Le charme des gilets jaunes

Juliette Binoche
(Photo AFP)

La culture française vient de faire une irruption en force dans la crise des gilets jaunes : 1 400 écrivains, acteurs et autres représentants du monde artistique (dont Juliette Binoche, Edouard Louis, Danièle Sallenave et Annie Ernaux) ont signé dans « Libération » un manifeste de soutien aux gilets intitulé « Nous ne sommes pas dupes ».

IL S’AGIT d’une démarche intéressante parce qu’elle représente l’exemple parfait de la bonne foi abusée. Ces personnalités du monde de la création ont certes un lien indissociable avec la gauche française, mais elles n’ont aucun intérêt partisan. Elles font donc de la politique par conviction et tiennent à se dresser contre le pouvoir, contre les partis politiques hostiles aux gilets jaunes et contre la « presse grand public » qu’elles accusent de dénigrer les manifestants des samedis et des ronds-points.

Ce qui veut dire que la perception des événements, surtout ceux qui relèvent d’une crise nationale, dépendent de l’engagement personnel de chacun. Dans cet espace, nous avons pensé au contraire que les gilets bénéficiaient du soutien actif de nombre de chaînes de télévision et de journaux, souvent pour des raisons contradictoires. Un quotidien de droite qui, parallèlement, réclame le retour à l’ordre, voit surtout dans la crise une menace pour le gouvernement honni d’Emmanuel Macron. Un autre quotidien, de gauche, celui-là, voit la révolution à sa porte, avec l’espoir que les gilets, à eux seuls et par les nuisances qu’ils introduisent dans la société civile, feront tomber le président, son Premier ministre et son parti.

Mais oui, ils sont dupes.

Ces 1 400 personnalités, prétendument affectées par la solitude dans laquelle les gilets jaunes poursuivent leur œuvre destructive, ont trouvé dans le dégagisme qui inspire les manifestants cette nouvelle gauche qui n’appartient à personne et apportera au pays les changements dont il tant besoin. Peu importe que des gilets jaunes aient reçu en France Luigi di Maio, l’homme  associé à Matteo Salvini, qui dirige l’Italie pour le compte de la Ligue, mouvement néo-fasciste, naguère séparatiste. Peu importe que des gilets jaunes prononcent des propos de type révisionniste, par exemple que les forces de l’ordre sont des nazis qui s’ignorent puisqu’ils « gazent » des manifestants comme autrefois Hitler gazait les juifs (double insulte au génocide, puisque six millions de juifs n’auraient été traités que par les gaz lacrymogènes) ; peu importe que les slogans de l’extrême droite soient repris quotidiennement par les gilets qui, incapables de s’unir ou de présenter un programme, se contentent de piller le bréviaire du Rassemblement national quand ce n’est pas celui de la France insoumise. En réalité, ces 1 400 célébrités censées disposer d’une intelligence et d’une culture largement supérieures à la moyenne sont tout à fait dupes d’un mouvement qu’elle considèrent comme légitime parce qu’il rassemble des personnes démunies. Alors que, dans leur entêtement à poursuivre une action délétère au nom d’une souffrance au moins égale à celle des détenus des camps de concentration hitlériens, elles en arrivent à préconiser des solutions de type totalitaire.

Un mouvement minoritaire.

Il faut en conclure que ce n’est pas grâce aux gens cultivés que la gauche française renaîtra de ses cendres. Ils viennent d’apporter aux gilets une caution qui les discrédite. Si, en effet, on s’en tient au manifeste publié par « Libération », on a tout lieu de craindre que l’encouragement et le soutien sans la moindre nuance apporté à la cause des gilets par autant de grandes personnes civilisées ne fera que prolonger une crise inutile et favorisera l’ascension, décidément irrésistible, de ces deux partis populistes et autoritaires que sont le Rassemblement national et la France insoumise. Il faut même une sorte de simplisme à ouvrir ainsi les bras à un mouvement qui se plaint de sa précarité sociale, laquelle n’a été que le détonateur de la crise, mais a pris vite la forme d’une insurrection violente qui n’a pu être jugulée que parce que, chaque jour, elle devient un peu plus minoritaire.

Je ne doute pas un seul instant de la grandeur d’âme, de la générosité et de l’humanisme de ces 1 400 artistes qu’encensent leurs compatriotes (mais plus pour leur art que pour leur engagement politique). Mais je ne crois pas qu’il y ait la moindre logique dans leur raisonnement. On nous dit parfois que nous devrions partager les difficultés des gilets jaunes, mal payés, pauvres et contraints en outre à aller manifester tous les samedis. Il n’est pas sûr que les auteurs du texte publié par « Libération » aient pris le soin de se mêler aux batailles du samedi ou passé la moindre nuit sur un rond-point. Il est sûr en revanche que, si le mouvement des gilets jaunes avait  le pouvoir de changer la société française, ces 1 400 adorateurs de la violence et de la haine auraient beaucoup moins l’occasion d’exercer leur talent.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à Le charme des gilets jaunes

  1. Michel de Guibert dit :

    C’est Luigi Di Maio (mouvement 5 étoiles) et non Matteo Salvini qui a été reçu en France par les gilets jaunes.

  2. admin dit :

    Correction faite.
    R. L.

  3. Isabelle BOGEN dit :

    Votre analyse des gilets jaunes, et du récent soutien apporté par des personnalités françaises
    artistiques et culturelles souffre d’un manque de charme certain.
    Binaire, un peu de jaune enrichirait et éclairerait votre vision en noir ; eux, et blanc : vous.
    Et peut-être découvririez-vous la palette infinie du monde : le Rouge et le Noir, que « la terre est
    bleue comme une orange », voire « que l’amour est un caillou riant dans le soleil ».
    Réponse
    Pur baratin de type cinquante nuances chromatiques qui ne répond pas aux questions sur le racisme et le totalitarisme que j’ai soulevées.
    R. L.

  4. Maugis dit :

    J’aime assez ce sursaut de la dernière heure… magnifique engagement bien tardif de ces « grandes » personnalités qui savent ce qu’un gilet jaune veut dire. Jouer les pauvres dans les Amants du Pont Neuf ou une paysanne dans Manon, c’est une réelle expérience de la précarité. Nous attendons avec émotion le discours humide que les uns et les autres nous enverront bientôt de Cannes. La Résistance a eu Sartre et Beauvoir. Nous allons récupérer Binoche et Béart.

  5. JULIEN dit :

    Certes « les artistes » n’ont pas le monopole du cœur, mais ils ont quand même un cœur et ce qu’on peut trouver discutable de leur part tient surtout de l’erreur de jugement. Riche ou pauvre, désapprouver la violence sous toutes ses formes reste un élément essentiel de l’humanisme.

  6. granier dit :

    Merci pour cette réaction dont je partage l’avis ; je me demande si les médias,cmenacés, via leur personnel sur le terrain entre autres, n’ont pas tout simplement peur de ces personnes violentes et immatures au mieux.

    Incroyable, ce mouvement ; heureusement, ils ont rempli leurs frigos, cette fois sans passer par la dénonciation du voisin ou le pillage de ses biens, quoique, et jusqu’à quand. On n’y croit pas, on refuse d’y croire, et puis cela arrive.
    Quant à la gauche incarnée par Binoche, bof. Les amants du Pont-Neuf ont du la sensibiliser à la cause de ces « braves gens », manipulés et manipulateurs.

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