La presse brutalisée

Un contexte très troublé
(Photo AFP)

L’incendie des locaux de la radio France Bleu Isère de Grenoble serait de nature criminelle. Pour le moment, on ne peut accuser personne et donc toute évocation des gilets jaunes serait hasardeuse. En revanche, on peut lier cet acte aux relations décidément exécrables entre les protestataires et les journalistes.

LE PHÉNOMÈNE  n’est pas récent. Il s’est développé avec la montée irrésistible du mécontentement, lui-même nourri par les réseaux sociaux, qu’une majorité de Français semble préférer à la presse professionnelle. Cet appétit pour Internet est que chaque individu peut participer au débat national et proposer son opinion, sans avoir à respecter les règles en vigueur dans le reportage, c’est-à-dire la diffusion d’informations aussi sûres que possible et vérifiées par des sources différentes. Il est donc facile, pour tout un chacun, d’écrire un long commentaire sur une fausse nouvelle, d’en nourrir les aspects les plus spectaculaires avec d’autres bobards et beaucoup de colère, et de trouver ainsi, dans ce contexte complètement artificiel, une forme d’expression qui, étant souvent vulgaire et en tout cas forcément excessive, est considérée par l’auteur comme la preuve même de son talent.

Pas de démocratie sans une presse libre.

C’est pourquoi il est très irritant, pour ces écrivains auto-institués, de constater que toute la colère est chez eux et toute la contradiction dans la presse. Ils ne comprennent pas que les médias puissent contester leur certitude, surtout dans ces bijoux de correction qu’est devenu le « fact checking » auquel nombre de journalistes s’adonnent aujourd’hui, ce qui les distingue, à leur avantage, à la fois des créateurs de « fake news », merveille de l’imagination, et de pas mal d’éditorialistes dont la logorrhée n’apporte rien au débat. Mais au moins les commentateurs professionnels pèsent-ils le pour et le contre. Au moins savent-ils écrire. Au moins ont-ils le sens de la nuance. La presse, professionnelle et protégée par la liberté d’expression, est la seule qui puisse offrir au lecteur les instruments lui permettant de se forger une opinion, la seule qui annonce sa couleur sans chercher à convaincre les citoyens qu’ils sont victimes de complots politiques organisés par d’obscures officines de l’État. À ce titre, elle crée un contexte solide pour que, au moment du scrutin, le citoyen puisse faire un choix protégé contre toute influence extérieure.

Une radio publique, c’est une institution.

Tout le monde sait qu’aucune radio, sauf les stations privées qui affichent leur engagement politique, ne cherche à laver le cerveau des auditeurs, de sorte qu’aller incendier le local d’une radio publique de Grenoble n’est pas seulement un crime, c’est une bêtise monumentale, elle aussi liée au contexte émotionnel dans lequel évolue la crise en France. Sans aucun doute lassés par une condition médiocre qui les mine, les manifestants et autres mécontents, convaincus, comme Jean-Luc Mélenchon le fut, lorsque ses locaux ont été perquisitionnés à la fin de l’année dernière, qu’ils « sont le peuple », et même « la République », s’imaginent que l’ordre ne peut être rétabli que sur la base de leur propre opinion érigée en dogme comparable à l’infaillibilité du pape.  Il s’agit d’une sorte de délire constamment auto-alimenté, mais il ne ferait rire que s’il n’était pas lourd de conséquences.  La radio de France Bleu, c’est la liberté, c’est universel, c’est une institution à laquelle nous ne pouvons manquer de respect qu’en menaçant du même coup ce que nous avons de plus précieux. Car si nous incendions une radio, nous finirons par incendier aussi Internet et nous priverons  les excités de leur pain quotidien ; nous vivrons dans le mensonge permanent, justement parce que la presse suit des règles qui n’existent pas dans les échanges de messages sur la Toile, lancés à la cantonade. Relativiser ce crime, c’est pratiquement ignorer ce qui fait notre vrai bonheur et, quelque part au fond d’eux-mêmes, les délinquants qui se sont livrés à cette agression le savent.

Car ils en veulent à l’État, au monde, racine de mondialisation, et à quiconque gagne mieux leur vie qu’eux. Tout ce qui ressemble au confort pour les autres, par exemple le choix des sources d’information, leur est insupportable. Et, bien entendu, s’ils pouvaient ramener l’économie française au dénominateur commun qui égalerait les difficultés des autres aux leurs, ils se sentiraient beaucoup moins malheureux. Cela signifie, bien sûr, que nous ne pouvons pas nous détourner de leur sort et qu’ils ont raison de protester. Cela signifie que nous devons poursuivre les incendiaires. Cela signifie enfin que le gouvernement doit changer considérablement sa politique sociale, même s’il est incontestable qu’il a déjà fait des gestes coûteux et qu’il est parvenu au bout de ses efforts financiers.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à La presse brutalisée

  1. Sphynge dit :

    « Tout le monde sait qu’aucune radio (…) ne cherche à laver le cerveau des auditeurs… ». Intentionnellement pas le plus souvent, mais du fait de l’appartenance de la presse à ce que l’on nomme les élites, et de son adhésion majoritaire à l’idéologie dominante dont elle est activement défenderesse (en particulier, les médias du service public). Le dogme par exemple de la mondialisation inévitable et irréversible comme celui des grandes migrations de peuplement est une attitude idéologique qu’elle défend constamment sans parfois même en avoir clairement conscience. Ou du moins en ne laissant qu’une place réduite et toujours dédaigneusement contestée aux idées adverses. Qui ne sont pas moins recevables et que la presse devrait, en toute rigueur, exposer également. Et même plus si l’on considère qu’elles sont largement majoritaires, ce qui n’est pas un motif suffisant de déconsidération. Il n’est pas admissible de détruire les locaux d’un journal, mais les représailles sont les risques d’une attitude partisane. Sachant que chaque camp possède ses excités, toujours condamnables.

    Réponse
    Je ne comprends rien à votre diatribe. Chaque camp possède ses excités et par conséquent n’importe quel excité peut lire ou voir ce que dit la presse de son camp. Je n’ai pas dit qu’il fallait supprimer les journaux engagés (il n’en reste pas beaucoup), je dis que les réseaux sociaux sont un abime de bêtise. Mais je vous empêche pas de les lire. Dans tous les débats auxquels j’assiste à la télé ou que j’entends à la radio, je ne perçois que des reproches virulents contre le pouvoir, l’Etat, le gouvernement, les institutions. De sorte que les accusations que vous lancez me semblent infondées et injustes. Migrations de peuplement ? Allons, allons, j’espère que vous n’y croyez pas sincèrement. Mais si vous y croyez, vous êtes libre. Si les gilets jaunes avaient le pouvoir, vous ne le seriez pas. C’est mon seul propos.
    R.L.

    • Sphynge dit :

      « Migrations de peuplement ? Allons, allons, j’espère que vous n’y croyez pas sincèrement. » C’est alors que je nomme mal le solde net d’immigration en France, au cours des quatre années écoulées d’1 million (quasi exclusivement africains) et de 1 million au cours des cinq années précédentes – selon les seuls chiffres officiels qui excluent l’immigration illégale. Et le phénomène a commencé après la dernière guerre mondiale. De tels chiffres n’ont jamais été observés en France depuis les invasions celtes, il y a environ 3 000 ans. L’idéologie dominante interdit toute discussion sur le sujet et même, la diffusion des données officielles que je ne trouve pas sur les réseaux sociaux que je n’ai jamais fréquentés, mais que chacun peut lire sur les plus officiels de la démographie française ! Ce serait le rôle de la presse de décrire exactement les situations. A défaut, elle finit par dresser l’opinion contre elle-même, et contre les idées qu’elle défend (et qui ne sont pas toutes nécessairement erronées).
      Réponse
      C’est ainsi que vous nommez, vous. Vos idées, votre point de vue, vos certitudes. Vous citez les Celtes. Bonne raison pour se rappeler que les mouvements migratoires ont toujours existé, qu’il n’y a rien de nouveau et qu’il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. De toute façon, nous ne serons jamais d’accord. Et comme cet espace est réservé à mon blog et que j’y expose ma ligne, je ne souhaite pas subir un autre remplacement qui consiste à défendre la ligne opposée.
      R.L.
      R.L.

      • Sphynge dit :

        Bien sûr, vous avez raison, mais cela affaiblit l’intérêt de l’ouvrir à des commentaires. S’ils ne doivent être que laudateurs de votre par ailleurs excellente façon de défendre vos thèses, ils ne peuvent pas enrichir un débat que malgré tout vous engagez en appelant à une discussion (commentaires et réponses). Mais, je n’insiste pas, nous avons quand même plaisir à vous lire et à connaître votre point de vue (voire vos certitudes!) souvent empreint de sagesse.

        Réponse
        Je vous remercie.

      • JMB dit :

        L’origine de l’Homo Sapiens est l’Afrique de l’Est: tous ses descendants qui n’habitent plus cette région sont des émigrés. (objet d’une série sur Arte: « Quand Homo sapiens peupla la planète », avec quelques interventions de scientifiques).
        Jusqu’au 19ème siècle, 12 millions d’Africains ont émigré. Les modalités devaient être plus conformes à ce qui est jugé l’ordre des choses.

  2. D.S. dit :

    Dans la technique du lavage de cerveau, les gilets jaunes sont très forts. Dès que l’un d’entre eux est interrogé dans les médias, c’est toujours le même discours, stéréotypé et dénué de la logique la plus élémentaire. Le commun des mortels dont je fais partie, finit par se demander dans quel camp se situe le bon sens et la normalité. Le mieux est de changer de chaine. L’action des journalistes favorise évidemment la poursuite du mouvement. Mais le GJ n’a pas d’alliés, pas plus les journalistes que les partis politiques.

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