Surréalisme algérien

Manifestation hier à Oran
(Photo AFP)

Des élections générales auront lieu en Algérie le 18 avril et le candidat le plus certain d’être réélu est Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, diminué par la maladie. Il a déjà accompli quatre mandats.

LA BONNE explication, c’est que la longévité politique exceptionnelle de M. Bouteflika résulte de la volonté farouche des Algériens de tourner le dos à tout risque d’instabilité politique. Le déchaînement de violence inhumaine auquel se sont livrés les mouvements terroristes a laissé un souvenir impérissable : les habitants de ce pays auquel l’histoire et le présent nous rattachent ne souhaitent pas revivre une période aussi troublée et sanglante (150 000 morts). L’Algérie est affectée par une crise sociale et économique que la rente pétrolière ne suffit pas à apaiser. La moitié de la population est née quand M. Bouteflika était au pouvoir, le taux de chômage, surtout chez les jeunes, est élevé, la corruption est partout et le pouvoir est confisqué par les proches du président en exercice et par l’armée. Tout fonctionne selon une donne distribuée il y a quelque soixante années : c’est le Front de libération nationale qui a arraché l’indépendance à la France, c’est l’armée aujourd’hui qui contrôle le pays.

Le cauchemar terroriste.

M. Bouteflika est malade depuis plusieurs années et, récemment encore, il s’est rendu en Suisse pour y être soigné. Il conserve, dans le peuple, le soutien de ceux de ses concitoyens qui se souviennent de la période terroriste comme d’un cauchemar indélébile. Il représente, pour les clans au pouvoir, un label irremplaçable. Il y a bien eu des tentatives pour créer des partis d’opposition et de multiples candidats à la présidentielle, mais si le régime autorise un certain degré de liberté d’expression, il sait aussi orienter un scrutin dans le sens qui lui convient. Cette année, toutefois, l’évolution de la mentalité populaire est considérable. L’opposition au cinquième mandat d’un mort-vivant au pouvoir s’exprime notamment dans la jeunesse et dans la rue. Les étudiants viennent de manifester en évitant le plus souvent les actes de violence. Le pays est en ébullition.

Un candidat fantaisiste.

Rachid Nekkaz, 47 ans, est candidat contre Bouteflika. Il est né sur notre sol et il a même tenté de se présenter comme candidat à la présidentielle en France. Il bénéficie d’une bonne cote de popularité et, partout où il va, il est acclamé par les foules. Il a déchiré son passeport français, mais n’étant pas né en Algérie, il n’est pas autorisé à se présenter. Lui et ses partisans font comme s’il gardait toutes ses chances. De sorte que, contre le candidat officiel, privé de toutes les fonctions physiques indispensables à l’exécutif, s’est mis en place un candidat parfaitement fantaisiste qui n’a aucune chance.

Un stratagème qui ne dupe personne.

On ne dit peut-être pas assez à quel degré d’absurdité est parvenue la situation en Algérie. La prétention des proches de Bouteflika à un cinquième mandat de cinq ans, après vingt ans de pouvoir, plonge le pays dans une forme achevée de surréalisme qui s’apparente au maintien en vie de Franco en Espagne dans les années soixante-dix. Là aussi, on a maintenu assise dans son fauteuil une momie incapable de s’exprimer et encore moins de gouverner. Partout dans le monde existent des régimes arbitraires, mais le clan de Bouteflika a poussé si loin le burlesque que nombre d’électeurs s’indignent du recours à un stratagème qui ne dupe personne, ni en Algérie, ni dans le reste du monde.

L’analyse politique s’arrête donc au point précis où l’absurdité bureaucratique, le défi à l’intelligence, l’inventivité ultra-audacieuse dans le maintien d’une fiction complète ont gelé toute logique politique. La France, de son côté, ne peut qu’assister impuissante à cette farce. Elle ne peut pas avoir été la puissance coloniale et être maintenant la conseillère. Cette élection serait drôle si elle n’annonçait clairement la fin d’un système bâti sur la décolonisation. Les Algériens savent qu’ils doivent cesser de s’identifier par rapport à leur relation mouvementée avec la France. Ils commencent à comprendre qu’ils ne peuvent même plus se satisfaire de la protection anti-terroriste que leur offre le pouvoir.

RICHARD LISCIA 

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2 réponses à Surréalisme algérien

  1. admin dit :

    LL dit :
    Le régime algérien n’est pas vraiment un régime connu pour son attachement à la démocratie.

  2. AC dit :

    Rachid Nekkaz n’est pas qu’un fantaisiste. C’est aussi un personnage sulfureux connu pour son combat contre les amendes pour port de voile intégral en France (tout en affirmant y être opposé) et son soutien au burkini.
    En 2013, il est condamné par le tribunal d’instance d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour avoir loué deux logements indignes à Choisy-le-Roi, situés dans le sous-sol d’un pavillon. Il se défend d’être un «marchand de sommeil», assurant venir en aide à des personnes en difficulté. En décembre de la même année, il est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis pour achat de parrainage. Il avait monnayé en 2012 des parrainages pour Marine Le Pen (!) ou encore Cindy Lee, une strip-teaseuse qui avait fondé le Parti du plaisir.

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