Le Brexit aux forceps

Un coup d’État ?
(Photo AFP)

Le nouveau Premier ministre britannique, Boris Johnson, a obtenu de la reine Elisabeth II l’autorisation de geler les débats à la chambre des Communes jusqu’au 17 octobre, soit quinze jours jours avant la rupture avec l’Union européenne. L’opposition et l’opinion britannique parlent de coup d’État et une pétition anti-Johnson a déjà recueilli un million deux cent mille signatures.

BORIS JOHNSON n’est pas seulement un homme politique turbulent qui se signale chaque jour par quelques excentricités. Succédant à Theresa May, qui a tenté en vain de réconcilier les factions pro et anti-Brexit, il s’est spécialisé, pour parvenir à ses fins, c’est-à-dire la sortie rapide du Royaume-Uni de l’UE, dans l’absence de scrupules. Cela ne veut pas dire que la reine se soit associée à une action illégitime du pouvoir. Si elle a consenti à la neutralisation du Parlement, c’est parce que les institutions britanniques le permettent. Il fallait néanmoins une audace coupable pour bâtir ce stratagème, alors que le débat public sur le Brexit montre qu’une forte partie des élus et de l’opinion est hostile à la fois au Brexit et aux méthodes de Boris Johnson.

Aveu de faiblesse.

En même temps, le choix de cette démarche pour le moins cavalière exprime la faiblesse de M. Johnson : il n’est pas sûr d’obtenir une majorité pour le Brexit et pour être certain d’appliquer la politique qu’il préconise, il veut mettre ses concitoyens devant le fait accompli, n’hésitant pas, de cette manière, à prendre avec le droit des libertés qui ont la très mauvaise odeur de l’autoritarisme dans l’une des démocraties les plus accomplies du monde. Le tollé soulevé par son initiative est peut-être inefficace pour le moment, mais quoi que le gouvernement décide, il faudra bien que les Communes votent ou non le Brexit avant le 31 octobre. L’affaire décrit avec précision à quoi les élus populistes s’exposent, en Grande-Bretagne comme ailleurs : quand ils rencontrent des difficultés, ils bafouent le droit. Ils parviennent au pouvoir par des moyens légitimes, mais ils auront vite fait de passer sur l’équilibre des forces le rouleau-compresseur de leur volonté.

Manœuvre grossière.

Je ne crois pas que M. Johnson parviendra à ses fins, parce que la manœuvre est particulièrement grossière. Personne ne souhaitait un nouveau référendum au Royaume-Uni car, même s’il s’était traduit par un refus du Brexit, il aurait été très vivement contesté par cette partie de l’opinion britannique qui exige la sortie de l’Union. On ne peut pas voter deux légitimités à la fois. En revanche, il était possible d’adopter l’accord conclu par Theresa May avec Bruxelles, de façon à laisser le Royaume-Uni dans l’union douanière et d’éviter une crise économique et financière. Les Britanniques se sont donc résolus à s’en tenir au Brexit, mais pas à celui de M. Johnson, qui n’est devenu chef du gouvernement qu’à la suite de la défection de Mme May, et n’a pas eu l’occasion, jusqu’à présent, la bénédiction du peuple.

Appétit de pouvoir.

Qu’est-ce qui va se passer ? Ce que M. Johnson redoute : de nouvelles élections. Le chef du gouvernement britannique ne saurait nous faire croire qu’il dispose d’une majorité, car le chaos qu’il a déclenché hier en se rendant chez la reine pour lui extorquer une mesure arbitraire, va se poursuivre, avec une agitation intense des élus, même s’ils ne sont pas réunis à la chambre des Communes, des millions de signatures au bas de la pétition anti-Brexit et la montée d’un vif ressentiment contre M. Johnson. Le diablotin à la tignasse jaune a commis une forfaiture que les Anglais ne peuvent pas admettre. Il a déclenché une crise politique pour faire oublier celle du Brexit. Il a eu tort et démontré surtout que son appétit de pouvoir, plutôt que l’amour de son pays,  explique toutes ses démarches. Ce n’est pas en faisant le clown sur les tréteaux du royaume qu’il imposera son point de vue et ses compatriotes vont vite lui rappeler que sa petite personne compte beaucoup moins que les intérêts bien compris de leur pays.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Le Brexit aux forceps

  1. Michel de Guibert dit :

    Excellent article.
    Boris Johnson ne dispose que d’une seule voix de majorité à la Chambre des Communes.
    Je pense que de nouvelles élections législatives sont inéluctables, et le plus tôt serait le mieux.

  2. Sphynge dit :

    Que devant le délai de l’application de la décision démocratique du Brexit, les dirigeants soient amenés à utiliser une mesure autoritaire mais parfaitement conforme aux institutions, n’est quand même pas anormal ? Cela dit, Johnson ou pas, le Brexit, s’il a finalement lieu, ne sera qu’une illusion démocratique : les « élites » veillent et lui ôteront ses principaux intérêts.
    Il y a gros à parier que la suite prouve cette assertion…

  3. PICOT dit :

    Brutal, peut être, mais approuvé par la Reine qui ne se risquerait sans doute pas à faire quelque chose d’illégal. Et cela permet de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui ne veulent pas du Brexit, malgré le résultat du référendum qu’il faudra respecter tôt ou tard. Quant à en faire un nouveau ce serait avouer que le premier compte pour du beurre, et le risque est de voir les partisans du Brexit encore plus nombreux. Mais bon, wait and see.

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