Démonstration de force

Gérard Larcher
(Photo AFP)

Cette journée du mardi 17 décembre est-elle le début ou la continuation d’un mouvement irrésistible, ou encore un simple baroud d’honneur? L’expérience montre que l’hystérisation d’une crise sociale n’est pas forcément durable.

EN SOMME, les syndicats ont organisé cette journée pour signifier leur colère. Mais plusieurs déclarations de part d’autre pourraient laisser entendre que l’exécutif est prêt à faire des concessions tandis que les syndicats savent que le sommet de leur intransigeance recouvre leur préparation à la négociation. C’est d’autant plus vrai qu’ils sont unanimes à regretter le départ de Jean-Paul Delevoye, qu’ils continuent à considérer comme le meilleur négociateur de l’État, le plus sincère, le plus compréhensif et le plus loyal. Le gouvernement ne peut leur donner maintenant que ce qu’il a : un Premier ministre ferme sur les grandes lignes de la réforme mais toujours respectueux et courtois ; une ministre des Affaires sociales caractérisée par les rondeurs de son discours, jamais agressive, jamais droite dans les bottes qu’elle ne porte pas.

La crise au prix fort.

Demain, au plus tard, on saura si les syndicats permettront aux familles de se réunir pour les fêtes de Noël. Il ne s’agit pas d’un point mineur mais d’un test de popularité du mouvement. L’opinion, si les plus durs l’emportent, risque de basculer en faveur du gouvernement et d’assurer ainsi la victoire de la réforme. Ils pourraient, certes,  demander à cette occasion, un geste qui, même s’ils ne vont pas jusqu’à exiger le retrait pur et simple de la réforme, rebuterait nos dirigeants. Tout le monde, grévistes, non-grévistes, élus ont payé cette crise au prix fort, et ce n’est malheureusement pas fini. La colère est mauvaise conseillère et, si elle dure jusqu’à empêcher toute réflexion, elle fera des ravages. Wait and see. Les marcheurs défendent le projet tel que le gouvernement l’a présenté, tandis que le Rassemblement national suggère un référendum, qu’il considère  comme le meilleur instrument de gouvernement. On ne voit pas comment un système aussi complexe que celui-ci pourrait faire l’objet d’une question à laquelle il faudra répondre par oui ou par non, ni comment, dans une atmosphère de guerre civile, on trouverait assez de sérénité pour exprimer autre chose qu’un ras-le-bol général. L’idée est donc ficelée uniquement pour confondre le pouvoir.

Les mots et les actes.

Pendant ce temps, le Sénat, enfermé dans sa coquille, refuse de changer de système de retraite. Les sénateurs partent avec une pension d’un montant élevé, même s’ils n’ont fait qu’un mandat, comme naguère les députés, lesquels ont fini par consentir à rentrer dans le rang. Peut-on rappeler aux élus de la chambre haute, qui ont amassé une cagnotte de six cent millions d’euros, et qui militent souvent, par ailleurs, pour la fin des régimes spéciaux, ce qu’il leur coûterait en popularité collective, en tant qu’institution, s’ils s’enferraient dans une conception parfaitement matérialiste de leur statut ? Dans cette affaire, on mesure la distance entre les mots et les actes, ceux-ci n’étant pas conformes à ceux-là. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a des ambitions, comme tous ceux qui, étant aux marches du pouvoir, s’y voient déjà. Je regrette d’avoir à le dire, mais si la macronie a traîné assez vite son cortège de casseroles, j’en vois d’autres, dans l’opposition, qui tirent avantage de la détestation  maladive qu’inspire le pouvoir, souvent grâce à leur perverse contribution, pour faire oublier combien eux-mêmes sont des nantis, ce que, jusqu’à preuve du contraire, ne sont pas Emmanuel Macron ni Édouard Philippe.

Le goût des privilèges.

Ce genre d’injustice est le pur produit d’un débat national faussé par les mensonges qu’on lit sur les panneaux des manifestants ou sur les réseaux sociaux. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. Quel est l’argument de M. Larcher pour préserver le système des pensions des sénateurs, actuels ou anciens, sinon qu’un montant confortable est toujours préférable à un maigre pécule ? Comment justifier que des élus, élevés à leurs fonctions non pas par le peuple mais par d’autres élus, peuvent-ils avoir le front, dans cette tempête, de refuser la réforme parce qu’eux-mêmes en pâtiraient, alors que leurs collègues de l’Assemblée, sous l’impulsion des marcheurs, ont déjà, depuis au moins deux ans, rejeté ce privilège ?

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Démonstration de force

  1. Michel de Guibert dit :

    « Le plus sincère, le plus compréhensif et le plus loyal » Jean-Paul Delevoye, l’homme qui a déclaré irrecevable et jeté à la corbeille la pétition de 700 000 signatures lors des débats sur le mariage pour tous lorsqu’il présidait le Conseil économique, social et environnemental ?

    Réponse
    Pur amalgame. 700 000 signatures n’expriment pas la volonté de tous.
    R.L.

    • Michel de Guibert dit :

      Qui vous a dit que c’était la volonté de tous ? Pour autant pourquoi cela a été jeté sans examen au panier comme négligeable ou sans intérêt ?
      Le mépris de ceux qui ne pensent pas comme lui ne dénote pas un grand sens du dialogue chez « le meilleur négociateur de l’État ».
      Réponse
      J’aurais dû dire la volonté du plus grand nombre. Le sens du dialogue va avec la stricte application du suffrage universel.
      R.L.

      • Michel de Guibert dit :

        La loi constitutionnelle de juillet 2008 et la loi organique de juin 2010 ont ouvert la possibilité pour les citoyen.ne.s de saisir le CESE par voie de pétition de toute question à caractère économique, social et environnemental.

        Constitution française – Article 69 alinéa 3 : « Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition dans les conditions fixées par une loi organique. Après examen de la pétition, il fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner. »

        Loi organique du 29 juin 2010 – Article 4-1 :
        « Art. 4-1. – Le Conseil économique, social et environnemental peut être saisi par voie de pétition de toute question à caractère économique, social ou environnemental.
        « La pétition est rédigée en français et établie par écrit. Elle est présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant régulièrement en France. Elle indique le nom, le prénom et l’adresse de chaque pétitionnaire et est signée par lui.
        « La pétition est adressée par un mandataire unique au président du Conseil économique, social et environnemental. Le bureau statue sur sa recevabilité au regard des conditions fixées au présent article et informe le mandataire de sa décision. Dans un délai d’un an à compter de cette décision, le Conseil se prononce par un avis en assemblée plénière sur les questions soulevées par les pétitions recevables et sur les suites qu’il propose d’y donner.
        « L’avis est adressé au Premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et au mandataire de la pétition. Il est publié au Journal officiel. »

        La pétition demandant l’avis du CESE sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe a atteint le seuil des 500 000 signatures et n’a pourtant pas été déclarée recevable par le Bureau du CESE (alors présidé par M. Delevoye).
        Le Bureau du CESE (présidé par M. Delevoye) a décidé de s’auto-saisir sur les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques sans recevoir les pétitionnaires !

        Cette modalité de saisine permet de prendre en compte une parole citoyenne construite en dehors de toute institution ou organisation. Cela n’a pas de rapport avec le suffrage universel.

        Réponse
        D’accord, à ceci près que 700 000 personnes, comparées aux dizaines de millions d’électeurs, ne font pas le poids et le gouvernement qui a lancé et fait voter cette réforme avait la majorité. Mais, comme vous le voyez, M. Delevoye n’a rien perdu pour attendre.
        R. L.

Répondre à Michel de Guibert Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.