Ghosn, bête de scène

Ghosn en action
(Photo AFP)

Les explications fournies hier par Carlos Ghosn sur ses démêlés avec la justice japonaise auront convaincu ou non. Il reste un contentieux qu’il ne peut pas effacer par les mots.

L’EFFORT prodigieux qu’il a accompli hier pour se justifier ne permettra pas à l’ancien P-DG de Renault de se disculper. Pour au moins deux raisons : son évasion du Japon est une soustraction à la justice, ce qui est punissable en soi ; et, dans sa diatribe contre les procureurs japonais, le principal reproche qu’il leur fait est de ne pas avoir épargné l’homme qu’il est, c’est-à-dire un héros de l’industrie automobile. Bien que M. Ghosn ait beaucoup vécu à Tokyo, on devine le fossé culturel qui sépare son narcissisme d’un rigorisme judiciaire peu enclin à établir des différences entre les accusés, ce qui, après tout, n’est qu’une forme de démocratie. La méthode qui consiste à ne cesser de harceler le suspect que lorsqu’il a avoué est certes dangereuse quand il s’agit d’un innocent. Elle l’est moins dans un énorme dossier au sein duquel ce qui a été souvent un laxisme accordant quelques belles largesses se  transforme en abus social.

Rien ne vaut un procès.

Le parcours de M. Ghosn ressemble au parcours d’un incendie qui laisse beaucoup de victimes dans son sillage. Tous les moyens ont été mis en œuvre par la Turquie pour arrêter et demander des comptes à ceux qui l’auraient aidé dans sa fuite ; il a semblé aussi se réjouir du vif recul du chiffres d’affaires de Renault et de Nissan, bien sûr pour démontrer que, sans lui, les deux sociétés ne marchent pas, sans qu’il eût pour les salariés français et japonais le moindre de mot de compassion. Il se défend avec un courage impressionnant et une avalanche d’arguments qui méritent d’être examinés, mais il le fait sur la place publique en ignorant l’embarras terrible de ses avocats, le malaise profond chez Renault et Nissan, la perplexité ou mieux le scepticisme des journalistes. Rien ne vaut un procès en bonne et due forme qui situe l’exact degré d’innocence ou de culpabilité de la personne traînée en justice.

Des sommes faramineuses.

De même, quand il mentionne les sommes que lui doivent les conseils d’administration des compagnies qui ont signé avec lui ses contrats de carrière, on reste médusé. Ils avaient peut-être le droit de le faire, mais les montants, notamment celui de sa retraite-chapeau, sont insensés. On parle de 76 millions d’euros, et puis encore, de 765 000 euros par an, et s’il ne s’agit pas d’un détournement de fonds caractérisé, il s’agit de l’attribution, à un seul individu, d’une montagne d’or que son seul talent de gestionnaire ne suffit pas à expliquer. On ne doutait pas qu’il portât sa flamboyance comme un drapeau dans sa marche vers la gloire, mais Ghosn ne semble avoir jamais compris que son attitude par rapport à l’argent a quelque chose de profondément choquant. De sorte que sa mésaventure japonaise lui vaudra non seulement au Japon, mais en France et ailleurs, une impopularité durable.

Il n’est même pas tiré d’affaire : les Libanais l’adorent ou le détestent et la justice libanaise l’a convoqué aujourd’hui pour qu’il s’explique sur la « notice rouge » diffusée dans le monde par Interpol. Il ne risque pas d’être extradé. Mais entre les dépenses, forcément élevées, pour sa fuite, le coût pharaonique de sa défense, l’illégitimité probable de ses diverses acquisitions immobilières et industrielles forment un dossier extraordinairement épais et ouvrant la voie à diverses poursuites. Sic transit gloria mundi. Carlos Ghosn se bat avec vigueur, mais pour lui-même, conformément à un état d’esprit directement tiré de ses immenses succès, au moment précis où il est contesté et n’apparaît plus comme le chevalier d’industrie irrésistible qui soumettait ses pairs à sa volonté.

RICHARD LISCIA

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9 réponses à Ghosn, bête de scène

  1. Dr.Gerard Vidal dit :

    Étonnant votre jugement moral alors qu’il s’agit de contrats signés en bonne connaissance de tous les partis. D’autres part, il y a tellement de flous dans l’attitude des Japonais que les arguments de M.Ghosn semblent aussi recevables que ceux des Japonais. Comment expliquer par exemple que l’on ne découvre que maintenant que l’arrestation dans l’avion de M.Ghosn n’était qu’une mise en scène à but médiatique alors qu’en réalité il a été arrêté dans l’aéroport lors de la vérification de son passeport ?

    Réponse
    Vos arguments étaient suffisamment mentionnés dans ma chronique, ce qui n’empêche rien, ni la retraite chapeau de M. Ghosn ni les différentes affaires personnelles qu’il a lancées avec l’argent de Nissan. C’est un délit très clair qui s’appelle abus de bien social, dont ne je risque pas de faire l’apologie.
    R.L.

  2. vultaggio-lucas dit :

    Je suis d’accord avec ce que vous écrivez sur le comportement, la posture et la psychologie de cet homme. Son narcissisme aurait mérité un adjectif qualificatif car il n’est pas « ordinaire » et sa « réussite » si elle peut justifier une certaine fierté, ne justifie pas cet orgueil démesuré. A part sa fuite du Japon, il n’est pas le seul à avoir un tel égocentrisme. Les Balkany, par exemple n’ont pas fui Levallois…ni Saint Martin ou Marrakech, mais bon au bout de trente années d’impunité!

  3. D.S. dit :

    Cette posture me rappelle celle de certains confrères sur le forum du QDM. Ils ont tellement de valeur et ils rendent de tels services à leurs patients qu’ils ne comprennent pas pourquoi leurs actes sont si mal rémunérés par la sécurité sociale. Occultant la solvabilité forcément limitée de cette dernière, ils réclament le double ou le triple de la valeur actuelle des actes. Et si par miracle, on leur donnait satisfaction, la revendication resterait évidemment la même. Un autre parallèle peut aussi être fait avec les revendications actuelles sur les retraites.

    • Liberty8 dit :

      Non, vous n’avez pas compris grand chose, les médecins demandent une augmentation de rémunération à la moyenne européenne surtout pour éviter la fuite des nouveaux confrères vers des professions salariées qui vont laisser la France dans un désert libéral et une réorientation des patients vers une médecine à « l’anglaise ».
      Je suis hors sujet mais je ne peux laisser passer cela.

  4. Majster Henri dit :

    M. Ghosn a fui un système judiciaire digne de l’Inquisition. Il a démontré qu’il n’a enfreint
    aucune loi, ce qu’il n’aurait pas pu faire au Japon. Vous êtes toujours dans votre posture
    de bien-pensance si confortable.

    Réponse
    Contrairement à ce que vous dites, la posture de bien-pensance, de nos jours, n’est pas du tout confortable. Donner votre position ne vous autorise nullement à émettre une critique ad hominem, surtout si elle est totalement infondée. En outre, et c’est là l’essentiel, votre réaction consiste à dire que M. Ghosn n’a enfreint aucune loi. Il était présumé innocent, le voilà qui s’est rendu coupable en fuyant un pays doté d’une justice appuyée sur des lois et une constitution. En outre, les plaidoiries personnelles, même si elles durent trois heures, ne remplacent pas le débat contradictoire entre avocats et juges.
    R. L.

  5. JMB dit :

    L’historien Pierre-François Souryi, spécialiste du Japon, et auteur d’un livre intitulé « Moderne sans être occidental », soulignait avec quelques exemples, en prélude à une émission consacrée à l’ Ère Meiji la condescendance persistante occidentale à l’égard des autres cultures, en l’occurence japonaise.
    Dans cet esprit, la justice japonaise ne peut être sereine, c’est dans l’ordre des choses, elle ne peut atteindre le niveau d’excellence des justices occidentales. Forcément.

  6. Patrice Martin dit :

    Vous avez sans doute juridiquement raison quand vous écrivez qu’il s’est rendu coupable en prenant la fuite, mais que faire d’autre dans un pays où on met en prison pendant 130 jours un homme qui n’a ni tué ni violé qui que ce soit ? Où il faut attendre deux ans en résidence surveillée l’ouverture du premier de deux procès ? Où le taux de condamnations des prévenus atteint 99.4 %, digne de l’Inquisition, des procès staliniens ou des tribunaux révolutionnaires pendant la Terreur ? Certes il ne risquait ni le goulag ni la guillotine mais quand même !
    Sur le fond, je ne dispose ni des compétences juridiques ni d’une connaissance suffisante du dossier pour me hasarder à porter un jugement et peut-être aurez-vous raison aussi sur l’abus de bien social. Ma vilaine tendance complotiste m’inciterait à penser que M. Ghosn a surtout été victime d’une manœuvre du gouvernement japonais, de la magistrature japonaise et des cadres de Nissan, visant à conserver au Japon le contrôle d’une entreprise qui était en train de lui échapper. A défaut d’un procès, il appartient désormais au procureur japonais de prouver le bien-fondé de l’inculpation en publiant les pièces de dossier pouvant la justifier. Dans le cas contraire il se ridiculiserait et apporterait de l’eau au moulin de Carlos Ghosn.
    15 millions d’€ de salaire annuel chez Renault, et tout le reste, c’est indécent mais c’est le prix à payer pour que le déficit annuel de l’entreprise, 2 milliards d’€, se transforme 2 ans plus tard en excédent du même montant. Pareil chez Nissan dont la trésorerie est passée de 0 dollar à 20 milliards de dollars 5 ans plus tard. Et c’est le prix du marché : General Motors avait proposé 20 millions de dollars. Combien de milliers ou de dizaine de milliers d’employés des deux entreprises ont-ils échappé au licenciement et au chômage grâce au talent de leur patron ? Qu’ils ne l’aient ni remercié ni soutenu est tout aussi indécent.
    Quand il s’agit de choisir un dirigeant pour une entreprise ou une nation, ma préférence ira toujours à celui qui est compétent, même s’il est cupide et peut-être corrompu, plutôt qu’à l’incapable même s’il est désintéressé et vertueux. Mais je suis un vieux Français très atypique…
    PS : surtout ne vous y trompez pas, il m’arrive assez souvent d’être d’accord avec vous, et je vous lis toujours avec beaucoup de plaisir. Continuez, M. Liscia.

    Réponse
    M. Ghosn ne peut pas se débarrasser d’une affaire à plusieurs entrées en faisant un discours à la cantonade. J’ai été parmi les premiers à dénoncer les méthodes de la justice japonaise. Je ne crois pas me tromper aujourd’hui en voyant dans son arrogance sa volonté d’échapper à la justice, qu’elle soit japonaise ou non.
    R. L.

    • BJM dit :

      Pierre Rosanvallon, interrogé sur ce sujet récemment (sur Arte), rappelait qu’il y a une forme d’hubris de Carlos Ghosn à s’attribuer seul le mérite du redressement de Renault et Nissan. Il est le fruit d’un travail d’équipe. Ce sont des ingénieurs compétents qui ont concrètement élaboré les modèles, des agents de maîtrise et des ouvriers qui les ont réalisés. Ils ont permis que des idées ne restent pas une utopie.
      (Les employés de ces entreprises devraient allumer un cierge et se mettre à genoux devant une image de Saint Carlos ?)

      • vultaggio-lucas dit :

        Hubris, vous avez dit hubris, ces six lettres, ce mot résume tout à fait le personnage/l’individu. Mais je ne savais pas qu’il avait également un passeport de philosophe grec antique…

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