Chirac versus Macron

Chirac il y a cinq ans
(Photo S. Toubon)

Un deuil national sera observé lundi à la mémoire de Jacques Chirac. Emmanuel Macron a rendu hommage hier soir à l’ancien président de la République dans un discours bref mais fort qu’il a prononcé à la télévision. Peut-on parler d’une filiation entre le président décédé et le chef de l’État en exercice ? Homme politique caméléon, M. Macron a des ressemblances avec tous ses prédécesseurs.

CE QUI RAPPROCHE les deux hommes, c’est le projet de réforme. Celle de Chirac avait été présentée pendant sa campagne pour la présidentielle de 1995 comme une thérapie de la « fracture sociale ». Une fois élu, Jacques Chirac s’est engagé plutôt, avec Alain Juppé, son Premier ministre d’alors, dans une réforme d’inspiration néo-libérale. Le projet de M. Juppé, applaudi lors d’une standing ovation à l’Assemblée nationale, s’est fracassé sur les régimes de retraite dits « spéciaux » qui ont déclenché une grève mémorable des transports. Le plan de M. Macron voulait briser les résistances syndicales, il commence à être amendé et retardé pour éviter une explosion sociale. Le président actuel s’est souvenu des épreuves subies par Chirac, pour lequel il n’a jamais caché sa sympathie ni même son admiration.

Chirac aimait les gens.

Si Jacques Chirac a laissé un si bon souvenir aux Français, c’est parce qu’il les aimait et le leur faisait savoir. Il avait une sensibilité extrême pour les gens au travail ou sans travail, pour tous les déshérités et il n’hésitait pas à passer avec eux beaucoup de temps et à trouver les mots que M. Macron a tant de mal à prononcer. On peut dire que le sort des Français les plus démunis l’obsédait nuit et jour. Il allait à leur rencontre, il se mettait à leur niveau. Il savait ce qu’il en coûterait de changer les structures sociales de manière à donner chaque jour une chance à chaque chômeur, à chaque famille incapable de boucler ses fins de mois. Une telle empathie était admirable mais ne suffisait guère à régler le problème. Macron, pour sa part, ne voulait pas perdre de temps à exposer la consternation que lui inspirent les inégalités sociales. Il a cru qu’il pouvait dépasser le stade de l’émotion pour engager aussi vite que possible les changements, les bouleversements plutôt, qui devaient restructurer la société française. Il a changé d’avis. Il a besoin de temps.

Cinq ans de cohabitation.

Après sa défaite face à la rue (deux millions de manifestants et les transports paralysés), à la fin de 1995, Chirac renonça à une partie des réformes de Juppé et gouverna dans l’inquiétude pendant encore deux ans. En 1997, les perspectives économiques étaient particulièrement maussades, il n’y aurait pas de croissance, affirmaient les experts, et les grèves risquaient de reprendre. Juppé était le messager qui apportait à l’Élysée les mauvaises nouvelles. On ne sait pas qui a cru alors que le remède résidait dans une dissolution de l’Assemblée nationale. Quand on y pense aujourd’hui, on se demande comment Jacques Chirac a pu imaginer qu’il allait retrouver une majorité. On se demande aussi pourquoi les prévisions économiques étaient si pessimistes, alors que les élections anticipées en 1997 ont coïncidé avec le retour de la croissance. Entre les deux tours des législatives, Alain Juppé démissionna,  Chirac proposa Philippe Seguin comme recours. Rien n’y fit : de même que François Mitterrand avait cohabité avec la droite, Chirac dut travailler pendant cinq ans avec un gouvernement socialiste dirigé par Lionel Jospin, qui n’a pas gardé de cette promiscuité institutionnelle un bon souvenir.

Le triomphe de Le Pen.

C’est Jospin qui tira le meilleur avantage de la croissance, au point que Chirac lui reprocha de garder dans les coffres de l’État une « cagnotte » dont il exigea la redistribution aux Français. La cagnotte n’était en réalité qu’un mythe. Rapportée à la dette nationale, elle aurait pu être utilisée pour rembourser quelques emprunts. Elle permit au contraire de diminuer le taux de chômage. La France allait mieux et, à l’élection présidentielle de 2002, Jospin, bien placé dans les sondages, fut éliminé dès le premier tour à cause de la présence en lice d’un chef politique très encombrant : Jean-Marie Le Pen. Ce qui contraignit la gauche à lancer un appel à voter Chirac au second tour et donc à lui donner un destin historique. Aujourd’hui, on reproche à Macron de compter sur la présence de l’extrême droite pour être réélu. Comme s’il avait machiavéliquement organisé le rapport de forces. Mais cela fait dix-sept ans que l’extrême droite est aux marches du pouvoir.

RICHARD LISCIA

PS-Je publierai lundi dans le Quotidien du médecin un autre article sur la disparition de Jacques Chirac.

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Une réponse à Chirac versus Macron

  1. vultaggio-Lucas dit :

    C’est la fin de semaine et en deçà de la mort d’un homme qui plus est M. Chirac… C’est Macron qui a « croqué la pomme » et c’est encore Macron qui ne réduit pas « la fracture sociale », deux slogans chiraquiens.

    Réponse
    Pomme et fracture : ce que j’appellerai une profonde vision politique.
    R.L.

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