Une crise durable

Hier à Caen
(Photo AFP)

Le gouvernement ne peut pas se contenter d’« entendre la souffrance » des manifestants et de ne rien changer à ses dispositions fiscales. La tension est telle dans le pays qu’il est forcé de faire une offre allant dans le sens de l’apaisement.

LES GILETS JAUNES ne lui ont pas rendu la tâche facile. Ils tirent leur indéniable succès de la spontanéité du mouvement, de l’absence des syndicats et des partis politiques. Ils continuent à bloquer des points de passage. La jacquerie compte sur la fatigue des forces de l’ordre, le pouvoir sur l’usure d’une méthode qui a réussi mais est gagnée par une violence croissante. Une personne décédée, plus de 400 blessés dont une vingtaine de graves parmi lesquels des policiers, des menaces lancées aux automobilistes, des dégâts importants : le bilan est lourd, principalement parce qu’il n’est pas encadré et parce que les manifestants refusent de communiquer leurs lieux de rassemblement aux autorités.

Des salves de compliments.

Dieu sait que les gilets jaunes ont été encensés par les partis qui, faute de les diriger, leur envoient des salves de compliments, afin de les retrouver dans les urnes, et traités avec respect par le gouvernement qui les entend, les comprend, les aime, voudrait bien alléger leurs « souffrances » et leur colère, mais ne peut pas renoncer à ses réformes, et le prix du carburant en est une. De ce point de vue, les propos d’Edouard Philippe, hier soir sur TF1, étaient curieusement contradictoires. Le Premier ministre ne peut pas reculer et n’importe quel corps constitué le sait, sauf bien sûr une révolte spontanée qui continue de n’avoir ni chef ni organisation.

Mais comment le pouvoir pourrait-il céder quand les gilets jaunes interrogés séparément ou collectivement affirment qu’ils veulent le départ d’Emmanuel Macron ?  L’avantage d’être libre, c’est de pouvoir dire n’importe quoi et c’est, en même temps, l’inconvénient de ne rien obtenir. Un chercheur en sciences politiques constatait hier avec amusement « un joyeux désordre ». Il serait incapable de nous montrer une scène de joie sur les vidéos multiples qui ont été prises. Quand une gilet jaune a été renversée par une conductrice paniquée, les manifestants ont crié : « C’est Macron qui l’a tuée ! » A un maximum de liberté, en l’occurrence, correspond un maximum d’irresponsabilité. Tout faire pour que la violence apparaisse, n’avoir rien prévu pour la contenir, aller aux points de rassemblement pour se venger de l’ordre établi, créer un désordre si possible durable et négatif pour l’économie, voilà de quoi il s’agissait.

Un mouvement anarchiste.

Si Macron s’en allait aujourd’hui, il n’y aurait personne pour donner aux gilets jaunes ce qu’ils réclament et qui va de la suppression des taxes sur les carburants à celle de tous les prélèvements. Allons, c’est bel et bien  un mouvement anarchiste, auquel chaque parti essaie de donner la signification qui lui convient mais qui échappe à tout classement et même toute idéologie. C’est en ce sens qu’il est dangereux. Il y a, à gauche et à droite, diverses façons de gérer l’économie. Les gilets jaunes les rejettent toutes. Ils ne peuvent donc obtenir satisfaction que s’ils plongent le pays dans la paralysie, c’est ce que le Premier ministre n’a pas osé dire, mais qui explique sa fermeté. Et s’ils se montrent violents, c’est parce qu’en réalité ils sont minoritaires. Ils ne veulent être représentés par personne mais ils ne représentent personne : trois, quatre cent mille manifestants, soit un demi pour cent de la population française. Même à un pour cent, on peut être sûr qu’il y a plus de citoyens qui veulent rouler et aller travailler que de gilets jaunes qui veulent bloquer.

Le mouvement n’en est que plus inquiétant. Ne se sentant responsable de rien, il ne comprend pas la notion d’échec. Le gouvernement, de son côté, doit trouver autre chose à dire et surtout à faire pour remettre un peu d’argent dans la poche de la classe dite moyenne mais qui est surtout la classe du ras-le-bol, inspirée depuis des décennies par un système dont les élus n’ont pas réduit les inégalités. Ce qui se passe n’est pas une explication entre Macron et le peuple, mais un conflit entre des citoyens revenus de tout, y compris des partis politiques et d’un pouvoir qui leur semble avoir aggravé les choses. La société française avance allègrement sur la route du populisme et des leaders aux dents longues sauront prendre le train en marche. Non seulement Macron ne doit pas partir, mais il doit rester pour donner un coup d’arrêt à cette dérive. Mais comment ?

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Une crise durable

  1. Liberty8 dit :

    Bravo pour votre analyse, très claire et nette. Oui ce n’est pas contre le gazoil et ses taxes mais contre la baisse du pouvoir d’achat d’une classe moyenne très nombreuse. J’ai constaté le nombre de retraités important dans ces manifestations, ils n’ont pas digéré l’augmentation de la CSG qui venait en plus de tout le reste.
    Oui, c’est le chemin qui mène au populisme quel que soit son côté. Oui Macron doit rester, mais quelle est sa marge de manœuvre et peut-il encore manœuvrer dans la France actuelle ?

  2. Michel de Guibert dit :

    … un épiphénomène !
    Les Français sont-ils vraiment prêts à jeter par dessus bord l’enseignement et la santé pour tous ?

  3. ostré dit :

    Les taxes sur l’essence ont été la goutte d’eau…
    Les classes pauvres et moyennes, les retraités qui aident leurs enfants au chômage sont les plus
    touchées et pendant ce temps la : abandon de l’impôt sur la fortune, abandon de taxes aux entreprises favorisant actionnaires et multinationales…
    Attention, le mouvement n’est pas structuré mais c’est souvent comme cela que commencent les révolutions…

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