Ghosn lâché par l’État

Carlos Ghosn
(Photo AFP)

Depuis deux mois, le PD-G de Renault, Carlos Ghosn, est en prison à Tokyo et, selon ce que l’on sait des méthodes de la justice japonaise, il n’est pas près d’en sortir. L’État français vient d’exprimer son impatience : M. Ghosn, dont la culpabilité n’a pas encore été prouvée, va être remplacé à la tête de Renault.

SELON « le Figaro », c’est l’actuel PD-G de Michelin, Jean-Dominique Sénard, 65 ans, qui succèderait à M. Ghosn. Des émissaires de Renault se sont rendus dans la capitale japonaise pour informer les dirigeants de Nissan, grande société automobile qui fait partie, avec Mitsubishi, d’une alliance industrielle qui a été très profitable aux trois compagnies. L’obsession du gouvernement français est le maintien de l’alliance dont Nissan ne cesse de répéter qu’elle est vitale. Les soupçons de la justice japonaise expliquent sa sévérité à l’égard de Carlos Ghosn qui, à ce jour, n’a reconnu aucun acte délictueux, alors que ses procureurs font des aveux l’instrument premier de leur méthode qui a pris un tour plutôt arbitraire : l’accusé ne semble pas bénéficier des droits qu’une démocratie est censée prodiguer.

De graves accusations.

Son procès public, intenté autant par ses anciens collègues de Nissan et par la presse nippone que par la justice, fait apparaître des informations sur d’éventuelles pratiques d’enrichissement personnel et d’évasion fiscale qui, si elles étaient démontrées, seraient d’une gravité extrême. Cependant, le recours à la détention préventive, prolongée à intervalles réguliers par de nouvelles accusations qui empêchent M. Ghosn de recouvrer provisoirement la liberté, peut apparaître aux yeux des Français comme quelque peu cruel. De toute évidence, notre gouvernement préfère l’avenir de Renault au sein de l’alliance que celui de l’accusé, dont la descente aux enfers n’est pas terminée. Brésilien, Libanais et Français, Carlos Ghosn a élu domicile aux Pays-Bas, pour des raisons fiscales. C’est un capitaine d’industrie hors pair qui a su protéger et développer Renault, mais dont le comportement autoritaire a parfois choqué, notamment quand il a lancé une enquête pour espionnage industriel contre trois de ses très proches collaborateurs qui, en réalité, étaient parfaitement innocents.

Appétit pour l’argent.

Le voilà qui, brutalement, subit le sort qu’il a infligé à d’autres.  On connaissait son appétit pour l’argent: ses émoluments atteignaient des sommets, principalement parce que, d’année en année, sa réussite se confirmait, mais ils ont donné lieu à d’épiques controverses dans le monde industriel et dans le pays. Son refus de modérer ses prétentions en dépit de nombreux commentaires scandalisés l’ont conduit là où il est aujourd’hui. Non seulement il a prêté le flanc à une camarilla contre lui, mais il est allé se jeter dans la gueule du loup à Tokyo, signe qu’il n’était pas informé de ce qui se tramait et n’avait préparé aucune parade. Il est donc victime  de la justice japonaise, mais aussi de sa fausse conviction qu’il contrôlait la situation et que personne n’oserait l’importuner. Ce qui est gênant dans l’affaire, c’est surtout que, à tort ou à raison, les dirigeants japonais de Nissan ont voulu se débarrasser de lui, ce qui affaiblit leurs déclarations d’amour pour l’alliance avec Renault.

Le gouvernement, qui a hésité à abandonner Carlos Ghosn à son sort, en maintenant qu’il n’y avait pas de preuve contre lui, et qui a changé d’avis depuis quelques jours, n’a pas essayé de s’opposer frontalement aux autorités japonaises. Le Japon est une grande démocratie, qui combat  la délinquance en col blanc avec une vigueur que la France devrait imiter, ce qui n’empêche personne de s’interroger sur des pratiques judiciaires contestables dont la qualité n’a rien à voir avec la sympathie ou l’antipathie de M. Ghosn inspire à l’opinion.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Ghosn lâché par l’État

  1. D.S dit :

    L’ISF est absurde, car il taxe ce qui a déjà été taxé et il pénalise les fourmis par rapport aux cigales.
    L’exil fiscal, très choquant, devrait subir une taxation dissuasive.
    Les très gros salaires peuvent tout à faits être maintenus, mais avec une redistribution adaptée.
    Quand aux malversations financières, c’est un autre débat.

  2. admin dit :

    LL (USA) dit :
    L’alliance a besoin d’un PD-G, c’est normal, surtout à mesure que les constructeurs se trounent vers les véhicules électriques (aux Etats-Unis, les plans sont galopants). Mais sur les pratiques curieuses des procureurs japonais, et les cris d’orfraie de Nissan (plus le nationalisme encourage par Abe), je vous rejoins.

  3. Eve dit :

    Quelles que soient les remarquables qualités professionnelles de cet homme, il semble – jusqu’à l’indécence et la vulgarité – aimer l’argent. Argent qui n’est pas le sien, contrairement à Bolloré et autres.
    Il est très probable qu’en France, il n’aurait jamais subi un même traitement.
    Aurait-il été inquiété ? Je me le demande aussi.

  4. mathieu dit :

    Beaucoup, parmi les « usagers » de ce blog qui – dans l’édito en tou cas – prônent pondération, distanciation et recul sur l’évènement, sont prêts, on peut le constater, à basculer de la présomption d’innocence à la certitude de culpabilité, assortie d’un l’humanisme carcéral digne de grands démocrates comme Erdogan, Bachar ou le regretté Saddam.
    J’ajoute que je ne serais pas plus enclin à partager mon petit-déjeuner avec ceux-ci…qu’avec celui-là, l’un et les autres emplis du même degré d’altruisme et d’humanité.

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