Le ballet franco-russe

Ça baigne
(Photo AFP)

Toute la grande affaire d’une visite personnelle en France de Vladimir Poutine, à quelques jours du G7 d’où il a été exclu il y a cinq ans, constitue un exercice de la néo-diplomatie : on ne s’entend à peu près sur rien, mais on se parle.

C’EST BEL ET BIEN Emmanuel Macron qui a inventé cette forme de dialogue ; elle a certes l’avantage de ne pas rompre les ponts mais l’inconvénient de pratiquer une politique étrangère exclusivement française sans l’assentiment certain des Européens. On n’empêchera jamais le président de la République de s’aventurer dans les méandres d’une politique contradictoire qu’il pratique depuis son élection et qui lui a asséné plus de coups qu’elle ne lui a prodigué d’avantages. C’est, en quelque sorte, plus fort que lui : il faut qu’il aille au contact, et d’une manière qui le contraint aussi à dire la vérité, à savoir qu’il ne peut pas approuver les méthodes du régime russe mais, que Dieu nous en préserve, qu’elles ne doivent pas conduire au conflit. De sorte que voilà M. Poutine en train de clamer qu’il préfère son système autoritaire à la chienlit des gilets jaunes, tandis que le chef de l’État français lui répond que tous les exaspérés de la terre finissent par aller aux urnes. À entendre les deux hommes que tout sépare, y compris la culture, et même si M. Macron peut affirmer que la Russie est européenne jusqu’à Vladivostok, on pouvait lire la contrariété sur le visage bouffi de Poutine (il a beaucoup grossi) et deviner que son interlocuteur marchait sur l’eau.

Une détente.

Les experts nous assurent que les bénéfices de ce genre de sommet n’apparaissent que des mois ou des années plus tard ; j’invite donc les lecteurs à un peu de patience. Mais il est vrai que la forme finit par imprimer sur le fond et que nous avons eu, hier soir, l’impression que M. Macron avait détendu l’atmosphère. M. Poutine a pris des engagements, notamment de discuter du sort de l’Ukraine, qui a un nouveau président, même si on voit mal comment il renoncerait à dominer ce pays amputé par l’annexion russe de la Crimée. Le maître du Kremlin ne renoncera pas à ses violations du droit international ni à ses conquêtes. Il a surtout besoin d’une levée des sanctions commerciales contre son pays et pourquoi l’Union européenne y consentirait-elle tant qu’il n’a pas évacué ses milices du Donbass et ses troupes de Crimée ? D’ailleurs, le nœud du problème est davantage dans le caractère de Poutine que dans ses ambitions. Il ne reconnaît jamais ses échecs, de sorte qu’il laisse les situations se dégrader sans faire grand-chose. Comme Macron, il a sur les bras une réforme des retraites qui a vivement déplu aux Russes et il n’a pour partenaire que la Chine, un ami inquiétant.

Le temps de Poutine est compté.

Il ne s’oriente nullement vers une politique de détente. Il cherche à accroître sa force nucléaire pour mieux dicter ses conditions au reste du monde. L’espionnage russe est infiltré partout en Europe et aux États-Unis, avec la volonté, une fois de plus, d’influencer le résultat d’élections démocratiques, comme s’il n’avait pas été prouvé qu’en soutenant Donald Trump en 2016 il avait fait une très mauvaise affaire. Bien entendu, il encourage le Brexit, et tout ce qui affaiblit l’UE, même si les Anglais, depuis l’affaire Skripal, ex-espion russe que Moscou a tenté de faire assassiner, lui gardent un chien de leur chienne. Pour que Poutine devienne, dans les mois prochains, un interlocuteur valable, qui s’accommode des valeurs européennes, qui respecte les souverainetés nationales, qui cherche davantage à introduire la prospérité dans son pays plutôt que d’affirmer sa puissance brute, il faudra que beaucoup d’eau coule sous les ponts. Il faudra même que, au terme d’une présidence qui aura duré un quart de siècle, il finisse par s’en aller.

C’est donc Poutine, à prendre ou à laisser. Mais c’est aussi Macron, toujours à la recherche d’une approche différente de la diplomatie. Il a l’art d’aller dire aux grands de ce monde ce qu’ils sont vraiment sans exclure de négocier avec eux. Façon de ne pas se salir dans ce grand bourbier que sont les relations internationales.

RICHARD LISCIA

 

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6 réponses à Le ballet franco-russe

  1. Michel de Guibert dit :

    Parler de l’annexion russe de la Crimée relève du contresens historique.
    Il est vrai que Krouchtchev a donné la Crimée à l’Ukraine par un simple décret un soir de beuverie en 1954 du temps de l’URSS (donc « don » symbolique à l’époque), mais historiquement la Crimée est russe depuis au moins le XVIIIème siècle.
    Réponse
    Et voilà qui fait de Poutine un ange et des Européens des idiots.Toute cette crise avec Moscou depuis cinq ans à cause d’une beuverie de Nikita…
    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      Il ne s’agit pas d’angélisme, mais de fait les Européens (à l’exception notable de l’Espagne) qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo, historiquement serbe, sont assez mal venus de contester le retour de la Crimée dans la Russie, à laquelle elle a toujours appartenu.
      Réponse
      Je n’ai pas parlé d’angélisme mais du contraire. Poutine a engagé partout une politique de force, en Ukraine (est-elle libre ou est-elle le produit d’une démarche d’un ivrogne ?, de la Géorgie dépecée, de la Crimée. Que signifie l’expression « historiquement serbe » ? Cela veut-il dire que quand une nation puissante exerce sa force contre un petit pays, le fait accompli doit être accepté ?
      R. L.

      • Michel de Guibert dit :

        Ne mettons pas dans le même sac la question de l’Ukraine orientale ou de la Géorgie et la question de la Crimée, les situations sont différentes.
        Quant au Kosovo, je ne vois pas le rapport entre le fait que le Kosovo soit depuis toujours une province serbe, et même le berceau historique de la nation serbe, et votre remarque relative à « une nation puissante exerçant sa force contre un petit pays » ! De quelle nation puissante et de quel petit pays voulez-vous parler ? C’est en l’occurrence dans cette situation la Serbie qui a été dépecée…

        Réponse
        L’Ukraine orientale. J’adore l’expression, ça veut dire que l’Ukraine « occidentale » va très bien. De même que les Serbes n’ont jamais rien fait aux Bosniaques et aux Kosovars, qu’ils haïssent parce qu’ils ne sont pas chrétiens. Ce qui est arrivé à la Serbie résulte uniquement de sa volonté de domination sur les autres ethnies de Yougoslavie.
        R. L.

        • Michel de Guibert dit :

          Eh oui, il y a au moins deux Ukraines, l’Ukraine orientale russophone très liée historiquement à la Russie et l’Ukraine occidentale dont l’histoire est liée davantage historiquement à la Lithuanie et à la Pologne, voire à l’Empire austro-hongrois et à l’Allemagne.

          Ce que vous dites des Serbes et de la Serbie vaut peut-être pour les Serbes de Bosnie mais n’a pas grand chose à voir avec la situation au Kosovo, province qui a toujours été serbe mais dont la population s’est progressivement modifiée jusqu’à devenir majoritairement albanaise… mais là c’est au contraire l’épuration ethnique qui a ensuite quasiment vidé le Kosovo de sa population serbe.

          Réponse
          Dans votre raisonnement, tous les arguments jouent en faveur de la Serbie dont les pratiques génocidaires ont largement été établies et documentées, notamment le massacre de 7500 hommes de Bosnie par les forces serbes et le bombardement du marché de Sarajevo.
          R. L.

    • mathieu dit :

      Ce n’est sûrement pas la beuverie de Nikita…mais plus certainement la couardise du président américain en 2013 face au boucher de Bagdad qui a fait sortir le génie (du mal) de son amphore, le nouveau petit père des peuples M. Poutine, qui, se sentant pousser des ailes après cette pitoyable reculade, s’est, en quelques mois, installé comme chez lui en Syrie, Ukraine et Crimée…pour commencer, et pour n’en plus jamais partir.

  2. admin dit :

    LL dit :
    N’oublions pas non plus que Poutine est l’architecte des campagnes globales de destabilisation de la democratie à travers les reseaux sociaux, dont notre brave Facebook. C’est donc bien un ennemi, et sous la nouvelle bouffissure, il y a une volonté de pouvoir sans égale.

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