Le paradoxe pétrolier

Contre le pétrole de schiste au Canada
(Photo AFP)

La forte réduction de la demande a entraîné la chute spectaculaire des cours du pétrole : en France, à la pompe, le litre d’essence est nettement moins cher. Bonne nouvelle ? Non, la production est désorganisée et fait peser sur toute l’industrie une menace dont les conséquences seront nocives.

Les carburants sont moins chers dans cette période affectée par le coronavirus et pendant laquelle le consommateur français circule peu et ne bénéficie pas vraiment des coûts bas. L’extraction du pétrole et du gaz, et leur distribution, obéissent à des règles compliquées qui font entrer dans la construction des prix le rapport coût de revient-prix de vente, le transport et le stockage. Au début de la semaine, des détenteurs de pétrole ont vendu à perte. Ils devaient impérativement se débarrasser de leur produit, car ils ne savaient plus où stocker le pétrole qu’ils avaient commandé pour les semaines suivantes et le prix du baril est tombé jusqu’à moins 37 dollars ! Il ne s’agit que d’un accident commercial, qui ne signifie d’ailleurs pas que l’on trouve sur le marché des carburants gratuits. Le phénomène résulte de la montée en puissance de la capacité de production des États-Unis qui, depuis qu’ils extraient le pétrole et le gaz des schistes bitumineux, sont devenus la première puissance en la matière, damant le pion à la Russie et à l’Arabie Saoudite.

Politique à court terme.

Vladimir Poutine a d’abord refusé de diminuer la production, obligeant les pays producteurs à vendre coûte que coûte du pétrole et du gaz dont le prix ne cessait de baisser. Avec la pandémie, cette méthode conduisait au suicide, de sorte que Moscou et Riyad ont décidé de réduire la production d’une manière colossale : moins 10 millions de barils par jour, à partir du mois de mai. Cette mesure entraînera probablement une hausse des cours, et effacera les pertes enregistrées par les pays de l’OPEP. Mais l’industrie ne sortira pas indemne de cet épisode catastrophique. D’une part, ceux qui achètent et stockent à crédit devront rembourser leurs dettes, ce qui risque de les conduire à la faillite.  D’autre part, les investissements des producteurs vont nécessairement diminuer, ce qui risque de compliquer les transactions ultérieures : nous irons vers une phase de pénurie, parce que, une fois de plus, l’avenir n’aura pas été prévu.

Il est indéniable que les États-Unis ont mis fin à la domination de l’OPEP. Il est probable que le retour des prix à un niveau élevé est lointain. Mais le plus grave, c’est le renoncement des Américains à prendre en compte les exigences de la lutte en faveur de l’environnement. Loin d’être contrôlé, le marché pétrolier est désorganisé par une concurrence sauvage. Donald Trump a voulu que son pays soit auto-suffisant et même exportateur, mais, ce faisant il a entraîné ses compétiteurs dans une course folle à l’extraction, ce qui a conduit au problème du stockage.

En finir avec le pétrole ?

Ce sont les États-Unis qui paient le plus lourd tribut à la concurrence, non seulement parce qu’ils participent joyeusement à la destruction de leur propre environnement, mais parce qu’ils font peser sur leur industrie une suspicion durable. Les affaires pétrolières, pour le marché américain, seront freinées par les réticences de tous les acteurs. De fait, la chute des valeurs  boursières est plus liée à une baisse des prix du pétrole et du gaz qui a semblé hors de contrôle qu’aux ravages exercés par le virus. Accessoirement, au terme de la bataille concurrentielle, les États-Unis risquent d’être privés de leur première place, un passif qui s’ajoutera à la besace électorale de Donald Trump.

Le pétrole et le gaz de schiste constituent un énorme progrès des techniques d’extraction. Des pays qui croyaient ne pas posséder une seule goutte de pétrole, comme le Canada, se sont enrichis grâce aux schistes. Les méthodes d’extraction, notamment la fracturation de la roche par l’eau sont dévastatrices sur le plan environnemental et on ne compte plus les habitants de certaines régions dont l’eau n’est plus potable et où le paysage s’est transformé en désert. La logique de puissance, l’avidité pour le profit à n’importe quel prix, l’absence de régulation, parfois délibérée, ont entraîné un désastre qui choque et indigne non seulement les militants de la cause environnementale mais l’ensemble de l’opinion. Tout à coup, la preuve a été fournie qu’il n’est pas nécessaire de produire plus de pétrole et de gaz, qu’il faut au contraire en réduire la production, que la baisse des prix des carburants n’est qu’un leurre et que l’intérêt général du monde est de commencer à se passer du pétrole.

RICHARD LISCIA

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Le paradoxe pétrolier

  1. Laurent Liscia dit :

    Tres bon passage en revue. Pour ce qui concerne les Etats-Unis et le Canada, on peut constater que: a) ni les schistes ni le fracking ne sont concurrentiels à ce niveau de prix (mais les énergies alternatives non plus et on attend de voir les répercussions sur ces marchés aussi…) ; b) la moindre bonne nouvelle du côté pétrolier entraîne une montée plus que proportionnelle de la Bourse. Curieux.

Répondre à Laurent Liscia Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.