Juppé : la tentation du Conseil

A gauche de la droite
(Photo AFP)

Sur proposition du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, Alain Juppé, ancien Premier ministre et maire de Bordeaux, a été nommé au Conseil constitutionnel. L’acceptation de son nouveau poste signe la fin de sa carrière politique, qui a duré plus de 40 ans.

C’EST UNE surprise, parce que le secret a été bien gardé et parce qu’Alain Juppé a toujours répété qu’il était heureux de servir les Bordelais, lesquels ne cachent guère aujourd’hui leur déception et leur amertume. C’est l’inconvénient d’une nomination peut-être impossible à récuser. Mais lorsqu’on connaît le parcours de M. Juppé, on devine que face à la violence de la politique, il ressentait le besoin, depuis longtemps, de s’en écarter. Il s’est exprimé à ce sujet dans un livre, « la Tentation de Venise », publié quelque temps après qu’il fut condamné dans l’affaire des emplois fictifs à la mairie de Paris. Un choc très rude pour lui, souvent considéré comme un des rares hommes politiques intègres et qui n’a dû ses déboires judiciaires qu’à sa dévotion pour Jacques Chirac, qu’il a protégé en se sacrifiant. Certains se souviennent peut-être du propos tenus par la juge qui a condamné M. Juppé : elle avait souligné  la responsabilité exceptionnelle des politiciens qui ne respectent pas l’éthique. Juppé en fut profondément affecté.

Affinités avec la REM.

La programmation inattendue de sa fin de carrière n’en comporte pas moins quelques inconvénients. D’abord, les Bordelais, déjà troublés par les violences et les dégradations de leur belle cité tous les samedis, avaient cru à la sincérité de M. Juppé quand il leur disait qu’il n’avait pas d’autre ambition que de rester à la tête de la ville. Ensuite, les juppéistes, c’est-à-dire tous ces gens de droite qui se reconnaissent dans son approche nuancée des problèmes, vont regretter qu’il abandonne la politique. Même Emmanuel Macron et la République en marche sont privés d’un ami qui a gardé une certaine aura et pouvait les aider à gagner les élections européennes et, plus tard, les municipales. Le maire de Bordeaux est avare de compliments et il ne s’est jamais livré à l’éloge du président, ni même du Premier ministre, qui est son ami. Mais ses affinités avec le mouvement macronien sont nombreuses.

Un précurseur.

On a toujours décrit Alain Juppé d’une manière quelque peu superficielle en insistant sur son côté technocratique et sa mine peu souriante. C’était aller vite en besogne. Non seulement le maire de Bordeaux possède une expérience remarquable mais il a accompli un parcours un peu comparable à celui de Macron. Il est même le précurseur des Marcheurs dans la mesure où lui aussi, en 1995, a tenté de lancer de grandes réformes et rencontré une révolte presque aussi grave que celle des gilets jaunes. Il a réussi à faire passer une faible partie de son programme, mais il est sorti lessivé de l’expérience et a quitté Matignon quand Jacques Chirac a décidé de dissoudre l’Assemblée à un moment inopportun. Dans le laps de temps pendant lequel les deux hommes ont travaillé de concert, Chirac s’en est toujours sorti, Juppé a toujours payé les pots cassés. Il a le droit d’éprouver un peu d’amertume.

Il n’a pas manqué de dénoncer les violences répétées des gilets jaunes, dont Bordeaux a beaucoup souffert, mais pour rien au monde il n’aurait contesté leur droit à manifester. Juppé, l’un des personnages les plus à gauche de la droite, est ainsi parvenu au bout de ses espoirs : le monde est trop mal fait pour que l’on puisse le changer. Le Conseil constitutionnel lui permet de sortir enfin de la mêlée et de redevenir l’intellectuel et l’homme sensible qu’il a toujours été. Certes il y a un prix pour chaque promotion, comme il y en a un pour chaque défaite. Il pénalise les Bordelais et il prive les réformistes sincères de ses compétences économiques et politiques. Il aurait pu, s’il lui restait du dynamisme et de l’optimisme, conduire la liste de la République en marche, qui n’a toujours pas de chef de file. Mais imitons-le : cessons de rêver.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Juppé : la tentation du Conseil

  1. D.S. dit :

    Juppé ne doit pas être trop mécontent d’avoir été éliminé aux présidentielles. Il aurait probablement connu une deuxième fois en pire, la situation de 1997 qui s’était mal terminée pour lui.
    Réponse
    face à une thèse que rien n’étaye, on peut dire exactement le contraire.Et en plus, ce n’est pas le sujet.
    R.L.

  2. Michel de Guibert dit :

    Il est tout de même étonnant que l’on nomme au Conseil constitutionnel quelqu’un dont le casier judiciaire n’est pas vierge !
    Réponse
    Je croyais avoir expliqué qu’Alain Juppé n’a jamais créé d’emploi fictif à la mairie de Paris. Il y est arrivé quand c’était déjà fait. Si son cas est rédhibitoire, le Conseil constitutionnel est parfaitement libre de refuser sa nomination.
    R. L.

  3. PICOT François dit :

    Nous nous fichons comme d’une guigne de ce que fait M. Juppé. De plus, nous constatons à cette occasion, une fois de plus, qu’il n’y a pas de juriste au conseil constitutionnel, rien que des politiques, ce qui est parfaitement anormal et jette une suspicion légitime sur leurs compétences et orientations : juridiques ou politiques?
    Réponse
    Nous nous fichons encore plus de ce que dit M. Picot que nous incitons à lire ailleurs.
    R.L.

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