Éliane Houlette était chef du Parquet financier avant de prendre sa retraite et, à ce titre, elle s’était saisie de l’affaire Fillon en janvier 2017. Après avoir dit au moins une fois, en 2019, qu’elle n’avait subi aucune pression du Parquet général, elle a affirmé le 10 juin, devant une commission d’enquête parlementaire, et répété plus récemment, que ces pressions, en réalité, avaient été très fortes.
LA CONTRADICTION, entre ces deux déclarations, est plus qu’ennuyeuse. Elle laisse entendre que le déroulement de l’enquête a pu être influencé par le Parquet général, dirigé alors par Catherine Champrenaud qui, selon Mme Houlette, réclamait une accélération de la procédure. Effectivement, François Fillon et sa femme, Pénélope, ont été mis en examen le 24 mars 2017, soit moins de deux mois avant le scrutin présidentiel. M. Fillon, alors candidat à la présidence, n’a pas réussi à réunir le nombre de voix qui lui eût permis de franchir le premier tour. Radios et chaînes de télévision ne se sont pas vraiment emparées de l’affaire, pourtant grave : elle laisse entendre que des forces occultes, plutôt que le nombre de suffrages, auraient écarté François Fillon de la présidence de la République. Or Mme Houlette n’apporte aucune précision à ses déclarations explosives. Elle ne dit pas les raisons qui incitaient le Parquet général à se mêler de la procédure, elle ne dit pas quel usage Mme Champrenaud pouvait faire des informations réunies par Mme Houlette et elle ne dit pas qui, au-dessus du Parquet général (ministère de la Justice, Matignon, Élysée ?) conduisait le bal. La loi autorise le Parquet général à s’informer sur le déroulé d’une enquête, elle lui interdit d’orienter la procédure. Mme Houlette n’a d’ailleurs pas dit qu’elle avait enquêté à charge, ce qui, d’ailleurs, aurait ruiné le procès intenté à M. Fillon.
Un complot ?
Il y a plusieurs conséquences sérieuses aux propos inattendus d’Éliane Houlette : tout d’abord, ils accréditent la thèse des Républicains selon laquelle les accusations portées contre François Fillon relèvent d’un complot fomenté par quelque officine pour l’écarter définitivement du pouvoir ; ils permettent à tous les personnages politiques qui ont en ce moment des démêlés avec la justice, plus particulièrement Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, de dire qu’eux aussi sont victimes d’une cabale sans fondement ; enfin, ils affaiblissent le système judiciaire, déjà très contesté, qui n’a pas encore rompu le lien avec le pouvoir politique et qui doit être profondément réformé pour que chaque jugement soit prononcé en toute indépendance. LR n’a d’ailleurs pas tardé à réhabiliter M. Fillon à dix jours du jugement du tribunal correctionnel qui devrait les condamner, lui et son épouse. De même que l’extrême droite et l’extrême gauche ont eu tôt fait de dénoncer une faillibilité du système qui suffirait à les blanchir.
A qui profite le crime ?
Toutefois, l’enquête de Mme Houlette a mis en relief des faits indiscutables d’enrichissement personnel par des moyens interdits et au détriment du contribuable ; et on ne voit pas comment l’ancien Premier ministre peut s’affranchir des charges qui pèsent sur lui. De même, les emplois fictifs du RN et de LFI sont clairement établis. Et, au fond, la vraie question est la même que dans d’autres affaires : à qui profite le crime ? Tous les regards se portent sur la macronie, mouvement naissant en 2017, qui n’avait pas la moindre responsabilité politique. Si le comportement du Parquet général consistait à satisfaire le pouvoir, la République en marche n’était pas au pouvoir, la droite n’y était pas non plus et n’aurait pas milité pour accabler M. Fillon, l’extrême gauche non plus, les écologistes non plus. Les détenteurs du pouvoir à cette époque étaient le président, François Hollande, son Premier ministre, Bernard Cazeneuve et son ministre de la Justice, Jean-Jaques Urvoas. M. Urvoas est poursuivi pour avoir livré à un ancien parlementaire, Thierry Solère, aujourd’hui conseiller à l’Élysée, des informations sur l’enquête judiciaire qui le concernait. L’ancien ministre est-il aussi l’homme qui, par l’intermédiaire de Mme Champrenaud, exigeait que M. Fillon fût mis en examen avant l’élection présidentielle ?
Il est utile de rappeler que François Hollande n’avait plus aucun intérêt personnel dans cette élection dès lors qu’il avait renoncé à se présenter pour un second mandat plusieurs mois avant le scrutin, que M. Cazenave a une imbattable réputation d’homme intègre. Que M. Macron n’était que candidat à la présidence et qu’il n’avait aucun moyen d’exercer des pressions sur qui que ce fût. Comme ce fut le cas d’Agnès Buzyn qui déclara un jour, avec des larmes dans les yeux, que l’élection municipale de Paris était une mascarade pour, aussitôt après, reprendre la tête de la République en marche et finir sa campagne, Mme Houlette a commis l’erreur de jeter un pavé dans la mare pour le seul plaisir de faire des vaguelettes et elle doit étayer ses propos par des précisions complémentaires.
RICHARD LISCIA
PS-Au cours de l’après-midi, Mme Houlette a exprimé le regret de ce que l’on ait « déformé » ses propos. Elle insiste sur le fait que M. Fillon n’a pas été mis en examen sous la pression de l’exécutif.
Laurent Liscia dit :
D’autant plus sombre qu’elle n’a rien à voir avec le pouvoir en place. On ne s’étonnera pas que les deux principales cibles des enquêtes (à juste titre): Marine Le Pen et l’ami Mélenchon poussent des cris d’orfraie. Apparemment, la décence ne s’applique pas à la classe politique.
On a compris dès le début de cette histoire que certains étaient à la manoeuvre en coulisses : la rapidité extraordinaire avec laquelle Fillon a été mis en examen (il y avait urgence : il fallait absolument un match Macron/Le Pen pour faire passer le jeune premier) et la paix royale qu’on a fichu à d’autres qui ont fait exactement la même chose que lui. Par exemple le dernier ministre de l’Intérieur de Hollande qui a démissionné après l’avoir avoué. Il n’a pas été mis en examen? Tiens, tiens, et pourquoi donc? Il y aurait deux poids deux mesures dans notre beau pays? Impensable.
Réponse
On ne remplace pas des faits têtus par une analyse complètement théorique. Hollande était ulcéré par la candidature de Macron, il n’allait sûrement pas lui rendre un service illégal pour le faire triompher. Donc l’idée qu’ils se sont acoquinés est absurde et l’enquête les exonérera tous les deux. Comme d’habitude, vous cédez au mythe du complot, qui, partagée par le plus grand nombre, plonge notre société dans la bêtise.
R.L.