Une erreur de Bruxelles

Dirigée par Margrethe Vestager, la commission de la Concurrence de Bruxelles a rejeté la fusion entre le français Alstom et l’allemand Siemens. Le gouvernement français est indigné. L’application stricte des règlements européens semble avoir négligé les conséquences politiques de la décision de Mme Vestager.

La colère de Le Maire
(Photo S. Toubon)

LA COMMISSION de la Concurrence s’appuie sur des arguments classiques : son rôle principal est d’empêcher la constitution de trusts ou de cartels qui établissent leur propre loi économique sur le continent. En acceptant la création d’un géant des transports ferroviaires en Europe, elle risquait de nuire aux consommateurs de l’Union, c’est-à-dire les passagers, qui auraient été soumis aux prix pratiqués par le nouveau constructeur. Mais une fois encore, au nom de l’éthique commerciale et de la vertu des affaires, elle a ignoré le contexte mondial : partout, et notamment en Chine, existent des sociétés d’une puissance énorme qui n’attendent qu’une chose : se jeter sur le marché européen et y imposer la loi du plus fort. C’est ce que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a dénoncé hier avec vigueur. La fusion d’Alstom et de Siemens n’élèverait même pas le nouveau groupe franco-allemand au niveau du chinois CRRC, dont la taille est presque inimaginable : il représente plus de dix fois la production d’Alstom et Siemens réunis.

Menace mondiale.

C’est donc une affaire qui n’a pas été mûrement réfléchie par la commission et il ne nous semble pas indécent de dire que Mme Vestager ne pouvait prendre une décision de cette importance sans en avoir abondamment discuté avec ses collègues et principalement avec Jean-Claude Juncker, le président de la commission. Peut-être l’a-t-elle fait et, dans ce cas, la responsabilité des dirigeants européens est encore plus grande. Le même Juncker aurait dû prendre la température à Paris et à Berlin. Alstom, partiellement racheté par General Electric, a des commandes suffisantes pour les trois ans à venir dans le marché de la construction des locomotives et des wagons. Siemens est une industrie prospère. Mais les deux compagnies sont concurrencées par divers groupes étrangers, dont CRRC, mais aussi le canadien Bombardier. Les employés d’Alstom se réjouissent de l’échec de la fusion parce qu’ils savent que tout rapprochement entre deux concurrents se traduit obligatoirement par des licenciements. Mais, d’une certaine manière, c’est une vue à court terme : si, à l’avenir, les Chinois ou d’autres surgissent sur le marché européen, Siemens et Alstom se transformeront en peaux de chagrin.

Le dernier mot n’est pas dit.

C’est la doctrine européenne, puissamment attachée aux intérêts des consommateurs européens qu’il faut revoir. Derrière le rejet de la fusion, il y a un siècle de lutte contre les trusts qui, il y a encore quelques décennies, contraignait les plus grandes sociétés, par exemple aux États-Unis, à se fragmenter en groupes plus petits. Mais la mondialisation a changé la donne. De sorte que les conglomérats dont nous ne voulons pas, des puissances étrangères en créent. Peu de pays obéissent aux règles anti-trusts. Il est donc indispensable de tenir compte de l’environnement industriel et d’adapter les sociétés européennes aux menaces venues des autres continents. Le dernier mot, dans cette affaire, n’a sans doute pas été dit. Allemands et Français croient en la fusion, qui ne sera pas, de toute façon, une partie de plaisir, car Siemens pèse beaucoup plus lourd qu’Alstom. Il existe donc un danger d’absorption pure et simple du français par l’allemand. Mais le coup d’arrêt à la désindustrialisation en France est désormais un impératif catégorique. C’est elle qui explique en partie la crise sociale qui affecte le pays.

RICHARD LISCIA

 

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2 réponses à Une erreur de Bruxelles

  1. mathieu dit :

    C’est tout le problème de notre Europe, bâtie sur de belles et grandes utopies: elle est démocratique; elle est sociale (quoiqu’on en dise), elle est écolo, elle est légaliste et légiférante (à l’excès), bref elle est (ou se veut) vertueuse…dans un monde de plus en plus dépourvu de règles, de démocratie, de solidarité, de justice, où règne la loi du plus fort et du plus habile, en l’absence de plus en plus criante, d’arbitrage international…

  2. Doriel Pebin dit :

    Tout cela est exact mais nous sommes en train de vivre un changement structurel mondial avec la numérisation 3.0 et la montée de la Chine entre autres. Les valeurs européennes humanistes doivent être préservées mais les règles ont changé. Il faut en tenir compte très vite d’autant plus que le désaccord ne portait que sur 4 pour cent ! Il faut donc plus d Europe et modifier les règles du jeu pour ne plus devenir des secteurs de deuxième zone.

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