Brexit fantôme

Boris Johnson
(Photo AFP)

La Chambre des communes décidera demain si le nouvel accord conclu entre l’Union européenne et le Royaume-Uni lui convient. Décidé à quitter l’UE au plus tard le 31 octobre, le Premier ministre, Boris Johnson, risque de ne pas avoir de majorité. Dans ce cas, il est probable que la Grande-Bretagne quittera l’Union et procèdera à des élections générales.

LE PEUPLE britannique, sinon ses élus, éprouve une fatigue intense : il y a trois ans qu’il a voté pour le Brexit, trois ans qu’il attend une sortie ordonnée de l’UE. Il est las, harassé par la propagande des pour et des contre, et comme la solution présentée par Boris Johnson ne convient pas à tout le monde, son avenir est de plus en plus incertain. La personnalité autoritaire, bizarre et parfois incohérente de M. Johnson ne favorise pas un débat raisonnable. En fait, et sans essayer de dénigrer un peuple qui a inventé une civilisation et la première langue du monde, les Anglais voudraient quitter l’Union tout en y restant, avoir les avantages de la liberté sans les inconvénients de l’isolement, se forcer les uns les autres à accepter des compromis sans pour autant qu’un seul renonce à ses propres arguments, et trouver, dans ce brouet innommable de pulsions, de passions, de mots, de surenchères, de mauvaise foi et d’illusions, la paix qu’ils ont perdue depuis trois ans. Ils ne méritent pas d’être jugés : en y réfléchissant un peu, on constatera que chaque nation a ses crises, ses injustices, et ses contradictions, que chaque nation cède à la violence sous une forme ou une autre (et celle du débat aussi fait peur), que chaque nation a des raisons d’être fière et honteuse à la fois.

Des dirigeants bien imprudents.

Mais une chose est sûre : les dirigeants britanniques et donc, en 2016, le Premier ministre David Cameron, ont été bien imprudents. Le procès qu’on ne peut pas faire aux Britanniques, on peut le faire à ses dirigeants. Et peut-être à ses institutions : que la reine Elizabeth ait été contrainte de prononcer le discours de Boris Johnson, dans lequel le Brexit au 31 octobre a été présenté comme inéluctable, nous a tous laissés médusés. Que la Constitution (non écrite) du royaume oblige la souveraine à se mouler dans une idéologie aussi contestable sans que personne ne sache vraiment ce qu’elle pense, a quelque chose de scandaleux. Si elle est hostile au Brexit, et comment ne le serait-elle pas en voyant cette nation se fissurer sous ses yeux au moment où, par la force des choses, elle arrive au terme de son (long) règne ? Elle doit être littéralement torturée. À situation exceptionnelle, riposte exceptionnelle : Elizabeth n’aurait-elle pas dû refuser de lire le texte de M. Johnson, n’aurait-elle pas pu dire au Parlement : je vais vous dire ce que j’en pense ? Si la démocratie britannique est en danger, je ne vois qui est mieux placé que la reine pour le dire haut et fort.

Terrain miné.

De même que l’idée de Cameron, un référendum qui l’eût débarrassé une fois pour toutes des ultra-conservateurs réclamant le Brexit à cor et à cri, était profondément erronée, de même l’idée de Johnson de faire du résultat de la consultation de 2016 le tremplin qui le projetterait au sommet de l’État, sans qu’il se souciât réellement de l’intérêt bien compris de ses concitoyens, a asséné  un coup violent à la raison, à la dignité du peuple, à son unité. On ne commet pas ce genre d’erreur sans en payer le prix un jour, même si M. Cameron vit des jours tranquilles loin de la politique et même s’il estime, encore aujourd’hui, n’avoir fait que son devoir.

La Commission européenne a accepté en fait que le royaume quitte l’union douanière et diffère les problèmes posés par le Brexit à l’Irlande du nord et à l’Écosse. Cela s’appelle miner le terrain et convier les autres à venir s’y promener le lendemain. Il n’est même pas utile de dire que le document contenant les dispositions de l’accord compte 800 pages qui ne sont pas faciles à lire. Ce n’est plus le problème. On voit bien, on sait déjà que la moitié des Britanniques criera victoire pendant que l’autre moitié hurlera de rage. Je ne crois pas que, dans ce contexte de division inédit, des élections anticipées règleront le problème. Je crois que nos amis d’outre-Manche n’en ont pas fini avec les contrariétés et nous non plus.

RICHARD LISCIA

 

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2 réponses à Brexit fantôme

  1. Michel de Guibert dit :

    « La Grande-Bretagne est une île entourée d’eau de tous côtés » (André Siegfried)

    « L’Angleterre est une ancienne colonie française qui a mal tourbé » (Georges Clémenceau)

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