Un recul de la société

Gérard Larcher, président du Sénat
(Photo AFP)

La quantité incalculable de commentaires sur la pandémie n’apporte pas vraiment de réponse à la seule question digne d’intérêt : quelle sorte de société souhaitons-nous rebâtir ? La lutte contre le virus absorbe tous les acteurs, médicaux ou politiques, de sorte que le débat sur l’avenir est différé. Ce report était inévitable, compte tenu de la gravité de la crise, mais rien ne dit non plus qu’un retour à la normale, certes lointain, soit impossible.

POUR le moment, on ne parle que du présent et du passé. Le passé, qui donne lieu à de multiples réécritures de l’histoire destinées à confondre le pouvoir ; et le présent, qui ne serait pas examiné avec compétence ou sérieux par le gouvernement. De sorte que le déconfinement est abordé dans la confusion générale. L’État ayant décrété l’urgence économique alors que la crise sanitaire est loin d’être terminée, chacun d’entre nous est en mesure de trouver une série d’arguments plus inspirés par les dangers du virus que par la nécessité de remettre en route la machine économique, et vice versa. Les erreurs, hésitations et corrections des pouvoirs publics ne devraient étonner personne dans un climat si obsessionnellement empoisonné par les commentaires assassins et les attaques de type politicien. Comme la bataille, à la fois médicale et politique, épuise les énergies, l’idée que la crise sanitaire est une occasion unique de refonder la société française n’est pas vraiment prise en considération ou ne fait l’objet que de propositions des happy few.

Court terme et long terme.

Ce contexte est d’autant plus regrettable qu’il nous garantit des années de querelles de nature à paralyser le pays. Et il est assez probable que celui-ci, s’arrachant à tout ce qui se dit, et obéissant à la nécessité d’agir, se fera d’une manière ou d’une autre sans prescription formelle et peut-être sous une forme anarchique. Ce que l’on voit clairement, en effet, est que, d’une manière générale, les Français, qu’ils soient puissants ou misérables, subissent la crise. Ils n’en sortiront donc que si, bravant les ultimes assauts de la pandémie, ils se remettront au travail en s’appuyant sur les structures économiques et industrielles en vigueur avant la tragédie. Un plan d’action concertée et méticuleux serait préférable. Encore a-t-il besoin d’une volonté consensuelle qui n’existe pas. Le très court terme a pris le pas sur le long terme : l’avidité pour les règlements de compte est encore plus grande que la peur du virus. La question n’est plus de savoir qui est le mieux placé pour gérer la crise et ses conséquences, ce qui appartient au domaine électoral, mais comment abattre le pouvoir sans attendre le calendrier. Un simple exemple : le Sénat, dominé par les Républicains, a rejeté le plan de déconfinement du gouvernement. Vote parfaitement stérile, puisque l’Assemblée a le dernier mot, mais qui exprime la mauvaise humeur de la droite. Voilà des hommes et des femmes qui ont le sens de leurs responsabilités ! En réalité, LR approuve le déconfinement et même plus que la République en marche !

La pandémie a allongé le temps.

De sorte que les espoirs que nous étions en train de nourrir s’enfoncent dans le brouillard. Rien ne prouve que la pandémie débouchera sur un immense effort pour réduire les gaz à effet de serre et sur une réduction sensible de la pollution. Rien ne prouve que les Français se concerteront pour réduire les inégalités sociales. Rien ne prouve que la mondialisation reculera et que nous rapatrierons nos usines. Rien ne prouve, d’ailleurs, que ceux qui mènent le combat contre le pouvoir plutôt que contre la maladie sortiront vainqueurs de l’épreuve. Si on y réfléchit bien, la pandémie a allongé le temps. Les réformes ne sont plus qu’un très vieux souvenir, au même titre que les gilets jaunes, qui ont cassé beaucoup de mobilier public pour un résultat, une dépense sociale accrue, lui-même balayé par la pandémie et par les centaines de milliards déversés par l’État pour maintenir en vie l’économie. La comparaison entre novembre 2019 et mai 2020 est ahurissante : nous avions réduit le chômage, malgré une croissance faible, nous avons une croissance négative et une hausse vertigineuse du chômage ; nous avions des activités multiples, nous sommes aujourd’hui complètement assujettis, physiquement et moralement, à un virus ; nos projets sont suspendus ou écartés ; notre culture se limite aux livres et à la télévision ; nos loisirs sont inexistants et nos vacances plus que compromises. La société de demain sera sans doute le produit d’une libération des individus mais elle ne semble pas devoir résulter d’une planification nationale.

RICHARD LISCIA

 

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3 réponses à Un recul de la société

  1. Laurent Liscia dit :

    Rien ne le prouve et pourtant, nous n’aurons pas le choix!

  2. Guy Sitbon dit :

    100% des journaux se sont convertis en quotidiens du médecin. Rude concurrence.

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