-ci a été l’un des réceptionnaires des enveloppes piégées d’un suprémaciste blanc supporter de Trump.
      Dans Télérama, la sociologue israélienne Eva Illouz, née à Fez, concluait son interview (8/10/2014) par: “On sait maintenant que les pays musulmans ont été plus bienveillants envers les Juifs que les pays chrétiens. L’hostilité entre les juifs et les musulmans n’est finalement qu’une affaire récente.” …depuis qu’une vision à court terme liée à la Première guerre mondiale fit promettre par les Anglais la même terre à deux peuples, celle de Palestine où de nombreux Juifs avaient déjà cherché un refuge aux discriminations et pogroms d’Europe de l’Est.
      Il est consternant de constater que, quand une étiologie de l’antisémitisme s’efface, une autre apparaît. L’antisémitisme musulman lié au conflit du Proche-Orient est actuellement prépondérant, il ne doit pas faire oublier qu’il y a eu auparavant un antisémitisme européen durant 16 siècles sidéré seulement par la Shoah.
      Ne pas oublier le passé est un moyen de se prémunir contre son éventuel retour.

      • Michel de Guibert dit :

        Puisque vous vous référez au maître ouvrage de Léon Poliakov, n’oubliez pas de mentionner aussi l’antisémitisme de Voltaire, généralement moins connu ou passé sous silence.

  2. admin dit :

    LL (Etats-Unis) dit :
    Curieusement, on constate cette recrudescence aux Etats-Unis également – et c’est le fait des « white supremacists ».

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