Un regain d’antisémitisme

Christophe Castaner
(Photo AFP)

Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a annoncé hier soir que le nombre d’agressions antisémites de toutes sortes avait augmenté de 74 % en 2018. Le nombre d’agressions physiques a augmenté de 89 %.

LE PIRE est que cette hausse ne constitue pas une surprise. Mais il serait encore plus grave de l’accueillir avec fatalisme. L’annonce de M. Castaner coïncide avec la destruction de deux arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi, ce jeune homme assassiné parce qu’il était juif (et qu’en conséquence sa famille avait sûrement l’argent de la rançon exigée), et la défiguration de deux portraits « street art » de Simone Veil par des croix gammées. Interrogé sur France Info, Pierre-François Veil, le fils de l’ancienne ministre et présidente du Parlement européen, a déclaré qu’il ne porterait pas plainte. On le comprend. Il faudrait que, de temps en temps au moins, les auteurs de ces actes hideux soient arrêtés et jugés. Reconnaissons-le : l’indignation, la colère, le besoin de rétribution tombent à plat : l’antisémitisme est en train d’intoxiquer la société française et il est d’autant plus courant qu’il reste impuni en dépit de la loi Gayssot qui en fait un délit.

Une maladie contagieuse.

Parmi les réactions, on notera celle de Marine Le Pen qui demande que la profanation récente de quelques églises soit également condamnée. Voilà qui lui donne bonne conscience et lui permet de mettre sur le même plan deux formes de haine tout à fait comparables et tout à fait condamnables, mais qui évacue très vite la spécificité de l’antisémitisme. Elle est experte dans ces jeux de langage qui lui offrent les meilleurs instruments sémantiques pour défendre des causes soigneusement choisies. Il y a un temps pour combattre l’antisémitisme, il y a un temps pour défendre les chrétiens, lui répondrons-nous, tout en prenant conscience de l’inutilité du discours en la matière. L’hostilité contre les juifs augmente en France, en prenant des formes variées et de plus en plus intenses, et c’est une maladie qui commence à contaminer une partie de plus en plus large de notre population. Les pouvoirs publics, assiégés par d’innombrables actes de violence, savent mieux que personne qu’il faut les prévenir, ou les punir, pas les condamner verbalement et passer à autre chose.

Un climat général dégradé.

Le climat induit par la crise sociale, longue et dure, qui se poursuit dans le pays, n’est pas favorable à la dénonciation de l’antisémitisme. Notamment parce qu’à la haine religieuse ou ethnique s’ajoute la haine du prochain, si courante chez les gilets jaunes mais jamais dénoncée en tant que telle, notamment par les journalistes qui voient surtout dans le phénomène l’aube d’une révolution salvatrice. Cette complaisance, très répandue dans les médias, a noyé le jugement des faits tels qu’ils sont commis avec une audace et une violence indescriptibles. Si on excuse la casse, les attaques physiques, la dégradation des centres-ville au nom d’une cause politique, on ne va pas perdre son  temps à s’intéresser à un antisémitisme endémique sous le prétexte qu’il prend de l’ampleur. Ceux qui se dressent contre l’antisémitisme sont toujours les mêmes, on les sollicite dès qu’un nouvel incident se produit en sachant qu’ils auront la bonne réponse. Ce n’est pas de cette manière que le problème doit être posé. J’ajoute que les Français non-juifs, et non les juifs, sont les mieux placés pour dénoncer les avanies subies par leurs concitoyens.

Pour les Français juifs qui, eux, n’oublieront jamais ce qu’incarne Simone Veil, survivante de la Shoah qui a milité, et avec quel zèle, pour la réconciliation franco-allemande,  la dégradation de ses portraits est insupportable. Au souvenir d’une tragédie de l’histoire qui leur ronge encore le cœur s’ajoute l’insulte faite à une icône historique qui a contribué à une thérapie possible contre ce cancer de l’humanité. De même qu’est odieux le saccage d’un hommage modeste à Ilan Halimi, cette victime qui a subi le pire des calvaires et a porté dans sa chair, jusqu’à la mort, toute la souffrance juive. Il a été battu, tabassé, brûlé, affamé, jeté au fond d’une cave comme une immondice. En trois semaines de supplices, un concentré de Buchenwald. Il n’y a pas de limite à la haine parce que c’est une forme de bêtise et d’ignorance. C’est cette bêtise qu’exploitent les partis extrêmes avec leurs solutions faciles et leur prétention à gouverner d’une autre manière. Ils dénoncent l’antisémitisme du bout des lèvres, mais ils en ont besoin pour prospérer.

RICHARD LISCIA

 

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11 réponses à Un regain d’antisémitisme

  1. Michel de Guibert dit :

    Vous dites que « les Français non-juifs, et non les juifs, sont les mieux placés pour dénoncer les avanies subies par leurs concitoyens ».
    Oui, je me sens concerné et il nous faut toujours lutter contre l’hydre renaissante sous des formes diverses mais toujours aussi odieuses.

  2. Chambouleyron dit :

    Dénoncer, dénoncer, dénoncer …. Il suffit de porter plainte. Il faut porter plainte.

  3. Michel de Guibert dit :

    Du Tarn aux Yvelines, plusieurs profanations d’églises en une semaine
    « Au nom du Fonds Social Juif Unifié, de la Fondation du Judaïsme Français et en mon nom personnel j’exprime toute notre solidarité envers l’Eglise catholique et nos frères et sœurs. Ces profanations sont scandaleuses et doivent être punies. » Ariel Goldmann
    Merci Monsieur Goldmann !

  4. chretien dit :

    Quand je relis le “ Requiem”de Jean D’Ormesson pour Simone Veil et que je pense à l’ami de mon père tous les deux médecins en 1939. Cet ami du nom de Abraham Stroulevitch a du fuir la France précipitamment pour les Etats Unis où il a du recommencer toutes ses études pour pouvoir exercer. Son fils est venu dans ma famille en France voir mon père après le décès du sien,dans les années 1950 ,quand ma mère, bien malgré elle et à grand regret , lui a appris qu’il était juif : il s’appelait Richard Holbrooke , une des plus grandes figures de la politique américaine.
    Devenu haut responsable américain pour l’Asie auprès de Bill Clinton et plus tard responsable américain pour l’Europe ,il a mis fin à la guerre du Kosovo avec Bernard Kouchner et à durement ferraillé contre le génocide (encore) organisé par Milosevic.
    Plus tard, il a été nommé responsable de l’Afghanistan et du Pakistan par Barack Obama. Il est mort en 2010 d’un accident cardiaque.
    Quand je pense à toutes ces personnes et vois ce qui se passe aujourd’hui, nous sommes toujours en présence de cette bêtise et de cette haine, comme vous le dites si bien.

  5. Chretien dit :

    Dernier témoignage : mon père généraliste, résistant de la première heure, a été obligé par l’ordre des médecins de Vichy de s’installer à 50 kms du lieu où il voulait aller pour, je cite, « casser les reins »  d’un confrére juif …qu’il a sauvé plus tard de la déportation !

  6. PICOT François dit :

    Une augmentation de 74% !! Il faudrait, même si ce n’est pas facile en ce moment, savoir qui sont les responsables de cette progression impressionnante. Même chose pour les profanations des églises et cimetières. Sinon, comment lutter? Les belles déclarations, de nouvelles lois, les bougies et les peluches ne sont pas de mise.

  7. Jacques B dit :

    Très belle tribune mais vous tournez autour du pot pour ce qui concerne les principaux responsables de ce regain. Comment ensuite proposer des traitements si l’on n’a pas le bon diagnostic ? Les actes antisémites dans le 93, ce n’est pas Marine le Pen, que diable !

    Réponse
    Pour ne pas tourner autour du pot, voilà ce que j’ai à vous dire : quand on interpelle quelqu’un, on évite l’anonymat, que diable ! Ensuite, il ne fait aucun doute qu’à l’antisémitisme musulman s’ajoute l’antisémitisme de l’extrême droite, qui n’existe pas d’hier mais dont le RN contribue au développement. Content, M. B. ?
    R.L.

  8. mathieu dit :

    Il est licite de penser que l’antisémitisme, que l’on pouvait suspecter de fondateur idéologique du FN originel, quand il faisait moins de 5 % des voix, est sûrement devenu marginal (quoique réel) dans un corps électoral représentant 20 % des Français, et qui voit le « danger » sociétal sûrement ailleurs (l’immigration nord-africaine notamment, l’extension de la culture islamique). L’antisémitisme, cancer qui n’est, au mieux, qu’en plus ou moins longue rémission dans notre histoire, n’est, hélas, qu’un visage d’une maladie nouvelle, le communautarisme insidieusement croissant qui, sous la tranquillisante utopie de la richesse culturelle d’un pays, épaulée par certains régionalismes exacerbés, dresse des murs invisibles mais de moins en moins perméables entre citoyens, ethnies, religions, territoires, classes sociales, cultures. Chacun, de plus en plus, étant insidieusement marqué, fiché, par son origine, son parler, son accent, son prénom, sa coiffe, sa tenue, ses relations, son quartier, etc.

    Réponse
    L’antisémitisme en France est consubstantiel à l’extrême droite. L’antisémitisme musulman n’enlève pas un iota à la responsabilité des descendants du régime de Vichy. La question n’est pas de situer les antisémites, elle concerne la libération de la parole antisémite. En obtenant une forte fraction des suffrages, le RN a normalisé une idéologie naguère considérée comme dangereuse. Le délire antisémite des réseaux sociaux est produit par la certitude qu’il n’est plus honteux d’afficher sa haine contre les juifs.
    R. L.

  9. JMB dit :

    L’antisémitisme, nouveau nom de l’anti-judaïme depuis le XIXe siècle, a 16 siècles en Europe. Dès l’époque mérovingienne, les juifs sont l’objet d’une haine populaire, et un fils de Clovis, Childebert, leur défend de se montrer sur les places aux fêtes de Pâques pour éviter des rixes. L’antisémitisme européen a pris des formes variées, des motivations diverses: quand l’une d’elles disparaissait, une autre la remplaçait. Il permet encore, au XXIe siècle, à certains de se défouler de leurs malheurs et/ou de leurs frustrations.
    L’antisémitisme musulman n’existe que depuis quelques décennies. Ainsi, en 1919, un accord entre le Dr Chaïm Weizmann et l’émir Fayçal prend « en considération la parenté de race et les liens existant entre les Arabes et le peuple juif »
    L’antisémitisme européen est essentiellement idéologique, il ne peut exciper que des faits conséquences de discriminations suggérées par cette idéologie. L’antisémitisme musulman a son origine dans un conflit territorial comme l’histoire en compte de multiples. Il s’idéologise ultérieurement. Dans cette évolution, seront utilisés les Protocoles des Sages de Sion, ouvrage de la police secrète de la Russie tsariste.
    Lors d’une émission de « Concordance des temps » (France culture) consacrée au sionisme, Jean-Noël Jeannenay demanda à son interlocuteur l’historien israélien Élie Barnavi: « Que répondez-vous à ceux qui disent: les coupables sont en Europe et ceux qui en subissent les conséquences sont en Palestine ? ”. Cette question amena un silence prudent.
    PS: Selon l’ONG américaine Anti-Defamation League, les agressions antisémites aux États Unis ont augmenté de 111 % entre 2015 et 2017. Lors de la campagne présidentielle, Donald Trump est l’auteur d’un tweet affichant le visage d’Hillary Clinton sur fond de dollars et étoile de David. Sur celle-ci est écrit: « Most corrupt candidate ever ! ».

    Réponse
    Le silence d’Elie Barnavi, Israélien de gauche, était dicté uniquement par son hostilité à la politique de l’actuel gouvernement israélien. Barnavi, ancien ambassadeur en France qui a publié plusieurs livres, n’est pas homme à se laisser embarrasser par une formule éculée et très réductrice. Il n’était pas difficile de dire que le refus du dialogue existe dans les deux camps et que, sous prétexte d’antisionisme, les foules musulmanes pratiquent l’antisémitisme pur et simple.
    R. L.

    • Michel de Guibert dit :

      « L’antisémitisme musulman n’existe que depuis quelques décennies », écrit JMB (sic)
      Vous semblez méconnaître que les persécutions ont commencé dès le vivant de Mahomet contre les juifs de Médine (624-627) après que ces derniers eurent refusé de le reconnaître comme prophète !

  10. JMB dit :

    Dès le IVè siècle, les Pères de l’Église font des reproches dans l’esprit de ceux ultérieurs de Mahomet: les juifs refusent d’adhérer à la nouvelle religion (« Ils répudient la foi de leurs pères » selon Grégoire de Nysse).
    Extrait d’une ancienne revue (Cahiers de l’histoire) consacrée à l’histoire des Juifs: « Le sort des juifs dans le monde musulman fut, nous l’avons vu, plus ou moins enviable, variant avec les différents maîtres.
    Jamais en tout cas les juifs ne furent totalement rejetés par la société ; jamais ils ne jouèrent le rôle de bouc émissaire que le moyen âge chrétien va leur assigner.
    En Europe occidentale, en effet, on assiste au cours de la période médiévale au développement et aux progrès de l’antisémitisme. » (Poliakov est cité dans les références).
    Ce jour, l’émission « La marche de l’histoire » (France Inter) est consacrée à « Roumanie, la Shoah oubliée » avec Alexandra Laignel-Lavastine. Édifiant.

    Réponse
    Pas totalement rejetés, mais très souvent rejetés.
    R.L.

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