La boue électorale

Benjamin Griveaux
(Photo AFP)

Benjamin Griveaux, candidat de la République en marche à la mairie de Paris, victime d’une vidéo qui montrerait un aspect négatif de sa vie privée, a démissionné ce matin. La REM reste dans la bataille des municipales à Paris, mais elle va devoir se trouver un chef.

LA CLASSE politique a réagi avec élégance (mais aussi avec des larmes de crocodile) à ce nouvel épisode scandaleux des élections municipales. Nous avons assisté à un concert des indignés de tous les partis qui figurent dans la compétition, y compris les pires adversaires de la REM. Cette réaction unanime cherche à combattre le poison mortel introduit par les réseaux sociaux dans le processus électoral : la crainte des candidats ne vient plus d’un rapport de forces entre la popularité des uns et des autres, mais de l’épée de Damoclès ainsi suspendue au-dessus de leurs têtes par les « révélations », vraies ou fausses, d’internautes malfaisants. Je ne peux donc qu’accompagner les déclarations, toutes hostiles à cette intrusion des réseaux sociaux dans la campagne : c’est un choc personnel pour M. Griveaux et sa famille. C’est une honte que le système démocratique soit ébranlé de la sorte par des moyens pernicieux. La perversité des voyous qui ont lancé l’attaque contre l’ancien candidat relève de l’ignominie. Il ne s’agit plus d’élections locales et de leur importance relative dans la vie politique nationale, il s’agit d’un acte qui corrompt, longuement et profondément, une démocratie laquelle, rappelons-le, est « le pire de tous les systèmes, à l’exception de tous les autres ».

Le mal, c’est l’autre.

Cette fois, dans les partis, du RN à LFI, de LR au PS, le consensus est solide. Je n’ai entendu jusqu’à présent qu’une voix pour relativiser la drame dans lequel M. Griveaux est plongé : celle d’un spécialiste des sondages selon lequel le processus électoral, dans toutes les démocraties du monde, est soumis aux coups portés au-dessous de la ceinture. Il pense aussi que M. Griveaux, n’étant pas né de la dernière pluie, savait très bien ce à quoi il s’exposait. Et pour mieux renforcer son étrange jugement, il invoque le Citizen Kane d’Orson Welles, qui démontre la déformation d’un résultat électoral par des manœuvres sordides. Nous ne sommes ni en 1936 ni au cinéma et si des dangers de corruption pèsent sur la république, nous luttons tous les jours pour nous en débarrasser. Les ténors de la politique ont fort bien compris que cette manière de raisonner desservirait leur propre cause. On a déjà eu des partis qui s’estimaient irréprochables, mais ne l’étaient pas, et ne voyaient le mal que chez les autres.

Protéger le système.

On ne sait pas trop ce qu’il y a sur l’immonde vidéo, et mon respect de l’éthique ne me permet pas de poursuivre l’enquête au point d’aller voir. Mais la « culpabilité » de M. Griveaux pourrait bien être factice et le site délinquant est dirigé par un citoyen russe quelque peu déséquilibré, une sorte de provocateur proche des « Pussy Riots », et manipulé par  l’avocat Juan Branco, proche de LFI, qui a juré la perte de Macron. Encore une intrusion russe dans la vie politique d’États étrangers et souverains ? En tout cas, M. Griveaux a porté plainte et il a raison : il faut en finir avec toutes les formes de diffamation , de désinformation ou de dénigrement abusif. L’affaire Griveaux doit nous conduire à une réflexion. Le sort d’un candidat doit-il dépendre d’accusations, qu’elles soient diffamatoires ou non, mais qui n’ont, de toute façon, aucun rapport avec son programme ? Ne doit-il pas, en revanche, être jugé sur sa compétence, ses engagements électoraux ou la qualité de son projet ? En d’autres termes, doit-il démissionner ? M. Griveaux a jugé indispensable d’abandonner le match parce qu’il a vu, dans l’accident de parcours dont il est victime, le risque d’éclatement de son foyer. Ce n’est, en tout état de cause, pas lui qu’il faut juger. En revanche, nous devons dénoncer avec force et constance l’ignominie de ses adversaires tapis dans l’ombre qui souhaitent moins battre l’adversaire que d’occire l’ennemi. Nous devons voter sans subir la moindre influence. Nous sommes nous aussi les victimes de la vidéo scandaleuse parce que notre choix est modifié par le cynisme d’un tout petit nombre. La justice doit intervenir pour interroger les éventuels suspects afin de protéger le scrutin, y compris les scrutins à venir.

Dans le cas de mairie de Paris, tous les candidats sont perdants. Anne Hidalgo était pratiquement certaine de sa réélection, mais il sera facile (et injuste) de lui reprocher une victoire gagnée grâce à une indiscrétion. Cédric Villani, dissident de la REM, ne sera pas renforcé par le départ de M. Griveaux. Et si Rachida Dati l’emporte, on attribuera ce miracle non au nombre de voix obtenu, mais à un  effet du scandale. Dans un premier temps, la REM doit trouver un leader charismatique capable de reprendre le flambeau. Ce ne sera pas facile et cela ressemblera plus à un calvaire qu’à une marche triomphale.C’est peut-être la raison pour laquelle Marlène Schiappa a refusé la fonction, ce qui est dommage dans la mesure où elle sait s’exprimer et conduire une équipe. Mais les marcheurs sont déterminés : leur volonté est de continuer à se battre, et cette fois, avec encore plus d’acharnement. Dans un deuxième temps, il va falloir apporter de nouvelles protections au système électoral.

RICHARD LISCIA 

 

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7 réponses à La boue électorale

  1. Laurent Liscia dit :

    Piotr Pavlevski, l’auteur de la « révélation » Griveaux, est un ennemi de Poutine. On ne peut pas confondre la manipulation des réseaux sociaux par les agents de l’État russe et l’initiative sans doute malvenue de M. Pavlevski, qui prend la glauque succession de Julian Assange. En revanche, on ne peut pas non plus nier que les réseaux sociaux dans l’ensemble, avec leur cortège d’injures et d’accusations sans fondement, sont au moins aussi pernicieux qu’ils ne sont utiles (car ils peuvent l’être, par exemple en cas de répression). Cela dépasse le cadre de ton blog, mais au-delà de l’affaire Griveaux, les difficultés de Facebook et de Twitter qui essaient désespérément de se décrire comme « plateforme numérique » sans responsabilité quant à leurs contenus ne sont guère rassurantes. D’autant que ces mèmes prétendues plateformes, qui se comparent aux fabricants de télévisions ou aux opérateurs télécom et câble, font de leur mieux pour censurer leurs contenus diffamatoires. Dans le cas de Twitter, l’échec est patent, puisque le compte du président Trump, qui ruisselle quotidiennement de mensonges et d’avanies, n’en est pas pour autant fermé. Comme tu dis, personne n’est gagnant.

  2. Michel de Guibert dit :

    On voit se développer ici des mœurs politiques venues d’outre-Atlantique dont Bill Clinton avait fait les frais naguère (l’affaire Monica Lewinsky)… même si la procédure d’impeachment avait finalement échoué.

  3. Sphynge dit :

    Si la vidéo était authentique (l’intéressé n’a ni confirmé ni infirmé), ce ne serait qu’un juste retour des choses après les « affaires » Fillon.
    Réponse
    Il me semble qu’il y a une différence entre une affaire d’enrichissement personnel via la politique et une affaire privée.
    R. L.

    • JMB dit :

      Comparaison entre la carpe et le lapin.

      • Sphynge dit :

        Non, il ne s’agit pas de comparer le contenu des deux affaires mais de souligner que l’on ne doit pas s’indigner que l’on utilise contre vous des procédés analogues à ceux que vous avez utilisés contre un adversaire.
        De plus, il ne s’agit pas de comparer un homme d’État avec un politicien sans importance. Les attaques menées contre celui-là ont eu des conséquences significatives, celles menées contre celui-ci n’en auront aucune.

        Réponse
        Comment, non ? Vous avez fait cette comparaison. Est-ce qu’on peut en finir avec cette conversation qui me semble complètement inutile. Merci. Vous aurez d’autres occasions de vous exprimer.
        R.L.

    • JMB dit :

      L’affaire Fillon résulte des révélations du Canard enchaîné, dont les journalistes ne tirent pas leurs informations de la fange.
      Réponse
      L’affaire Fillon résulte de l’enrichissement personnel de M. Fillon qui s’est approprié de l’argent payé par les contribuables.
      R. L.

  4. vultaggio-lucas dit :

    Selon valeursactuelles.com, un proche de Griveaux aurait dit au sujet de Villani, avant son exclusion de la REM: « Il faut absolument que Villani soit avec nous. S’il part avec d’autres dans l’entre-deux tours, c’est foutu », […] Et d’ajouter : « Le problème, c’est que seul un psychologue peut le gérer. Il se prend pour une star, mais il faut arrêter ! Les filles ne se mettent pas non plus nues devant lui en espérant une caresse.  » La boue, oui la boue s’insinue partout… Il n’y a plus de limites que cela soit en parole, en image, quand l’ambition domine !

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