Le coup du 49/3

Philippe à l’Assemblée
(Photo AFP)

Samedi, le Premier ministre, Édouard Philippe, a déboulé à l’Assemblée nationale pour annoncer que le gouvernement, afin de mettre un terme à l’interminable débat sur les retraites, recourrait mardi 3 mars à l’usage de l’article 49/3 de la Constitution. Aussitôt, la gauche et LR déclaraient qu’ils déposeraient une motion de censure.

LE GOUVERNEMENT  a donc choisi de passer en force, sachant qu’il dispose d’une large majorité pour lui accorder sa confiance. Dans le récit à rebondissements de la réforme des retraites, on pouvait nourrir l’illusion d’un traitement de cette crise parlementaire par la souplesse et la patience. Il n’en a rien été. À court d’arguments, l’opposition a reproché à l’exécutif d’avoir pris prétexte d’un conseil des ministres consacré au coronavirus pour décider brutalement d’employer la force pour la réforme des retraites. On n’épiloguera pas sur une polémique à propos d’un sujet certes essentiel ; mais le nombre des amendements au projet de loi, qui avait atteint 41 000, rendait la lecture du texte impossible puisque, en une semaine, seulement deux articles de la loi, sur 65, avaient été adoptés. En outre, le recours au 49/3 n’empêche nullement la poursuite du débat. Il ne s’agit pas de museler le Parlement : le texte adopté ira au Sénat, en reviendra modifié et sera de nouveau débattu avant d’être adopté.

Indispensable riposte.

Le climat politique est donc totalement artificiel. Le passage en force, c’est exactement ce que voulaient les oppositions pour discréditer le président de la République après avoir diabolisé le 49/3, qui, pourtant, est la source même de la stabilité politique en France.  Avec sa témérité coutumière, Emmanuel Macron leur a répondu : « Chiche! ». Jean-Luc Mélenchon aura été dans cette histoire l’artisan en chef du 49/3, article qui a déjà été utilisé 88 fois depuis l’avènement de l’actuelle République, de sorte que, quand le PS crie au scandale, il oublie un peu vite que le Premier ministre Manuel Valls y a recouru. Édouard Philippe n’est donc pas un innovateur en la matière et si, au bout de deux années de crise sociale et politique, une stratégie plus amène et plus respectueuse de la représentation nationale eût été souhaitable, il y avait tant de provocation dans les 41 000 amendements qu’une forme de riposte devenait indispensable, dans un climat qui a atteint le sommet du grotesque.

La Constitution à la rescousse.

On ne peut pas prédire comment les Français, prompts à s’enflammer, vont réagir, mais beaucoup d’entre eux, probablement une majorité et ceux en tout cas qui ne manifestent pas et ne font pas grève, seront soulagés qu’un terme soit mis à une pantalonnade qui ne fait pas honneur aux partis de l’opposition, lesquels se sont retrouvés d’accord sur une méthode dont ils ne partagent pas nécessairement les excès démentiels. Les idées de la France insoumise ne sont pas celles du PS ou des Républicains. On sait maintenant que, même à l’Assemblée nationale, la surenchère est toujours la voie privilégiée et que, même si le populisme gagne tous les jours en grâce, il y a de plus en plus de citoyens qui, voyant qu’il ne mène pas loin, commencent à s’en méfier. Bien entendu, le gouvernement a pris des risques considérables, mais seulement à la mesure des enjeux. Ce n’était pas son rôle d’accepter le joyeux chaos introduit dans toutes les institutions par LFI et par le PC qui, eux, n’ont jamais rien à perdre et tout à gagner de la déstabilisation permanente. Non, l’heure du grand soir n’est pas encore arrivée et d’autres, plus sages, feront remarquer que le pays et sa stabilité sont protégés par la Constitution, de sorte  que, si elle a bien fonctionné pendant 60 ans, c’est sans doute parce qu’elle est utile et efficace.

La politique est une volière.

D’aucuns ont vite fait d’enterrer le macronisme qui n’a pas perdu l’occasion de montrer ses crocs. Il pouvait, en effet, laisser ce débat s’épuiser et prendre pour y parvenir le temps qu’il fallait. Il voulait une adoption avant les municipales, mais il y a vraiment peu de raisons de croire qu’il ait la moindre chance de les gagner. Il les perdra et il perdra Paris, sûrement par sa faute, et c’est pourquoi il était en mesure de donner quelques semaines de plus au débat sur les retraites. S’il ne l’a pas fait, c’est parce que le triomphalisme permanent de la France insoumise et sa façon d’agir comme si elle était déjà aux portes du pouvoir méritait peut-être une contre-offensive violente et non graduée. Les mélenchonistes ont compris le message et hurlent autant qu’avant l’annonce du 49/3. Ils peuvent bien s’égosiller, ils peuvent bien affirmer, contre toute évidence, que le pouvoir actuel est hors-la-loi, leurs tactiques machiavéliques n’impressionnent plus grand monde. La politique en France est devenue une volière assourdissante, mais le fait constitutionnel l’emportera cette fois encore sur le fracas des voix et des cris.

RICHARD LISCIA

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3 réponses à Le coup du 49/3

  1. vultaggio-lucas dit :

    Il est surprenant, ou pas, que les médias en général ne rapportent pas les « réactions » du RN (ex- FN) tant sur la forme que sur le fond sur ce projet de réforme du système de retraite. Peut-être sont-elles inaudibles ou alors serait-il préférable de « descendre » la France insoumise plutôt que le Rassemblement national en vue de 2022 ?
    Répondre
    Je ne crois pas : la popularité du RN est infiniment plus grande que celle de LFI.
    R.L.

  2. dmoutel dit :

    Peu importe qui est populaire ou pas. Toute la politique de Macron pour les deux ans ans qui arrivent n’aura finalement qu’un seul effet (ou but recherché ?) : organiser un deuxième tour Macron-Le Pen . La France n’en sortira probablement pas grandie.

    Réponse
    Il faut aller au rythme de la musique. Elle a accéléré. N’importe qui vous dira que la probabilité d’un duel entre Macron et Le Pen est beaucoup moins grande qu’il y a encore quelques semaines. Le redressement de la droite, la poussée des écolos changent la donne. Votre aversion pour Macron paralyse votre raisonnement : expliquez moi comment un président assailli de toutes parts et voué aux gémonies pourrait avoir encore assez d’influence pour « organiser » un duel avec qui que ce soit. Nous sommes, quoi que vous en pensiez, dans une démocratie. Ce sont les électeurs qui décident, ce n’est ni Macron ni Le Pen.
    R.L.

  3. mathieu dit :

    Deux ans c’est une éternité en politique, mais on peut penser qu’à un deuxème tour de présidentielle, Macron, homme d’État s’il en est, tenace face aux vents contraires, candidat « central » à tous les sens du terme dans l’échiquier politique, sera difficile à battre… Le plus dur sera sûrement d’être au deuxème tour, s’il y a un candidat LR, à même de siphonner, (de récupérer, plutôt) une part de la galette « centre-droit » qui fut la brillante prise de guerre de notre actuel président! Sachant que plus personne ne discute le leadership lepéniste sur le quartier de galette (le quart exactement) situé le plus à droite, le centre-droit va être très convoité, et en France, sans prime au sortant.

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