Jeux de crise

Gilets jaunes en action
(Photo AFP)

Si les conséquences du mouvement des gilets jaunes n’étaient pas dommageables pour l’économie et donc pour le pouvoir d’achat de ceux-là même qui revendiquent, on pourrait dresser une liste des contradictions multiples que cette crise contient et se demander si elle va pas se consumer d’elle-même.

LES GILETS jaunes ont un triple problème d’identification, de représentation et de relations avec les pouvoirs publics. D’identification parce que personne ne peut dire avec certitude qui ils sont, combien ils sont, combien bloquent ronds-points ou supermarchés, combien sont gilets jaunes en permanence, combien à leurs heures perdues. De représentation parce qu’ils sont très divisés sur la composition des délégations censées dialoguer avec le gouvernement. Les premières listes publiées ont été contestées, ce qui soulève un doute sur l’intérêt de la conversation, mais le Premier ministre s’apprête à recevoir cet après-midi un groupe de gilets jaunes. Son geste montre qu’il fera tout ce qu’il peut pour apaiser la colère des Français. Le mouvement, toutefois,  n’est même pas sûr d’avoir envie de négocier, il ne croit pas que ses revendications puissent être acceptées parce qu’il sait vaguement qu’elles sont inacceptables, comme la démission d’Emmanuel Macron ou la dissolution de l’Assemblée nationale.

La pureté originelle.

Une fois de plus, la communication prime sur le fond. Les gilets jaunes sont obsédés par la pureté originelle de leur soulèvement. Ils n’appartiennent à aucun parti, s’opposent à toute récupération, n’ont aucun rapport avec les syndicats, sont si hostiles aux institutions que tout ce qui leur rappelle l’ordre établi les fait frémir. L’idée même d’élire des délégués ou des porte-parole (où ? comment ? avec quelles urnes ? dans quelle région,  dans quel département, et comment créer une coordination nationale ?) les rebute.  De sorte que la crédibilité de la discussion à Matignon sera mise en cause, non seulement parce que le chef du gouvernement ne leur annoncera pas l’annulation des hausses de taxes, mais parce qu’il y aura au sein du mouvement des gilets jaunes qui contesteront la démarche même de ceux qui auront poursuivi le dialogue entamé hier avec François de Rugy, ministre de la Transition écologique.

Un coup d’arrêt à la politique du gouvernement.

La simple lucidité conduit donc à se demander si, en dépit de leur immense popularité et du soutien total dont ils bénéficient, il y a un interlocuteur valable chez eux et s’il y en a un au pouvoir puisqu’ils le récusent. Ils ne se retrouvent vraiment que dans l’anarchie et ce qui compte à leurs yeux, c’est de manifester de nouveau après-demain sur les Champs-Elysées. Pour conserver leur indépendance, ils souhaiteraient presque figer le moment, les points de blocage, leur présence sur les lieux stratégiques. Arrêter tout. Ce n’est pas un programme susceptible d’améliorer leur pouvoir d’achat, de même que récuser la politique n’empêche pas d’en faire et qu’un début de réflexion conduit à comprendre que les gilets jaunes n’agiront vraiment que lorsqu’ils auront réinventé le syndicalisme et l’engagement politique.

Si 80 % des Français, comme l’affirment les sondages, soutiennent le mouvement, comment se fait-il que, chaque jour, les effectifs des gilets jaunes en action diminuent, sauf le samedi ? Que vaut l’adhésion d’une telle majorité si bientôt le mouvement s’épuise ? Qu’y a-t-il de pertinent dans un soutien qui, pour le moment en tout cas, reste verbal mais risque de dégénérer si de nouveaux actes de violence sont commis ? Il ne faut minimiser ni la précarité des manifestants, ni leur immense indignation, ni les erreurs du gouvernement : jusqu’à présent, il n’a eu vraiment raison que parce qu’il sortait vainqueur de l’épreuve. La crise actuelle montre que, avec les taxes sur les carburants, il a dépassé les bornes. De toutes parts, on lui conseille de renoncer à ces taxes.  S’il essuie une défaite, même sérieuse, ce n’est pas grave. C’est préférable, en tout cas, à une installation durable de la crise qui le ferait tomber du côté de la répression ou même du renoncement.

RICHARD LISCIA

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2 réponses à Jeux de crise

  1. Scalex dit :

    Si la question est: « Trouvez vous facile de vivre avec 1000 € par mois? », je comprends que plus de 80 % des français répondent par la négative. Mais si la question est « la méthode des gilets jaune a-t-elle une chance d’apporter des résultats positifs ? », j’espère que la réponse serait tout autre.

    Réponse
    Il ne faut jamais douter de l’incohérence d’un peuple.
    R.L.

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