Macron lasse sa gauche

Christophe Castaner savoure sa victoire
(Photo AFP)

La loi dite anti-casseurs a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale par 387 voix pour, 92 contre et 50 abstentions, toutes exprimées par des députés de la République en marche.

PARMI ceux que l’on appelle déjà les « dissidents », certains, comme Sonia Krimi, envisageaient de voter contre. Le ministre de l’Intérieur a néanmoins remporté une victoire, avec un vote qui rassemble la majorité des élus REM et des LR. Les Républicains du Sénat, qui sont à l’origine de la proposition de loi, ne devraient pas durcir le texte puisque le parti de la droite classique se déclare dans l’ensemble satisfait du contenu de la proposition de loi, qui contient un renforcement des mesures de prévention et de répression lors des manifestations, comme les fouilles individuelles et l’ordre de retirer cagoules ou masques. Entretemps, le débat national sur les lanceurs de balles (LDB), qui ont éborgné pas mal de gilets jaunes, dont le désormais célèbre Jérôme Rodrigues, a été oblitéré par le Conseil d’Etat, qui a jugé les LDB conformes à la législation en vigueur.

Un sentiment de déjà vu.

Il n’est pas surprenant que la « dissidence » de 50 députés REM ait été comparée à la fronde des socialistes lors de la fin du mandat de François Hollande. L’abstention de ce groupe n’est pas un défi, mais un signal d’alarme.« Notre abstention n’est le signe d’aucune posture politique mais bien le signe de notre attachement irrémédiable à un état de droit », ont-ils déclaré dans un communiqué. Le mot irrémédiable est impropre, mais le message est limpide. Un certain nombre de « dissidents » sont connus, comme Barbara Pompili (ex-Verte), Hugues Renson, qui vient de la droite, Aurélien Taché, Sonia Krimi. Il est probable que la décision de ne pas voter contre et de s’abstenir seulement a été précédée par d’intenses discussions. Mais le problème d’une forte fraction de la République en marche face à une politique du gouvernement plus souvent inspirée par les idées de droite que par celles de gauche n’est toujours pas résolu. Déjà, la loi asile/immigration a fait l’objet de vives querelles. Si Emmanuel Macron ne donne pas des gages d’une part aux défenseurs des libertés et d’autre part à ceux des élus de la REM qui réclament de nouvelles dispositions budgétaires pour satisfaire les gilets jaunes, il sera confronté chaque jour à la rébellion d’une partie de sa majorité.

On ne fait pas une loi chaque fois que ça va mal.

Or cet équilibre droite-gauche fait partie de son programme et on n’est pas obligé de penser que la loi anti-casseurs était indispensable. Il y a déjà assez d’armes dans l’arsenal judiciaire pour réprimer la violence et la casse. Et le premier reproche qui a été adressé à la proposition de loi, qui venait du Sénat, et dont le gouvernement s’est aussitôt emparé, c’est qu’on ne fait pas une loi chaque fois que ça va mal. Il ne s’agit pas ici de réclamer un équilibre des actions du gouvernement appuyé sur un strict respect des idéologies, mais au contraire de comprendre où sont les priorités. M. Macron a d’abord le devoir de mettre un terme à une crise qui se prolonge. Il ne peut pas arrêter quelque 50 000 manifestants. Certes, ils ont rejeté ses mesures en faveur des plus démunis, mais au moment où se poursuit le grand débat national destiné à laisser s’exprimer toutes les opinions populaires, il n’est pas logique de prévoir une répression accrue des manifestations.

La tâche du président est ardue, parce qu’il a devant lui un mur d’incompréhension et de contradictions, comme cette fameuse indépendance des gilets jaunes, qui s’est fondue hier dans la manifestation de la CGT, toute heureuse de récupérer le mouvement. Alors que, comble du ridicule, Marine Le Pen juge « fasciste » la loi anti-casseurs. On va vers la déraison généralisée et vers d’incroyables retournements de vestes. Naviguer dans des eaux aussi troubles et menaçantes relève de l’exploit. Mais le président ne peut pas s’éloigner de ses propres objectifs, dont le plus sacré est le respect des libertés. S’il n’est pas « irrémédiable », il est sûrement irrévocable, n’est-ce pas ?

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Macron lasse sa gauche

  1. Michel de Guibert dit :

    Il y a un nombre non négligeable d’élus de droite qui ont aussi voté contre ce texte ou se sont abstenus.
    La raison en est, me semble-t-il, que ce texte est mal ficelé, c’est l’avis de la plupart des juristes, car il fait preuve d’une grande subjectivité dans l’appréciation par le préfet de la licéité d’interdire une manifestation ou de « retenir » préventivement des personnes qui n’ont pas de casier judiciaire.
    Un tel texte, s’il était voté dans la forme actuelle, serait sans doute retoqué par le Conseil constitutionnel.
    Charles de Courson n’est pas un « fasciste » ni un extrémiste, il faut l’entendre.
    Il est dangereux de mélanger le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
    Même si on comprend le souci légitime de l’exécutif d’empêcher les casseurs de nuire, les moyens doivent être ceux d’un état de droit.

    Réponse
    Dans un précédent blog, j’ai rendu hommage à Charles de Courson. Et il me semble que vous partagez mon analyse.
    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      En effet, je partage votre analyse à propos de ce projet de loi « anti-casseurs » et je crains que l’attitude du gouvernement ne soit « irrémédiable » s’il persistait dans cette voie sans issue en s’écartant de l’Etat de droit !

  2. Tara dit :

    « Une politique du gouvernement plus souvent inspirée par les idées de droite que par celles de gauche ».Je n’en ai vraiment pas l’impression! Cela dit, ce projet est effectivement mal ficelé, ainsi que le disent les commentateurs précédents et non adaptés à des manifestations majoritairement pacifistes, mais infiltrées sous l’oeil tranquille des forces de l’ordre, qui préfèrent tabasser ceux qui ne risquent pas de se rebiffer.
    C’est pourquoi cette loi anti-casseurs est faite pour démolir, au propre comme au figuré, les GJ (qui ennuient les élites et toute autre manifestation qui ennuierait cette élite), et non les véritables casseurs, ce en s’éloignant toujours un peu plus de l’Etat de droit.
    Quant à « cette fameuse indépendance des gilets jaunes, qui s’est fondue hier dans la manifestation de la CGT », si j’en croit les chiffres, cette dilution est plutôt homéopathique.
    Mais on sait très bien que les chiffres sont manipulés de part et d’autre, et il est difficile d’être objectif.

    Réponse
    Pour résumer : ce gouvernement est de gauche, il est donc logique qu’il conduise une politique répressive, les gilets jaunes sont innocents de toute violence, les policiers ne tabassent que les gentils, la CGT et les gilets n’ont pas pactisé, mais au fond on n’en sait rien parce que les chiffres sont manipulés. Votre lettre est la plus cohérente que j’ai reçue.
    R. L.

  3. mathieu dit :

    Tout se passe comme si Macron, ayant définitivement renoncé à se faire entendre du peuple de gauche, des insoumis, des GJ et autres populistes, s’appuyait, maintenant sans faux-semblant, sur l’électorat de droite traditionnelle – qui n’a plus de représentant crédible – et son attente d’ordre, de structure, d’autorité, d’Etat et de démocratie (qui sera totalement satisfaite, si le juge précède le policier).

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