Un revers pour la majorité

Villani, traître assidu
(Photo AFP)

Dix-sept députés, dont sept membres de la République en marche, ont décidé aujourd’hui de former un nouveau groupe à l’Assemblée nationale, ce que prive la  REM de sa majorité absolue, à une voix près. Toutefois le soutien du groupe MoDem au gouvernement assure celui-ci de poursuivre son action sans la moindre difficulté.

EN FRANCE, on adore les gestes-symboles et on se moque de leur efficacité. La dissidence de sept députés de la REM ne plonge nullement le pouvoir dans une crise législative. Elle renforce peut-être le MoDem, conformément à une initiative très IVè République qui consiste à morceler le Parlement pour donner aux minorités les plus infimes le rôle-charnière qu’elles ne méritent pas. On peut fort bien comprendre la frustration des dissidents dont les plus connus sont Aurélien Taché (Val d’Oise), Guillaume Chiche (Deux-Sèvres) et Cédric Villani, mathématicien hors pair et médaille Fields, candidat (encore) à la Mairie de Paris bien qu’il n’ait plus aucune chance. Mais, quel que soit leur degré de notoriété, ils ne seraient pas députés aujourd’hui s’ils n’avaient, au préalable, rallié le panache blanc d’Emmanuel Macron. C’est lui qui les a faits ce qu’ils sont, c’est donc lui, en vertu d’une logique millénaire, qu’ils trahissent. Tu quoque, mi fili ? Il n’est jamais trop tard pour dénoncer l’absence d’éthique dans un comportement politique, pour une excellente raison : c’est en toute sincérité que les dissidents se défient de leur chef, qui avait promis d’être à la fois de droite et de gauche et qui, il est vrai, penche plutôt à droite. Il demeure que le temps qui sépare l’adhésion énamourée du rejet compulsif devient de plus en plus court, que la France traverse une crise sans précédent dans laquelle ils auraient dû jeter toutes leurs forces, qu’une sorte de consensus des oppositions tend à faire de M. Macron le bouc émissaire de tous nos déboires et que, une crise chassant l’autre, toutes les idéologies sont balayées par les tourmentes successives qui soufflent sur le pays.

Défense de l’Europe.

De sorte que l’analyse politique des ex-marcheurs nous semble bien faible. Le pouvoir a éteint les passions morbides des gilets jaunes en déversant sur leurs revendications incendiaires 17 milliards d’euros ; dans un pays accablé de déficits et de dettes, il jette des centaines de milliards dans la machine économique pour éviter la récession. Nous sommes le pays le plus socialisé du monde, avec un taux de dépenses publiques de 56 % du PIB avant la crise, qui va s’élever désormais avec les sommes énormes qu’exige le quasi effondrement de l’économie nationale. Qu’ont-ils de mieux à proposer ? Quelles sont leurs puissantes idées ? On les a surtout entendus se plaindre au nom d’un politiquement correct très répandu, notamment dans les médias, qui fait peu de cas de leur jeunesse et de leur enthousiasme initial. La critique du pouvoir n’est pas une fin en soi. On ne peut se détourner d’une action politique que si on en propose une autre, qui paraisse viable. Ce n’est pas le cas. En revanche, est-il possible, dans l’Hexagone, de dire que le confinement a donné d’excellents résultats ? La droite, la gauche et les anciens marcheurs pourraient-ils faire preuve d’une telle objectivité sans que l’aveu ne leur arrache la langue ? Est-il possible de dire que le déconfinement se passe bien jusqu’à présent ? Peut-on admettre que l’autorité de l’État, jusqu’à présent, n’a pas été mise en cause ? Peut-on avouer que Macron et Angela Merkel ont conclu un pacte hier pour mettre à la disposition des 27 un paquet de 500 milliards d’euros ? Peut-on reconnaître que le chef de l’État a su convaincre la chancelière qu’en coupant les vivres aux pays du Sud elle se prive de leur marché et ferait exploser l’euro et sans doute l’Europe ?

La mauvaise humeur rend lucide.

Comme une voix discordante est inaudible, j’invoquerai celle d’Alain Finkielkraut qui a dénoncé sur France-Inter les manœuvres de toutes sortes lancées par toutes sortes de partis et de syndicats pour faire du président de la République le bouc émissaire des maux dont souffre le peuple. M. Finkielkraut, lui-même très discuté, est souvent de mauvaise humeur, ce qui le rend lucide, de sorte que ce qu’il critique, ce n’est pas seulement le pouvoir, c’est aussi ce peuple toujours prêt à en découdre avec tout ce qui ressemble à un peu d’autorité. Et qu’aurions-nous fait s’il n’y avait eu aucune directive à laquelle se plier, ni aucune chronologie du confinement et du déconfinement, ni aucune intervention financière de l’État, ni aucune solidarité entre pays européens et surtout, aucune tâche immédiate, seulement des espoirs pour l’avenir, parfaitement décrits par de doux rêveurs, l’un peignant le tableau panoramique d’un environnement enfin sain, l’autre racontant la fin des inégalités en technicolor, un troisième une croissance infinie à la fois source de prospérité, effacement de la dette et bonheur de vivre. Soyons sérieux : il ne suffit pas d’être élu, il faut aussi un programme. Ils ont trahi Macron, soit. Mais ils ont aussi trahi leurs électeurs. Rendez-vous pour les législatives de 2022.

RICHARD LISCIA

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5 réponses à Un revers pour la majorité

  1. phban dit :

    Merci, une de fois encore, pour cette analyse juste et lucide, deux mots que l’on aimerait pouvoir employer plus souvent ces dernières semaines.

  2. Michel de Guibert dit :

    C’est un détail de votre article, mais, de savoir si le déconfinement se passe bien, on ne pourra en juger que dans une quinzaine de jours.
    Réponse
    Non seulement c’est un de ces détails sur lesquels vous aimez bien vous appensantir, mais j’ai bien précisé : pour le moment. Donc, si vous voulez me citer, citez moi complètement.
    R. L.

    • Michel de Guibert dit :

      Oui, vous avez bien dit « pour le moment », ce qui n’a aucun sens épidémiologiquement à 8 jours seulement du déconfinement (et donc encore sous l’effet du confinement)… c’est bien pourquoi je vous disais qu’il était trop tôt pour en juger.
      Le diable est dans les détails !
      Réponse
      Pas du tout d’accord : l’expression « aucun sens épidémiologiquement » n’a aucun sens. Le sens de jusqu’à présent veut dire pour le moment. En outre, depuis que j’ai écrit ce blog, le déconfinement n’a toujours pas entraîné de dégâts considérables et il est maintenu par consensus national. Je n’ai pas l’intention de céder sur ce point : les choses vont bien à un temps T, elles peuvent aller moins bien, elles peuvent aller mieux. La logique est avec moi, la volonté de discuter du sexe des anges est avec vous.
      R.L.

  3. D.S. dit :

    Effectivement l’honnêteté intellectuelle aurait voulu que cette prise de distance se fasse à l’occasion des prochaines législatives. Certains ont vite oublié qui les a faits
    rois.

  4. admin dit :

    LL dit :
    Manigances électorales.

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