La violence écrase le dialogue

Un samedi ordinaire
(Photo AFP)

On a pu assister, samedi dernier à Paris, à un phénomène récurrent mais auquel nous nous habituons dangereusement : une manifestation contre le réchauffement climatique gravement perturbée par une bande de casseurs. Greenpeace, indigné, a souhaité l’arrêt de la manifestation. Le question est maintenant la suivante : est-il possible désormais en France de manifester pacifiquement ?

LA QUESTION est capitale parce que le droit à manifester est inscrit dans la Constitution, alors que les actes de violence sont répréhensibles et font l’objet de poursuites. Si la multiplication des événements populaires cherchant à protéger la planète d’une dérive suicidaire montre l’ampleur du danger qui nous guette, l’usage qu’en font les black blocs vide de leur signification les efforts des partisans de la lutte contre l’effet de serre. Certes, il n’y a pas qu’en France que le pouvoir démocratique est contesté. La violence est devenue la drogue des casseurs qui ne se satisfont ni de la lenteur des réponses publiques à leurs appels, ni des règles qui régissent la pratique des libertés individuelles. De ce point de vue, nous avons eu, en France, un tableau exemplaire de ce qui devient la norme : une manifestation n’est que l’amorce d’une action révolutionnaire, il ne s’agit plus seulement d’exprimer colère ou indignation, il s’agit de pulvériser les institutions en créant dans le pays des tensions propres à alimenter le cycle violence-répression.

Le rapport moral est inversé.

Bien que les faits qui valent aux black blocs interpellations, garde à vue et mises en examen soient scandaleux, les casseurs et les gilets jaunes dits « ultra » ne se soucient pas des conséquences de leurs actes. Leurs techniques d’infiltration des manifestations les plus pacifiques les rendent presque invulnérables et jettent une ombre sur la sincérité du mouvement qu’ils accaparent pour transformer une simple protestation en chaos absolu. De sorte que, la violence appelant la violence, ils se réjouissent de ce que le gouvernement soit interpellé parfois sur ses méthodes répressives. Elles rassurent ceux qui ne veulent rien savoir de ces mini-révolutions lancées pour préparer le grand soir, mais qui indignent ceux pour qui la démocratie parlementaire est incapable d’entendre les cris de détresse lancés par les plus démunis. Du coup, le rapport moral est inversé : le pouvoir, dont le rôle principal consiste à faire régner l’ordre, est blâmé parce qu’il ne serait que la roue de secours d’un système de toute façon bancal et corrompu.

Pourquoi ils ne votent pas.

C’est sans doute ce qu’a pensé un juge qui, la semaine dernière, a relaxé des « décrocheurs », individus qui entrent dans les mairies, décrochent le portrait du président en exercice pour le brûler ou le déchirer au cours d’une manifestation. On ne dira pas assez combien cet exercice est enfantin et stérile. Mais bon, la mairie étant l’avant-poste de la République, le régime ne peut pas accepter que son premier représentant soit humilié de la sorte. On s’attendait à une sentence sévère, on a obtenu une relaxe. Excellente façon de donner à la violence un droit de cité. Mais quand les casseurs, ou les décrocheurs, déclarent qu’ils n’ont pas le choix et qu’il ne leur reste plus que la guérilla pour saper les fondements de cette société honnie, ils oublient qu’il leur suffit de voter pour peser sur l’évolution du pays. S’ils ne le font pas, c’est parce qu’ils sont terriblement minoritaires et qu’ils compensent le manque de voix par des saccages spectaculaires, espérant, non sans naïveté, qu’écœurés par les émeutes et l’instabilité, le bon peuple finira par exiger du gouvernement qu’il fasse ce que lui dictent des délinquants.

Le plus grave, c’est que nombre de médias, intoxiqués par le chaos, s’en prennent au pouvoir, façon d’exonérer les black blocs, sous le prétexte qu’il est le responsable d’une politique créant un tel mécontentement. Ce sont les mêmes qui, par ailleurs, n’ont cessé de dénoncer l’immobilisme français, la sclérose d’une République vieillissante et frileuse et ont exigé des réformes de fond. Des réformes, oui, mais pas celles de M. Macron. Et de rejoindre l’analyse qui oppose les rares « riches » aux « pauvres » si nombreux. Les black blocs ne sont pas les défenseurs des pauvres. Ils sont l’instrument, mais autonome, de ces mouvements, également minoritaires, qui souhaitent un changement de République et de régime et sont prêts, par ailleurs, à jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est-à-dire à sacrifier ce qu’il y a de bon, de durable et de satisfaisant en France pour atteindre le nirvana révolutionnaire, celui-là même qui a valu d’affreux déboires à d’autres pays.

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3 réponses à La violence écrase le dialogue

  1. PICOT dit :

    Les black blocks sont très peu dérangés par la police, si on en croit différentes videos et c’est parfaitement anormal. Voter? Nous en avons de moins en moins envie au vu du choix final qui nous est fait, du moins pour les présidentielles. Ce n’est pas un hasard si le vote blanc n’est pas reconnu, cela permet de masquer la réalité des résultats. Tout a été fait, et tout sera fait à nouveau pour que Macron se retrouve devant Marine Le Pen la prochaine fois, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Mitterrand était un renard de très haut niveau, il faut le reconnaître. S’il y a un gêneur dans ce duel on lui trouvera une ou deux casseroles, n’ayons aucun souci; comme si Macron et Le Pen n’en avaient pas, elle est bien bonne. Dans ces conditions un vote n’a plus rien de démocratique, sans même parler de ce qui s’est passé en 2005. Voilà pourquoi les Français s’abstiennent, ils ont compris le piège.
    Réponse
    Contrairement à ce que vous dites,tout vote modifie le résultat. La seule vérité, c’est que deux partis seulement, à l’heure qu’il est peuvent revendiquer cette majorité. Il ne s’agit pas de l’un de ces complots que vous ne cessez d’invoquer mais de la volonté des électeurs.
    R.L.

  2. Arichd dit :

    Analyse une fois de plus extrêmement interessante

  3. Laurent Liscia dit :

    Bravo! L’érosion des valeurs démocratiques, partout dans le monde repose sur l’incompréhension d’un concept simple : le bien public ; la chose publique ; la République. Manifester est un droit. Manifester violemment revient à incendier sa propre maison.

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