Ford, patron voyou

Poutou, avec les « gilets »
(Photo AFP)

L’usine de Ford à Blanquefort, dans la région de Bordeaux, qui fabrique des changements de vitesse, va fermer ses portes et mettre 800 salariés sur le carreau.

CE N’EST ni la première fois ni la dernière fois qu’une usine est arrêtée en France. Le cas de Blanquefort est cependant caractéristique de tout ce qu’un patron ne doit pas faire. Ford ne perdait pas d’argent avec ce site. Il a estimé qu’il n’en gagnait pas assez et, fidèle aux principes du capitalisme sauvage, il a décidé d’en finir avec cette lointaine possession en France pour complaire à ses actionnaires. Un repreneur a été proposé à Ford, qui l’a récusé, de même qu’il refuse de vendre l’usine et ses machines sous le prétexte qu’il ne veut pas livrer ses secrets industriels à un concurrent. Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est évertué à trouver une solution qui aurait protégé au moins une partie des emplois. Face à l’intransigeance et au cynisme du patron américain, pas gêné de jeter 800 personnes à la rue, il a exprimé sa colère. Il a même pensé à nationaliser l’usine pour la revendre un peu plus tard.

Ford paiera.

Le pire, c’est que Ford a reçu des aides publiques pour un montant de 15 millions d’euros. Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, disait ce matin qu’on ne pouvait pas exiger le remboursement de cette somme car Ford a tenu ses engagements en matière d’embauche. En revanche, Ford paiera pour les divers dommages que sa décision va coûter à ses employés, à la région et à la France. On peut s’attendre à une procédure judiciaire très longue : les multinationales, et plus particulièrement les américaines, ne se croient pas toujours soumises au droit étranger. Ce sont les mêmes Américains qui ont condamné certaines de nos banques à des amendes colossales parce qu’elles n’ont pas respecté les règles en vigueur dans le droit des États-Unis. Bref, on peut considérer Ford comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, qui se moque de tout ce qu’il casse pourvu qu’il parvienne à ses fins.

Le précédent d’Alstom.

Cet entêtement, cette arrogance, cette logique cruelle n’ont pas déclenché une émeute parmi les ouvriers de Blanquefort, qui croyaient fermement à une reprise de l’usine, et se montrent aujourd’hui encore plus consternés que scandalisés. L’État français reste leur dernier espoir, mais ils savent déjà que la procédure d’indemnisation, de reclassement, de formation, sera longue, pénible et, pour eux, coûteuse. Parmi les salariés de Ford-France, l’ancien candidat de l’extrême gauche à la présidentielle, Philippe Poutou,  dit aujourd’hui se battre pour un emploi dont il a cruellement besoin. Il partage donc les angoisses et les peurs de ses collègues. Il n’y a rien de très nouveau dans cette affaire. Mais, d’une part elle montre que la désindustrialisation n’est pas terminée en France et qu’elle continue à faire des ravages. Quel que soit le pouvoir en place, la réaction est la même : Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie, était puissamment intervenu dans le rachat partiel d’Alstom par General Electric qui, par la suite, fut incapable d’assurer le recrutement de 1 000 salariés supplémentaires et dut payer 50 millions de dollars à l’État. Comme Montebourg, Bruno Le Maire a réservé à Ford ses critiques les plus violentes. Et, d’autre part, Ford a poussé le refus du compromis à un degré qui dépasse les bornes. Voilà un partenaire haïssable qui se moque effrontément du sort de 800 personnes.

Pas de remède contre l’arrogance.

Le gouvernement, qui a pris l’engagement de faire rendre gorge à Ford, s’attaque à une autre de ces citadelles multinationales dont on ne peut attendre le moindre esprit de coopération. On verra, dans cet exemple, comme dans celui d’Ascoval, aciérie en perdition dans les Hauts-de-France, les ravages de la mondialisation. Il y a eu des crises induites par la malhonnêteté des banques internationales ; il y a la concurrence asiatique ; il y a la nécessité de moderniser notre industrie et de la rendre plus compétitive. On connaît les remèdes industriels et sociaux. On n’a pas de martingale en revanche pour lutter contre le cynisme, l’indifférence, le refus de prendre le moindre risque, l’aveuglement qui fait que le premier réflexe d’un patron consiste à sacrifier ses salariés alors que sa principale préoccupation devrait être de les garder aussi longtemps que possible. S’il est vrai que les régimes autoritaires et leur capitalisme d’État n’offrent guère d’espoir, une réforme du système international des investissements, des échanges monétaires et des fusions-acquisitions, comprenant des garde-fous sociaux, devient un impératif catégorique.

RICHARD LISCIA

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4 réponses à Ford, patron voyou

  1. Michel de Guibert dit :

    Merci pour ce remarquable article qui met le doigt sur un système pervers et sans scrupules.

  2. martin dit :

    « Ford, capitalisme sauvage » ?
    Capitalisme tout court.

    Réponse
    Il est utile de recourir à la nuance.
    R. L.

  3. jean MARIE jean MARIE DR RADIGUET dit :

    Il nous suffit de boycotter Ford. Un marché de 67 millions d occidentaux et la mauvaise publicité fonctionneront mieux. Pourquoi le gouvernement ne le demande-t-il pas, les Américains ne se génent pas pour nos produits ?

    Réponse
    Le boycott étantune mesure de type protectionniste, nos exportateurs subiraient des représailles.
    R. L.

  4. Lumbroso dit :

    Une loi devrait interdire de fermer une entreprise du moment qu’elle fait des bénéfices
    Et être assortie de pénalités financières calculées sur des pourcentages à fixer.
    Cette maltraitance nous fait revenir au début de l’ère industrielle décrite par
    Dickens. Le mépris des salariés en tant qu’êtres humains se traduit par des risques psycho-sociaux dans les entreprises,et par des phénomènes graves, comme les gilets jaunes. Dans certains cas, les troubles sociaux ainsi déclenchés menacent la démocratie.

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