L’autre épidémie

Agnès Buzyn
(Photo AFP)

En accordant un entretien au « Monde », Agnès Buzyn a déclenché une nouvelle polémique fracassante, mais complètement inutile, le genre de rebondissement de la politique politicienne dont le pays menacé n’a pas besoin.

Mme BUZYN affirme qu’elle a alerté, dès janvier,  le Premier ministre puis le président de la République des dangers du virus, en transposant à la France ce qui se passait alors en Chine. Édouard Philippe, qui intervenait hier soir sur France 2, n’a nullement démenti les faits avancés par son ex-ministre de la Santé, mais il a expliqué que son jugement figurait parmi une série d’évaluations contradictoires dont la somme ne rejoignait pas le point de vue de Mme Buzyn. Trop tard, comme d’habitude : l’essentiel pour les forces politiques hostiles au pouvoir se sont hâtées de dénoncer l’incurie du gouvernement. Il est vrai que Mme Buzyn, qui vient de perdre le premier tour des municipales à Paris, a prononcé quelques mots  (une « mascarade », a-t-elle dit des municipales) qui ne témoignaient pas exactement de sa solidarité avec la macronie. Elle en a pris conscience, a retiré ses propos, mais elle a affaibli la ligne gouvernementale, ce qui sera suivi, après l’épidémie, par des explications houleuses entre Édouard Philippe et elle.

Propos en eaux troubles.

Mme Buzyn, ayant accepté d’être candidate à la mairie de Paris, aurait dû comprendre que donner un entretien à un grand quotidien sur l’épidémie de coronavirus revenait à remuer des eaux troubles. De toute évidence, elle n’a pas contrôlé ses propos. Le problème, en effet, ne vient pas du moment où le gouvernement a pris conscience de la gravité du fléau, mais du fait que la crise n’est pas politique. Le chef du gouvernement l’a répété encore hier : il ne fait rien qui ne soit adossé sur le consensus scientifique. En d’autres termes, s’il s’agit d’une guerre, elle n’est pas livrée avec des armes mais avec les moyens que connaît la médecine pour empêcher la contamination du pays tout entier. Agnès Buzyn, dans ce contexte, ne pouvait pas se présenter, au beau milieu de la bagarre, comme la citoyenne française qui a le mieux compris la signification de la crise avant tout le monde. Elle a été un grand médecin avant d’être ministre, mais elle n’est pas le seul médecin en France, et le gouvernement a voulu s’entourer des avis des meilleurs infectiologues, ce en quoi il a tout à fait raison, mais c’est peut-être ce qui ulcère l’ex-ministre.

Un manque de fidélité.

En outre, déclencher une polémique politique alors que l’exécutif a informé et consulté tous les partis sans exception, rouvrir un débat qui,  pratiquement, venait de se terminer, penser (curieusement) à se présenter comme une pythonisse quand il est temps de se moquer des ego, tout cela est insupportable. Une chose manque à la macronie, et c’est la fidélité. Et il est d’autant plus étrange que Mme Buzyn rejoigne ainsi, sans crier gare, le camp de la trahison que, jusqu’à présent, elle a fait preuve d’un sang-froid exceptionnel et maintenu le débat à son plus haut niveau possible. Il y a de quoi être déçu. La vérité, et on pourrait passer Mme Buzyn de nouveau à la question pour la contraindre à la dire, est que les inconnues de l’équation sont multiples : on ne sait pas comment le virus est arrivé, on ne sait pas qui est le premier individu contaminé, on a des tentatives de traitement (notamment à l’oxydochloroquine) insuffisamment testées, on n’aura pas encore de vaccin avant des mois ou même une année. Aucune des dispositions adoptées par le gouvernement n’est absolument sûre, aucune n’est néfaste. La ligne mise en œuvre est la plus humaine, la plus plausible, mais il y a d’autres lignes possibles, celle des Britanniques par exemple, qui envisagent le laisser-faire. Il s’agirait de laisser le virus se répandre et, comme 80 à 85 % des personnes infectées ne souffrent pas de la maladie, le Covid-19 finirait pas disparaître, n’ayant plus personne à contaminer.

Croche-pieds et coups au ventre.

Les Français accepteraient-ils cette solution qui ferait des milliers de malades graves et des morts (les 15 % sensibles au virus) ? Je ne crois pas. Toutes les imprécations, tous les défis au pouvoir, toutes ces petites querelles sur ce qui a été dit ou pas le 10 ou le 30 janvier, tous ces vieux réflexes de dénonciation d’un pouvoir qu’il faut à tout prix condamner, clouer au pilori et déshumaniser, tout ce qui se dit dans la plus parfaite des irresponsabilités, tout ce qui poursuit tranquillement son petit bonhomme de chemin, en faisant des croche-pieds et en donnant des coups au bas-ventre, tout cela n’a rien à voir avec le danger, la guerre et les enjeux. C’est tout simplement minable de s’en prendre à des hommes politiques confrontés à une crise sanitaire : ils font leur boulot dans un domaine où ils n’ont pas vraiment de compétence. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec l’habituellement digne Agnès Buzyn, mais elle est passée chez les cloportes.

RICHARD LISCIA

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7 réponses à L’autre épidémie

  1. Michel de Guibert dit :

    Merci pour ce dernier article.

    Réflexion très intéressante du philosophe Martin Steffens entendue sur une radio : il distinguait opportunément dans les attitudes de prévention se protéger « POUR » l’autre et se protéger « DE » l’autre.

  2. Laurent Liscia dit :

    J’aime bien cette distinction que fait Michel entre se proteger « POUR » et « DE » l’autre. Mme Buzyn n’a rien fait pour protéger le gouvernment, c’est certain. Quant a la possibilité du laisser-faire, elle me parait criminelle – quasiment fasciste. On punirait les victimes du manque de préparation des gouvernants. Voila un discours qui n’est même pas tenu aux Etats-Unis.

    • Michel de Guibert dit :

      L’attitude de laissez-faire (Boris Johnson, au moins dans un premier temps, les Pays-Bas) pour obtenir une immunité de groupe et en finir plus vite avec l’épidémie, quitte à multiplier les décès des personnes âgées ou fragiles, est d’un cynisme absolu.

      • PATRICIA GONTIER dit :

        Concernant Les Pays-bas, il y a une prise de conscience dans la population qui voit la gravité de la situation en France, en Italie, en Espagne.
        Donc, les gens se confinent d’eux-mêmes. Télétravail, plus de regroupement.
        Par contre, difficile de trouver des informations sur la préparation de leurs hôpitaux face au pic des cas graves qui arrivera de toute les façons. Je n’ai rien trouvé sur le sujet.

  3. phban dit :

    Vous avez tout à fait raison. Accordons à madame Buzyn des circonstances atténuantes en mettant son aberrante conduite sur le compte de l’épuisement nerveux.

  4. dmoutel dit :

    Je ne pense pas qu’il soit utile de traiter l’ex ministre de cloporte .
    Elle est avant tout médecin et a sûrement été surprise par la
    brutalité de la politique. Si effectivement elle savait que cela pouvait être
    grave, devant la surdité du gouvernement qui à un moment a choisi
    l’économie plutôt que la santé des Français, elle aurait dû démissionner
    façon Chevènement ; mais en pratique un médecin ça ne démissionne jamais
    surtout face à la gravité du Corona.
    Restons pragmatiques, on tirera les conclusions politiques à
    la fin. Pour le moment on voudrait surtout avoir des masques pour soigner
    et protéger les patients et les soignants, mais on a un peu l’impression
    d’être envoyés à la guerre comme les poilus de 14 avec leur bicyclette et
    leur fusil Chassepot… Sinon ce sont le gouvernement et Macron que vous pourriez
    vite affubler de noms d’oiseaux.

    Réponse
    Merci pour cette leçon de bienséance que je crois tout à fait inutile. Je n’avais rien contre Mme Buzyn jusqu’à ce qu’elle commette ce faux-pas inadmissible. Elle n’a rien subi de brutal, personne ne l’obligeait à quitter son ministère et entrer dans la course des municipales. Par ailleurs, comparer la situation du corps médical à celle des poilus, c’est vraiment, dans le domaine de l’excès, une performance qui vous prive d’un seul coup de la supériorité intellectuelle dont vous semblez vous targuer.
    R.L.

  5. JULIEN dit :

    Je suis très déçu par le comportement de Mme Buzyn pour laquelle j’avais beaucoup d’estime. Malgré le surmenage et la brutalité de la politique, on aurait pu s’attendre, de la part d’une personnalité de premier plan, à une plus grande retenue. Une ex ministre doit savoir aussi « fermer sa gueule ou partir », comme le disait J-P Chevènement. Elle est partie se mesurer aux autres candidates à la mairie de Paris, mais elle n’a pas « fermé sa gueule » et c’est bien regrettable

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